M&A des services financiers : l’angle mort du contrôle des investissements étrangers
Si l’annonce du rachat de la banque Banco BPM par UniCredit est significative, ce n’est pas tant en raison de son montant (14 Mds€), lequel témoigne de la vigueur actuelle du M&A dans les services financiers, que de la volonté des pouvoirs publics italiens de considérer le secteur de la finance comme une activité sensible en le sanctuarisant par une “golden share”. Une position qui devrait faire florès au-delà de la Péninsule. Pascal Dupeyrat, fondateur du cabinet Relians consulting, et Alexandre Capel, juriste doctorant, expliquent pourquoi.
Vous dressez le constat de la multiplication des fusions-acquisitions dans les secteurs financiers. Quelles opérations récentes appuient ce constat ?
Aux quatre coins du globe, les grandes manœuvres sont en cours dans le secteur de la finance et les megadeals semblent s’enchaîner à un rythme effréné. Aux États-Unis, c’est le rachat de Discover Financial Services par Capital One pour 35,3 Mds USD qui a marqué l’année 2024, faisant de ce dernier le premier acteur du secteur des prêts à la consommation. En Europe, ce sont les rachats de Banco Sabadell par BBVA (13,4 Mds USD) ou encore l’acquisition d’AXA IM par le Groupe BNPP (5,4 Mds USD) qui ont participé au mouvement de consolidation dans les secteurs bancaires et de la gestion d’actifs. La Chine, enfin, ne fait pas exception, avec la fusion record entre Guotai Junan Securities et Haitong Securities (14,5 MdsUSD). Par ailleurs, l’annonce d’une déréglementation des services financiers aux États-Unis couplée à une volonté européenne de constituer des champions de taille continentale valident les prémices d’une année 2025 qui s’annonce tout aussi stratégique que 2024. Preuve en est avec l’annonce, aux États-Unis par LPL Financial de son intention d’acquérir Commonwealth Financial Network pour 2,7 Mds USD, ou encore celle, en Italie, de Monte dei Paschi di Siena de prendre le contrôle de Mediabanco pour 13, 3 Mds USD.
En quoi les services financiers sont-ils un secteur sensible ?
Le point commun de nombre de ces dossiers, a fortiori lorsqu’ils sont transfrontaliers, est la réticence des gouvernements à voir un actif stratégique échapper à leur contrôle ou, pire encore, passer sous pavillon étranger. S’il est acquis que pour les fusions et acquisitions dans le secteur financier, plusieurs autorisations réglementaires sont généralement requises, tant au niveau national que supranational (approbation des autorités de la concurrence au titre de l’antitrust, approbation des autorités sectorielles compétentes (la Fed aux États-Unis, la BCE en Europe auxquelles s’ajoutent les autorités de marché et de contrôle prudentiel des états membres), ce réflexe est moins évident en matière d’autorisation préalable de sécurité nationale pour les opérations transfrontalières. Pourtant, la question se pose spécifiquement en matière de contrôle des investissements étrangers. Nul doute que les services financiers, dont le rôle est d’assurer la stabilité monétaire, la liquidité des marchés, la sécurité des transactions, le soutien à la croissance économique voire dans le cas européen à réaliser l’« union bancaire », sont des activités sensibles. Cela est d’autant plus vrai dans le contexte actuel de compétition et de décrochage du marché européen, tel que mis en avant par les rapports Letta et Draghi sur la compétitivité de l’Europe.
Sur ce plan, on peut déjà se féliciter de la prise en compte, sans équivoque, du caractère stratégique pour la sécurité économique et la résilience de l’économie de l’Union du secteur financier par la proposition (1) européenne de règlement sur le filtrage des investissements étrangers. Si celle-ci devait d’aventure être adoptée, les États membres seraient tenus d’intégrer dans leur droit national cette protection sectorielle spécifique aux services financiers.
Quelle est la teneur du contrôle des investissements étrangers s’agissant des services financiers en France ?
Dans l’hexagone, si leur criticité est parfaitement identifiée puisqu’elle est reconnue par le dispositif de sécurité des activités d’importance vitale (SAIV) qui vise à assurer la protection physique et cyber d’opérateurs (publics ou privés) identifiés comme indispensables pour la continuité d’activité de la Nation, la réglementation sur le contrôle des investissements étrangers (IEF) est étrangement silencieuse à ce sujet, puisqu’elle ne les vise pas expressément. Or, il est plus que probable qu’en cas d’acquisition d’une entreprise financière française par un investisseur étranger, l’État ne puisse rester les bras ballants. D’une manière ou d’une autre, on peut raisonnablement penser que le contrôle s’appliquera. Reste à savoir, à ce stade, si l’intervention de l’État se fera en vertu d’une disposition réglementaire qui aura été préalablement intégrée au code monétaire et financier à la faveur d’un décret ou d’un arrêté ou dans la précipitation comme cela a déjà été le cas par le passé (nous pensons en particulier au décret n° 2005-1739 du 30 déc. 2005, dit « Villepin » adopté en réponse aux rumeurs qui prêtaient à PepsiCo des intentions de rachat hostile de Danone, de l’adoption du décret n° 2014-479 du 14 mai 2014, dit « Montebourg » en réaction au rachat d’Alstom par General Electric ou bien encore au rapatriement des activités de biotechnologies dans celui des activités sensibles du contrôle IEF par simple arrêté du 27 avril 2020 lors de la crise Covid).
Quel est l’enjeu ?
Il en va de la prévisibilité du droit et de la prédictibilité des décisions de contrôle, deux caractéristiques auxquelles est fortement attachée la communauté des affaires et des investisseurs ! Cette préoccupation se comprend d’autant plus aisément lorsque l’on relève que les opérations consolidantes susmentionnées sont généralement des opérations de marché qui doivent, en cela, suivre les procédures d’offres publiques (OPA, OPE) et respecter les principes directeurs de celles-ci (citons notamment les principes d’égalité de traitement et d’information des personnes concernées par l’offre, de transparence et d’intégrité du marché ou encore de loyauté dans les transactions et la compétition). On ne peut qu’espérer que l’élaboration du droit ne suive pas la voie qu’emprunte généralement le droit de la régulation bancaire et financière qui ne tend à se réformer qu’après la survenance de crises, nécessaires, semble-t-il, pour mettre au jour ses insuffisances. Cet angle mort de la réglementation actuelle du contrôle des investissements étrangers en France mérite donc à coup sûr une rapide clarification des pouvoirs publics. Il faut bien comprendre que s’il s’agit, à ce stade, d’un enjeu purement juridique, c’est en réalité un enjeu politique qui se dessine en filigrane, l’opinion publique étant désormais prise d’une fièvre patriotique pour ses fleurons industriels… Mais aussi financiers.