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L’IBA entend replacer le juridique au centre des débats démocratiques

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Il fallait voir plus qu’un symbole dans l’arrivée à la présidence de l’International Bar Association (IBA) d’une femme, Almudena Arpón de Mendívil y Aldama, en janvier dernier. Le fait que la conférence annuelle de l’institution se tienne à Paris, du 29 octobre au 3 novembre prochains, n’a également rien d’anodin. Elle est conçue comme un moment fort, au croisement des sujets de société et des thématiques propres à la profession juridique. Entretien avec une passionnée du droit, convaincue du rôle que celui-ci doit jouer dans nos sociétés en 2023.

L’IBA a choisi de prendre ses quartiers à Paris pour y tenir sa prochaine conférence annuelle, à compter de fin octobre. Quelle est votre ambition pour ce rassemblement ?

Almudena Arpón de Mendívil y Aldama : Avec cet événement annuel, auquel doivent assister des avocats venus du monde entier, notre souhait consiste à promouvoir l’échange de vues sur les questions les plus pressantes du droit, pour promouvoir l’amélioration de la pratique juridique. Surtout, notre ambition est l’utilisation du droit comme élément contributeur au changement, pour améliorer la base sur laquelle les affaires et la société en général peuvent se développer. Nous voulons avancer sur des questions liées au droit des affaires (corporate M&A, résolution des litiges, etc.), aux questions qui concernent notre profession (indépendance, secret professionnel) ainsi que la protection des droits fondamentaux. Par-dessus tout, nous aspirons à mettre en lumière le rôle essentiel de la profession pour servir l’État de droit et les valeurs démocratiques. Il nous paraît en effet important de faire coïncider les grands thèmes de la conférence de Paris avec les priorités définies par l’IBA pour la période 2023-2024 : mettre en valeur l’importance de la profession juridique pour contribuer à l’évolution de la société et apporter la preuve de notre capacité à répondre à ses besoins ; le rôle du secteur juridique dans l’agenda l’ESG ; contribuer à l’accomplissement de l’égalité des genres dans le secteur légal, spécialement dans les positions de direction ; et préparer la profession juridique pour le futur.

En quoi est-ce essentiel à vos yeux actuellement ?

A. A. M. : Nous avons besoin des échanges entre les meilleurs professionnels des différentes juridictions, avec des bagages culturels différents pour maintenir un dialogue constructif sur des questions juridiques dans tous les domaines pour bien comprendre les tendances sur des affaires corporate, environnement, social. Cela s’avère encore plus essentiel alors que nous traversons une période où les attaques contre l’État de droit et les valeurs démocratiques se multiplient un peu partout dans le monde. C’est bien évidemment le cas en Ukraine, du fait du conflit armé, mais aussi en Israël ou au Mexique, où l’on connaît des actions menées à l’encontre de l’indépendance judiciaire, ou plus proche de nous encore, en Hongrie, en Pologne, etc. Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle se manifeste au sortir de la crise liée au covid et des bouleversements importants que celle-ci a engendrés. Encore plus que d’ordinaire, il y a une certaine urgence à ce que la profession juridique se pose comme le garant de l’État de droit et que les avocats et juristes participent activement à ce mouvement de fond. N’oublions pas que telle est la vocation de l’IBA : créée en 1947, au sortir des deux guerres mondiales, l’association a posé comme fondement la volonté d’intégrer dans un mouvement global les barreaux d’avocats et plus généralement les juristes de droit des affaires internationaux, afin de contribuer à la paix et à la stabilité dans le monde. La situation n’est certes pas aussi grave que ce que l’on connaissait à l’époque, mais l’IBA se doit plus que jamais d’être un lieu d’échange et d’analyse de la situation géopolitique et économique mondiale, pour mettre le droit au service des défis que la société doit relever. Le rule of law est plus que jamais un sujet de grande importance.

Vous êtes la deuxième femme à accéder à la présidence de l’IBA – et la première depuis vingt ans. Doit-on voir là justement un message ?

A. A. M. : La place des femmes au sein de la profession juridique demeure un sujet sur lequel nous devons être en mesure d’apporter des réponses concrètes, pour être en phase avec l’évolution de nos sociétés. Au sein des cabinets, la question du genre demeure extrêmement présente et prend diverses formes. D’une part, les femmes avocats ne parviennent que trop peu souvent à tenir des positions de direction dans les cabinets. L’arrivée de Christine Lagarde à la tête de Baker McKenzie remonte pourtant à octobre 1999, mais elles sont encore trop peu nombreuses à pouvoir suivre cet exemple – même si certains cabinets du magic circle de Londres ont souscrit à cette option. D’autre part, nous devons collectivement pouvoir offrir aux femmes la possibilité de concilier vie personnelle et vie professionnelle - faute de quoi nous ne pourrons pas attirer les talents, et encore moins les retenir. Cela étant, cette problématique concerne également les jeunes, quel que soit leur sexe. Les jeunes avocats ont une mentalité différente de leurs aînés et force est de constater que les cabinets sont devenus moins attractifs à leurs yeux. Étant donné que leurs priorités de vie sont différentes, il nous faut trouver les moyens de leur donner envie de s’épanouir professionnellement au sein de nos cabinets. Cette tendance sociétale forte doit nous interpeller : la perspective de gagner correctement sa vie ne suffit plus pour susciter les envies de carrières juridiques. Voilà pourquoi, une fois encore, nous devons promouvoir le fait que nous participons à l’État de droit, au quotidien. Autant de thèmes qui seront abordés au cours de plus de 300 sessions organisées par les différents comités de l’IBA pendant la semaine de notre conférence à Paris.

Les défis rencontrés par les professions juridiques sont véritablement multiples… A. A. M. : Absolument. Outre les aspects que nous avons évoqués précédemment – attraction et rétention du talent –, nous devons avoir en tête le pouvoir croissant des clients et la pression sur les honoraires, l’augmentation de la concurrence et donc le besoin de trouver de moyens de différentiation, ainsi que le mouvement de fond qu’est la montée en puissance du numérique. Pour continuer à tenir la place qui est la leur, les professionnels du droit doivent évidemment tenir compte de l’immixtion du digital dans leur quotidien, et notamment de l’intelligence artificielle. Là encore, garder à l’esprit que le rôle le plus important d’un avocat est de devenir le trusted advisor de son client. Et rappeler que nous participons au maintien de l’État de droit avec notre contribution à l’amélioration des lois et, surtout, au correct fonctionnement de la justice. Le choix de la France pour notre rassemblement n’a d’ailleurs rien d’anodin : nous devons nous souvenir que votre pays est le berceau du droit et qu’il représente le mieux les valeurs démocratiques. Si l’on ajoute le fait que la profession juridique française est excellente, cela augure des échanges de très bonne facture entre les participants.