Les programmes fiscaux des présidentiables au banc d’essai
Quels programmes fiscaux les candidats à la présidence de la République nous réservent-ils ? Des fiscalistes se sont penchés sur le réalisme et l’applicabilité de ces mesures à l’occasion d’un petit-déjeuner organisé par Lefebvre Dalloz, en partenariat avec le Cercle des fiscalistes, le 15 mars dernier.
En 2017, les principaux candidats à l’élection présidentielle avaient pour objectif de recouvrer la confiance des épargnants, qui avait été fortement érodée après le quinquennat de François Hollande. À l’époque, les présidentiables promettaient une sortie de l’ISF et la création de la flat tax. Cinq ans plus tard, à quelques semaines de l’échéance, aucun candidat n’a semble-t-il un programme fiscal abouti. « En 2022, les programmes sont beaucoup moins disruptifs que ne pouvaient l’être ceux de 2017 : on recourt beaucoup plus à de la cosmétique, qu’à de l’évolution, voire de la révolution fiscale », introduit Philippe Bruneau, président-fondateur du Cercle des fiscalistes.
Les mesures de cette campagne présidentielle ne sont pas ambitieuses, les candidats étant coincés entre un mur de dettes et un pouvoir d’achat en berne. « Les programmes fiscaux ont été rédigés en 2021, c’est-à-dire dans l’ancien monde, ajoute le président-fondateur du Cercle des fiscalistes. Or, aujourd’hui, les sanctions infligées à la Russie laissent penser qu’une période de stagflation pourrait se profiler dans les prochains mois. Cela devrait normalement inciter tous les candidats dignes de ce nom à adapter leur programme, en se focalisant sur ce qui était déjà l’une des priorités, mais qui va le devenir encore plus de manière très prégnante dans les prochains mois : le pouvoir d’achat ».
Le pouvoir d’achat, souci majeur des Français
La candidate Valérie Pécresse souhaite ramener de 8,3 % à 5,9 % - moins 2,4 points – le taux de la cotisation vieillesse à la charge des salariés qui perçoivent une rémunération n’excédant pas 2,2 Smics. « C’est la seule proposition véritablement structurante, car elle procurerait un gain de pouvoir d’achat de l’ordre de 2,6 % aux salariés visés, sans alourdir les charges de production des employeurs », considère Jean-Yves Mercier, avocat honoraire, ancien associé de CMS Francis Lefebvre Avocats et membre du Cercle des fiscalistes. Le coût de cet allègement serait élevé, étant donnée l’importance des rémunérations concernées dans le total des salaires versés en France : largement plus que 10 Mds€. L’objectif de la candidate est de le faire financer par l’impôt, sans préciser quels seront les impôts sollicités. Le candidat Éric Zemmour entend, quant à lui, baisser de façon drastique la CSG des travailleurs modestes du secteur public et privé, ainsi que celle des indépendants, afin de leur permettre de toucher l’équivalent d’un 13e mois. Cette mesure serait dégressive sur les revenus compris entre le Smic et le salaire médian (24 242 € en 2021). Jean-Yves Mercier estime que cette proposition se heurte à de graves obstacles : « Le gage que le candidat présente, pour financer sa baisse de CSG, est la suppression des aides sociales non contributives pour les étrangers hors Union européenne (telles que les allocations familiales, le RSA, les aides au logement, le minimum vieillesse, etc.). La perte budgétaire induite par une baisse de cette ampleur se chiffrerait à plusieurs dizaines de milliards d’euros et serait donc loin d’être compensée par le gage avancé. Sa mise en oeuvre se heurterait à des obstacles d’ordre constitutionnel et à la difficulté pratique que comporte l’application de taux de CSG gradués ». Marine Le Pen annonce, pour sa part, que le taux de la TVA baissera de 20 à 5,5 % sur les produits énergétiques (carburants, fioul, gaz et électricité). « C’est une mesure qui est très attendue par l’électorat, mais la candidate est bien placée pour savoir, puisqu’elle a été députée européenne, que la France ne dispose d’aucune marge de manoeuvre en la matière, ajoute Jean-Yves Mercier. Cette baisse requiert l’accord unanime des États membres de l’Union européenne étant donné que les produits visés ne figurent pas actuellement sur la liste limitative des biens que ces États sont en droit de soumettre au taux réduit ». Cela est tout sauf gagné.
