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« Les vieilles rancœurs entre associés ne disparaissent jamais totalement »

Par Ondine Delaunay

« Après vingt ans de barreau, j’ai tout perdu ». C’est ainsi que Sébastien Robineau a introduit, il y a un mois, une série de posts LinkedIn, très personnels, pour raconter sa descente aux enfers qui le conduira à mettre un terme à sa carrière d’avocat à 45 ans et à devenir médiateur professionnel, spécialisé dans les conflits entre associés. Des posts qui ont connu un succès fou avec près de 30 000 lectures et de nombreux appels d’avocats pour lui demander de les accompagner dans la gestion de leur litige interne. Il raconte à la LJA ce barreau qui souffre de ses conflits internes trop lourds à porter. 

Pourquoi avoir raconté publiquement
votre histoire si personnelle ?

Mon divorce, houleux, a entraîné le dépôt de bilan de mon cabinet d’avocats, que j’avais monté en 2013 à grands coups de communication. J’ai mis du temps à accepter la situation, qui a été difficile autant d’un point de vue humain que financier bien sûr. Puis je suis finalement reparti dans une autre aventure entrepreneuriale.

Cet été, en faisant le point sur ces étapes que j’avais traversées, je me suis dit que mon expérience devait servir aux autres. Je sais que le barreau souffre en ce moment, de nombreux cabinets sont dans le rouge, j’ai voulu leur tendre la main. J’ai alors publié sur LinkedIn quatre posts pour témoigner de ma situation et expliquer comment j’ai pu surmonter mes difficultés. Mon objectif était de rassurer les avocats : n’ayez pas peur, avec un peu de travail sur soi et de la résilience, on peut toujours tout reconstruire. Le secteur des cabinets d’avocats compte quelques Castafiores, à qui va chanter le mieux et le plus fort. Mais nombre d’entre eux se retrouvent en liquidation et ne s’en remettent jamais, ils sont effondrés.

En quoi votre expérience peut-elle servir aux autres ?

Lorsque mon cabinet a été liquidé, j’avais 45 ans. Je ne pouvais pas recréer de cabinet, je ne pouvais plus m’associer. Au mieux, je pouvais être collaborateur mais, au regard de mon parcours d’ancien managing partner de cabinet d’affaires, je m’imaginais mal frapper à la porte de mes confrères pour leur demander une place.

Le droit était pour moi une passion. J’ai donc cherché à poursuivre ma carrière en entreprise. Mais lors de mon premier entretien, le directeur juridique qui m’avait reçu m’a fait remarquer que j’étais trop senior pour être employé comme juriste. J’ai compris qu’il avait peur pour son poste de directeur juridique. Quelles étaient mes options ? Il fallait que je travaille absolument, j’avais trois enfants à ma charge.

En décembre 2018, je me suis lancé et je suis devenu médiateur, spécialisé dans la gestion des conflits. Mon objectif est d’accompagner les professionnels du droit dans la résolution de leurs conflits de gouvernance, de les aider à dénouer les tensions, les vieilles querelles pour permettre à l’équipe de retrouver une dynamique saine et positive.

Ces sujets de risque de faillite sont
très peu abordés officiellement…

Effectivement, les avocats ne sont pas formés, ni à l’École du barreau, ni par l’Ordre ensuite pour appréhender ces éventuelles difficultés. Pourtant, de nombreux avocats souffrent aujourd’hui. Je pense par exemple à ceux qui sont âgés de 50 ans ou plus, qui n’ont pas forcément pris le tournant digital, et se retrouvent dans une situation parfois difficile à un moment de vie où ils n’ont plus envie de faire l’effort de tout recommencer. Les notaires ne sont pas épargnés, certains ont du mal à se remettre de la crise du covid. Ces professionnels intellectuels et prestigieux, CSP+ par nature, peuvent vaciller. Ils ont parfois été dans le déni, à ne pas voir que le mur arrivait. C’est alors un conflit avec soi-même qu’ils doivent d’abord régler. Effacer les larmes pour repartir du bon pied.

Les tensions entre associés au sein des cabinets se sont également multipliées, dans le contexte postpandémie…

C’est certain. Nous sortons tous d’une période traumatisante durant laquelle nos libertés ont été restreintes, nous avons été enfermés, parfois tétanisés par notre santé. En ressortant de ces quelques mois, nous avons voulu effacer cet épisode de notre mémoire. Mais ce choc a eu des conséquences sur tous les individus, quels que soient leur âge ou leur genre, qui ont revu leurs fondamentaux de vie. La maturité de leurs réflexions étant terminée depuis environ 18 mois, les conflits ont émergé avec un effet retard.

Il n’y a jamais eu autant de litiges devant les Ordres. Des associés qui ne s’entendent plus, qui n’ont plus le même chemin de vie et dont le cabinet fini par exploser. Ou alors des associés qui n’ont jamais réglé un conflit ancien, mais qui se réinvestissent dans un projet entrepreneurial commun avec d’autres avocats. Les vieilles rancœurs ne disparaissent jamais totalement, elles sont prêtes à refaire surface au moindre signal entraînant une relation toxique et parfois destructrice au sein des structures.

En tant que médiateur, mon rôle n’est pas simplement d’aider à résoudre le conflit de gouvernance. Il est essentiel de ne pas se contenter des symptômes. Il faut aller chercher la racine du conflit. Je rencontre toujours individuellement chacun des protagonistes pour comprendre la vision qu’ils ont du blocage, puis je les rassemble tous lors d’une séance plénière. Bien souvent, je comprends que le conflit a des origines plus anciennes. Il s’agit alors de réaliser une médiation dans la médiation, de dégrossir le sujet initial pour ensuite redonner une vision commune aux associés.

Qu’en est-il dans les grands cabinets d’affaires ? Les tensions portent-elles principalement
sur des questions financières ?

Les sujets financiers sont bien souvent épidermiques dans les cabinets d’affaires. Je pense par exemple à un dossier que j’ai suivi sur la question du cross-selling et de la rémunération de l’apport d’affaires. Rétrocéder une partie de sa rémunération à l’associé qui apporte un dossier pose question, car l’apport d’affaires reste interdit par le règlement intérieur national (RIN) des avocats. Mais dans les faits, pour attirer les étoiles montantes, fortement génératrices de chiffre d’affaires, il convient d’adapter les cabinets aux réalités économiques modernes. Il est donc essentiel de prévoir ces situations de cross-selling et de rémunération dans le pacte d’associés. Sinon le cabinet fonctionnera en mode silo, et les associés profiteront du mercato pour s’installer ailleurs, suivis de leurs clients.