Métavers : défis et opportunités pour les entreprises
entreprises La LJA et l’ONG Respect Zone ont organisé, le mardi 18 avril 2023, au Cloud Business Center de Paris, la deuxième édition de leur évènement consacré à l’éthique des technologies numériques émergentes. Le rapport sur le métavers publié par l’ONG en février dernier, remis à cette occasion à la préfète Sophie Elizéon, à la tête de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), a permis aux participants de se projeter dans les univers numériques immersifs et, en anticipant sur le futur, de se demander comment les encadrer.
Une centaine de participants se sont réunis mardi, en fin d’après-midi, au Cloud Business Center de Paris, à l’invitation de la LJA et de l’ONG Respect Zone. L’ambition de la seconde édition de cet événement1 était de réfléchir ensemble aux opportunités à saisir et aux défis à surmonter pour les entreprises présentes dans cet espace immersif, ou ayant un projet de développement en ce sens. Car si l’on part du principe que l’immersivité est l’avenir du numérique, il convient de s’interroger sur le cadre qu’il convient de lui donner, notamment dans un univers professionnel.
L’importance de la régulation pour créer un espace de bienveillance
La conférence a débuté par la restitution d’un sondage réalisé auprès de près de 600 jeunes (âgés de 15 à 25 ans), dont les résultats peuvent à première vue paraître surprenants. Moins de la moitié des répondants connaissent les métavers (48 %), mais ils sont majoritaires à désirer les utiliser (58 %). Ces jeunes expriment également la nécessité de prévoir un certain nombre de régulations dans le métavers, notamment à des fins de protection des personnes. « Il y a beaucoup à faire pour les juristes d’affaires dans la mise en place de ces jalons éthiques », a lancé Philippe Coen, président de Respect Zone. Car en la matière, les enjeux sont multiples et, au-delà de la protection des individus, ces nouveaux espaces devront garantir la diversité et l’inclusivité. Nicolas Arpagian, directeur cybersécurité de la stratégie de Trend Micro, a relevé que l’univers numérique était intrinsèquement imparfait, d’abord techniquement et qu’à ces imperfections techniques s’ajoutaient désormais les conséquences des comportements humains. « C’est une conséquence de la massification de l’IA qui apporte son lot de problèmes », a jugé Maximilien Nayaradou, directeur général de Finance Innovation. Il a expliqué que ces univers numériques immersifs existent depuis la fin des années 1970, mais que la question de la régulation se fait désormais plus prégnante car lorsqu’une activité humaine se démocratise, les délinquants s’y engouffrent. Sonia Cissé, associée du cabinet Linklaters, a estimé que les métavers, qui transposent dans le monde numérique notre société virtuelle, ne devraient pas faire l’objet d’une réglementation spécifique et que l’arsenal juridique existant ou à venir devrait être suffisamment large pour réguler la société réelle comme la société virtuelle. Elle préconise que les métavers à venir, soient, by design, conformes aux réglementations déjà existantes comme le RGPD, ou le futur IA Act européen. Partageant cette position, Maud Robert, directrice du département propriété intellectuelle du groupe Capgemini, a de son côté vanté la réglementation européenne très précurseur dans le domaine numérique (Digital Markets Act [DMA] et le Digital Services Act [DSA]).
Comment gérer les risques liés à la cybersécurité
Dans un atelier relatif à la gestion des risques liés à la cybersécurité, le général Laurent Bitouzet, qui enseigne à l’École des officiers de la Gendarmerie nationale, a insisté sur le caractère international de la cyberdélinquance qui nécessite, selon lui, une réponse réglementaire globale. Il a souligné à cet égard que la réponse des autorités, qui implique des actions de coopération et la conclusion de partenariats pour enquêter, sera sans nul doute plus longue à venir que dans le monde réel. Sonia Cissé, avec les autres intervenants, s’est dans ce contexte interrogée sur la pertinence de règles seulement régionales et s’est demandée si l’interopérabilité pourrait suffire à régler ce dilemme. Selon le général Bitouzet, pour le moment, les deux tiers des faits de délinquance numériques signalés aux autorités sont des faits d’escroquerie. On estime que le ratio actuel est d’une plainte pour 250 faits. Il existerait donc un large pan de faits délictueux impunis, pour des raisons diverses. Et même si à l’horizon 2024, 10 000 enquêteurs formés à la cyberdélinquance seront déployés, les actions de prévention et de sensibilisation sont la clé d’un métavers de confiance. Nicolas Arpagian, à l’unisson des autres intervenants, en a appelé à la responsabilité de chacun, internaute ou opérateur, et à la nécessité de s’autodiagnostiquer et de questionner ses propres pratiques.