La fiscalité écologique fait son entrée dans les programmes
Partant du postulat – très discutable – que les plus riches seraient ceux qui émettraient le plus de CO2, Anne Hidalgo propose d’instaurer un ISF climatique, auquel seraient assujettis les foyers ayant un patrimoine d’une valeur nette d’au moins 1,3 M€. La version de Yannick Jadot serait plus sophistiquée, puisqu’il s’agirait d’indexer l’impôt sur la fortune sur les émissions de gaz à effet de serre induites par les placements financiers des ménages les plus riches. Évalué à 4,3 Mds d’euros par an, le produit de l’ISF vert serait dédié en totalité à un fonds d’accompagnement de la transition écologique, destiné notamment à accompagner les ménages les plus modestes.
Plusieurs critiques ont été formulées à l’encontre de l’ISF climatique. Tout d’abord, le fléchage de ce produit semble incompatible avec le principe d’universalité budgétaire. Ensuite, il pourrait avoir pour conséquence de faire fuir les contribuables les plus fortunés, ce qui serait contreproductif car la France perdrait alors les autres recettes fiscales générées par ces contribuables (impôt sur le revenu, prélèvements sociaux, TVA, etc.). Enfin notre pays représente seulement 0,9 % des émissions de CO2 de la planète. « À l’heure actuelle, il est probablement difficile de faire beaucoup mieux, lance Frédéric Douet, professeur de droit fiscal à l’université de Rouen-Normandie et membre du Cercle des fiscalistes. La solution pourrait être d’instituer une taxe carbone qui pèserait sur les produits manufacturés importés au sein de l’Union européenne, mais une telle taxe serait probablement répercutée sur les consommateurs ».
L’héritage et la transmission patrimoniale
Quasiment tous les candidats se sont emparés du thème de la fiscalité successorale. Schématiquement, les candidats de gauche veulent taxer davantage les plus grosses successions. Mais presque tous veulent alléger les droits sur les successions de taille moyenne, en relevant l’abattement applicable en ligne directe de 100 000 € à 200 000 €, voire 300 000 €. « Il faut avoir à l’esprit que 75 % des successions échappent déjà à l’impôt. En 2020, sur les trois successions sur dix ayant donné lieu au paiement de droits, seules 3 % ont généré plus de 100 000 € de droits, souligne Philippe Bruneau. Actuellement, les droits de succession représentent annuellement environ 12-13 milliards d’euros, contre 2-3 milliards d’euros pour les droits de donations, donc ce sont des montants certes importants, mais qui pèsent finalement peu par rapport à toutes les autres grandes impositions ». En 2021, la publication des rapports sur le thème de la fiscalité successorale se sont multipliés : citons le rapport Blanchard Tirole, celui de l’OCDE, ainsi que les notes, dévoilées en fin d’année, de la Direction générale du Trésor, du Conseil d’orientation des retraites et du Conseil d’analyse économique (CAE), qui ont fait couler beaucoup d’encre. Leur point commun est de dire qu’il faut taxer davantage les plus grosses successions, le but étant de lutter contre les inégalités. Comment ? En supprimant tout un tas de niches fiscales, notamment le rapport fiscal, en taxant davantage les donations en nue-propriété, en supprimant le pacte Dutreil et en taxant davantage les capitaux qui sont transmis par le biais de l’assurance vie. « Tous ces rapports et notes raisonnent sur des données collectées entre 2002 et 2010, mais pas au-delà. Or il s’est quand même passé un certain nombre de choses depuis, rappelle Philippe Bruneau. Et si nous surtaxons davantage les très grosses successions, il va se passer la même chose que pour l’ISF - que nos voisins européens, notamment les Belges, appelaient ‘’l’invitation à sortir de France’’-, c’est-à-dire un exil fiscal des plus fortunés ». Par ailleurs, trois candidats se sont positionnés sur la problématique du patrimoine professionnel. Jean-Luc Mélenchon souhaite taxer à 100 % les patrimoines supérieurs à 12 M€ lors d’une succession, sans aucune distinction sur la nature des biens taxés. « Au mieux, il nationalisera la plupart des PME et toutes les ETI, au pire il les acculera, soit à la session, soit à la délocalisation, soit à la faillite », estime le président-fondateur du Cercle des fiscalistes.
