Lutte contre les escroqueries financières
Mardi 17 septembre dernier, l’Autorité des marchés financiers (AMF) et le Parquet de Paris ont tenu une conférence de presse commune au tribunal de grande instance, afin d’alerter le grand public sur les escroqueries aux placements financiers qui deviennent, selon les mots du procureur de la République Rémi Heitz, un phénomène préoccupant.
«Le sujet n’est pas nouveau », a commencé le magistrat en disant qu’il y a moins de trois ans, en mars 2016, l’autorité judiciaire et l’autorité administrative avaient déjà fait cause commune pour avertir des dangers du Forex et des placements binaires. Malgré l’émergence de nouveaux outils pour lutter contre ces pratiques, celles-ci n’ont pas cessé et se sont au contraire amplifiées. « L’estimation des sommes perdues par les épargnants est de 1 milliard d’€ sur deux ans », annonce Rémi Heitz, qui considère que ce chiffre est largement sous-évalué, nombre de personnes ainsi lésées n’ayant pas signalé les infractions dont elles sont victimes, car elle se sentent coupables d’avoir été flouées. Les autorités veulent donc communiquer sur ses questions, pour pousser les épargnants à être vigilants et à porter plainte. « Malgré l’arsenal juridique renforcé dont nous disposons depuis la loi Sapin II et la loi Pacte, nous ne parvenons pas à limiter les dégâts causés par de purs escrocs » relève Robert Ophèle, président de l’AMF. « Nous ne pouvons que mener des actions préventives et résolues, et essayer de comprendre le phénomène, en étudiant le mode opératoire et le profil des victimes ».
Des victimes plus nombreuses
Le service dédié de l’AMF, AMF épargne Info Service, diffusera sur internet une série de spots, rassemblant les témoignages de véritables victimes de ces pratiques et incitant à les contacter avant de se faire piéger par la poule aux œufs d’or. Le procureur de Paris révèle que les victimes de ces pratiques, qui deviennent de plus en plus sophistiquées, sont toujours de personnes qui recherchent des placements rémunérateurs, car les produits institutionnels ont actuellement des rendements très faibles. Ce sont en général des personnes âgées, pas très entourées et mal conseillées.
Les victimes perdent tout, voire s’endettent. Malgré les alertes de leur conseiller bancaire, elles culpabilisent, n’en parlent pas à leurs proches et espèrent toujours récupérer leurs pertes en faisant d’autres placements qui sont aussi des arnaques.
Une enquête réalisée par l’AMF auprès des banques confirme ce constat. Laurent Combourieu, directeur des enquêtes au sein de l’Autorité, explique que quelque 65 % des personnes sollicitées ont plus de 50 ans et que les sommes investies par les personnes de cet âge représentent plus de 80 % des fonds collectés (et perdus). Et si la tranche d’âge de 60 ans et plus est davantage ciblée, aucune classe d’âge n’est à l’abri de ce genre d’escroquerie, y compris les petits épargnants. Les retraités et les employés sont les plus touchés, mais les personnes sans profession sont visées. L’étude démontre qu’en ce qui concerne la zone géographique, la région Provence-Alpes- Côte d’Azur est surreprésentée (17,3 % des sommes investies), suivie de l’Auvergne-Rhône-Alpes et de l’Occitanie, alors que l’île-de-France est peu représentée.
Mode opératoire
« Ces escroqueries sont toujours commises par la voie d’internet ou par téléphone, il n’y a jamais de rencontre physique avec la personne qui se présente comme le ‘conseiller financier’ », observe Rémi Heitz, pour qui cette absence de rencontre physique devrait mettre la puce à l’oreille de l’épargnant méfiant. Ce que l’on peut appeler une « arnaque » débute en général via un site internet, d’apparence sérieuse, qui propose d’investir dans des diamants, des terres rares, des cryto-monnaies, des grands crus, du cheptel ou tout cela à la fois.