The nextworkplace to be ?
C’est également dans le sens de la prévention par les entreprises souhaitant se positionner dans les métavers que les quatre intervenants du second atelier ont débattu. Emmanuel Moyrand, cofondateur de l’association France Meta et CEO de l’entreprise AZTEQ, est un passionné du sujet. Et selon lui, quand bien même les diverses récentes annonces de réorientation des investissements des grands groupes du numérique vers d’autres projets plus porteurs à court terme, le moteur de la révolution technologique tourne toujours. « Le métavers c’est THE nextplace to be. Demain le monde sera simplifié et mixte : virtuel et réel », a-t-il lancé avec conviction. Marie Danet, psychologue clinicienne, docteur en psychologie spécialiste de l’attachement, a jugé que le métavers ne remplacera pas le réel. « D’un point de vue professionnel, il sera tout de même très utile et intéressant pour créer de nouvelles expériences et changer de perspectives sur un poste », a-t-elle expliqué. Il permettra par exemple d’entrer virtuellement à un échelon de la supply chain pour mieux comprendre le processus de fabrication/ déploiement, ou bien de tester un nouveau métier dans l’hypothèse d’une évolution professionnelle en interne. Vanessa d’Aumale, directrice des ressources humaines de Coinhouse, a néanmoins rappelé les coûts importants pour les entreprises de création de telles plateformes immersives, et la limite actuelle des niveaux graphiques. Au-delà de l’univers du gaming, le métavers a pour l’instant trouvé application en matière de recrutement et de formation. Quelques grands groupes se sont lancés dans l’aventure, souvent à grands coups de communication. Axa a par exemple lancé Axadia, une aventure immersive à travers un espace de plusieurs étages. Le premier étant réservé au recrutement avec des épreuves de résilience et de courage. Carrefour a également recruté dans le métavers ces derniers mois. Son PDG, Alexandre Bompard, s’étant lui-même déplacé virtuellement pour séduire une trentaine d’étudiants de Polytechnique, notamment pour des postes de data scientist. Élodie Perthuisot, directrice de l’e-commerce et de la transformation digitale du groupe, lors d’une interview accordé à nos confrères des Échos, avait expliqué : « Le métavers est démocratique. Il permet de ne pas se focaliser sur le visage d’un candidat, mais d’écouter ce qu’il a à dire ». Une citation qui n’a pas manqué de faire réagir les speakers, confirmant que le monde immersif permet de dépasser les a priori de recrutement, voire les handicaps. La discussion s’est ensuite orientée sur l’avatar : à quel point doit-il nous ressembler ? Quelle gestion des données personnelles qui seront détenues par la plateforme ? On notera à ce propos la rédaction en cours d’une thèse, à Lille, pour déterminer la nature de l’avatar conçu à partir des données personnelles : est-ce un humain, une chose ? De beaux sujets de débats juridiques en perspective ! À l’issue de ces discussions, les représentants de Respect Zone ont rappelé leurs 35 propositions pour construire un métavers respectueux et divers et ont symboliquement, remis leur rapport à Sophie Élizéon qui a rappelé que, si importante soit l’aspiration à construire des métavers respectueux et inclusifs, il ne fallait pas oublier l’État de droit et qu’il fallait se garder de toute surrèglementation. Parmi les propositions du rapport, la préfète a notamment salué l’idée d’un bouton qui permet aux résidents des métavers de s’isoler des autres au sein d’un « abri numérique ». Elle a appelé à poursuivre les rencontres autour du rapport de Respect Zone, estimant que c’est en anticipant ces questions que des mondes virtuels plus respectueux de la dignité pourront se construire.