Éric Zemmour souhaite, quant à lui, exonérer de droit de succession les entreprises familiales, mais oublie de définir à partir de quel niveau d’actionnariat familial une entreprise est considérée comme telle. Enfin Nicolas Dupont-Aignan, « le plus pragmatique », veut faire passer l’abattement de la loi Dutreil de 75 % à 90 %, ce qui revient à presque totalement exonérer les transmissions d’entreprises intrafamiliales.
Accroître la compétitivité des entreprises
Concernant les mesures des différents candidats, relatives à la compétitivité des entreprises, ressurgit de la part de la gauche tout un ensemble de propositions visant à alourdir l’impôt sur les sociétés pesant sur les grandes entreprises. Yannick Jadot drape son projet sous les couleurs de l’écologie : un bonus-malus climatique serait introduit dans la fiscalité des entreprises en fonction de la nature des activités. « S’il est possible de graduer le taux de l’impôt sur les sociétés en fonction de l’importance du bénéfice et/ou du chiffre d’affaires de l’entreprise, l’instauration d’une différenciation des taux qui serait fondée sur la nature de l’activité exercée aurait toute chance d’être regardée par le Conseil constitutionnel comme portant atteinte à la liberté d’entreprendre en ce qu’elle pénaliserait le choix d’exercer certains types d’activité », indique Jean-Yves Mercier. On voit aussi apparaître la promesse de supprimer totalement la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, laquelle vient tout juste d’être baissée de moitié, et celle de supprimer la cotisation foncière des entreprises. Ces deux cotisations, qui forment ensemble la contribution économique territoriale (CET), représentent une part significative des recettes des collectivités territoriales. « Il reviendrait donc à l’État de réallouer à celles-ci, par prélèvement sur le produit d’autres impôts, les recettes que ces suppressions leur feraient perdre, estime Jean-Yves Mercier. On assisterait ainsi au même tour de passe-passe que celui auquel on vient de se livrer avec l’exonération de la taxe d’habitation ».
Les grandes absentes des programmes
Deux problématiques majeures sont totalement absentes du débat, alors que leur poids budgétaire est énorme et les enjeux considérables : les mesures liées à la TVA (environ 100 Mds€ de recettes cette année) et les niches fiscales, ces dernières ayant un coût annuel pharaonique de 100 Mds€. « Les deux crises que nous connaissons en ce moment nous obligent à trouver des recettes, relocaliser notre économie et les emplois afférents sur notre territoire, et à initier de vrais changements favorables à la transition écologique, résume Philippe Bruneau. Or nous avons une arme fiscale qui permet d’atteindre ces trois objectifs : l’augmentation du taux normal de TVA ». L’augmenter revient, selon le président-fondateur du Cercle des fiscalistes, à taxer les importations. Et freiner les importations revient à abaisser les émissions de gaz à effet de serre. Les marges de manoeuvre existent car dans l’Union européenne, 16 États appliquent un taux de TVA plus élevé que le nôtre.
Enfin, la TVA déjoue, selon lui, l’optimisation fiscale : on peut optimiser un bénéfice, pas un chiffre d’affaires. « Une hausse de la TVA, associée à une baisse corrélative, par exemple, de la CSG ou de tout impôt qui prélève les revenus, aurait tout son sens. Quelles que soient les variations de taux de TVA, celles-ci sont absorbées par les entreprises, donc les prix restent les mêmes, sauf pour les secteurs administrés, tels que l’électricité ou le gaz », ajoute-il. Concernant les 500 niches fiscales existantes, le rapport de l’Inspection générale des finances de 2011 déclare que 53 % d’entre elles sont inefficaces. « Ce rapport détaillant l’utilité de chaque niche, l’audit est réalisé. Il serait judicieux de supprimer les plus emblématiques et les plus coûteuses, mais cette mesure demande du courage politique », conclut Philippe Bruneau.