« Ces escroqueries sont, en général conduites depuis l’étranger, depuis un call center avec un numéro français, animé par des personnes formées au discours manipulatoire » révèle le Parquet. Et c’est d’abord une faible somme que la personne ciblée est incitée à placer, autour de 1 000 €, selon les observations des enquêteurs. Le taux de rémunération est alléchant, mais raisonnable. L’investisseur est poussé à ouvrir un compte, pour pouvoir suivre ses placements en temps réel. L’argent investi est viré sur un compte dans l’Union européenne, pour repartir très rapidement vers des pays où la réglementation est moins stricte. Assez rapidement, les sommes versées ont un rendement intéressant, les 1 000 € deviennent 1 200 ou 1 300 €. Lorsque l’investisseur veut récupérer son argent, on lui demande systématiquement des frais, de douane, de garde, etc. « C’est à ce moment-là que le numéro de téléphone et tous les moyens de contact avec le personnel disparaissent », indiquent les services du Parquet, qui ajoute que le mouvement se joue en deux temps, l’investisseur étant souvent sollicité à nouveau, parfois par une autre entité, pour investir une seconde somme.
« Les escrocs s’échangent les dossiers et parfois, leur assistance auprès de la personne ciblée confine au harcèlement », dit Rémi Heitz qui révèle que dans ces dossiers, les interlocuteurs de la victime emploient souvent, pour impressionner les victimes et ancrer leur boniment dans la réalité, des noms de policiers, voire de magistrats. Le parquet rapporte d’ailleurs le cas d’un couple de 84 ans, qui a perdu la somme de 488 000 € ensuite d’arnaques multiples, leurs interlocuteurs successifs prétendant être du Fisc, de l’Autorité européenne des marchés financiers, de la Banque de France, etc.
L’étude AMF a également relevé la « professionnalisation » de ces pratiques, les auteurs de ces infractions travaillant avec deux types de sous-traitants : certains souvent de bonne foi, qui réalisent le site internet ou le promeuvent, d’autres complices des escrocs, qui récupèrent les bases de données, montent les call centers ou ouvrent des comptes de collecte. Ils constatent que les escrocs sont très agiles, et très adaptables, passent facilement d’une arnaque à l’autre et n’hésitent pas à « faire de la retape », c’est à dire à solliciter à nouveau une victime en se faisant passer pour des avocats ou des administrations fiscales afin d’obtenir de nouveaux versements de fonds.
Surveiller les listes noires et blanches et signaler les sollicitations suspectes
AMF Epargne Info Services insiste sur le fait que la mobilisation des épargnants eux-mêmes, qui sont le premier veilleur de l’Autorité, est indispensable. « Il ne faut pas hésiter à nous contacter », lance Robert Ophèle. L’Autorité tient des listes noires et des listes blanches qui peuvent être consultées très facilement par les investisseurs et par leurs conseillers, et aussi par les associations de défense des épargnants. En 2019, la liste noire, qui répertorie désormais plus de 1 000 entités suspectes, s’est enrichie de 119 nouveaux noms. « Il faut aussi être attentifs aux sites qui clonent des pages web de grands banques », lance un intervenant, signalant que pas moins de 59 « clones » du site web d’une banque connue avaient récemment été relevés.
Côté listes blanches, les acteurs assurantiels et les agents financiers viennent régulièrement grossir les rangs des intermédiaires agréés.
Claire Castanet, directrice des relations avec les épargnants avec l’AMF, annonce que l’Autorité a obtenu la fermeture de 178 sites. « Nous avons des audiences de blocage tous les deux mois ». Mais en dépit de la réactivité de l’Autorité, les sites peuvent réapparaître très rapidement sous d’autres formes.
L’Autorité annonce d’ailleurs le lancement d’une application sur smartphone, qui permettra l’accès aux listes noires et le signalement des arnaques. « Cela pourra être utile aux conseillers bancaires », estime Claire Castanet.
Robert Ophèle répète toutefois que si la consultation des listes est indispensable, cette mesure de prévention reste insuffisante pour lutter contre ce qu’il n’hésite pas à qualifier de « fléau ». « La vigilance doit être intégrée par tous, des épargnants aux autorités, en passant par les intermédiaires financiers, car ce ne sont pas seulement des cas anecdotiques, mais un phénomène dévastateur ».
« Avec le développement du numérique, les contacts physiques avec son banquier ou son conseiller financier sont de moins en moins fréquents. C’est sur ce terreau que prospèrent ces arnaques en ligne », a conclu Rémi Heitz.