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Les freins à l’amiable : un éclairage psychologique

Par Anne Portmann

À l’occasion de la semaine de l’amiable, les barreaux de Marseille et d’Aix-en-Provence ont présenté, jeudi 17 octobre 2024, une étude confiée au cabinet Egidio, avec le soutien de l’université d’Aix-Marseille. Interview de Gilles Riou, président fondateur du cabinet Egidio

Qu’est-ce qui est à l’origine de cette étude ?

J’avais été invité à un colloque franco-canadien, organisé à la faculté de droit, en octobre 2023, intitulé « Regards croisés France/Québec : l’essor et l’adaptation des MARD/PRD dans un contexte de crise ». À cette occasion, je me suis trouvé assis aux côtés du premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et de fil en aiguille, nous avons discuté de l’aspect psychologique de l’amiable et des avocats de la commission MARD du barreau de Marseille se sont joints à la conversation. C’est dans ces conditions qu’a émergé ce projet. La cour d’appel d’Aix a formalisé ces échanges en proposant une convention de partenariat et très rapidement, le barreau de Marseille s’est joint à l’étude, suivi enfin par le barreau d’Aix.

Comment avez-vous travaillé ?

Le cabinet, spécialisé dans les enquêtes internes en entreprise, qui compte sept personnes, a travaillé selon la méthode de la recherche-action, éprouvée en sciences sociales, qui a mobilisé plus de 100 acteurs dans le ressort de la cour d’appel d’Aix-en-Provence (entretiens individuels et focus groupes) et recueilli les réponses de plus de 300 professionnels. Le fait que le barreau d’Aix nous ait rejoint alors que l’étude était déjà lancée est assez typique de cette méthode de recherche, qui a pour but de fédérer et de créer un engagement de la part des acteurs du secteur.

Le premier enseignement de l’étude, et peut-être le plus important, est que l’amiable est aujourd’hui porté par l’engagement individuel, qui peut s’essouffler en l’absence de relais institutionnel, mais que quand une institution s’engage, elle facilite l’engagement des autres, pourvu qu’il y ait un projet de travail commun et concret, qui mobilise. Donc même si, en la matière, le ratio coût/bénéfices est important, il n’est pas pour autant essentiel.

Le rapport souligne également un enjeu de confiance entre magistrats et avocats qui pourrait constituer un frein à l’amiable. Pouvez-vous expliquer ?

L’enjeu de confiance entre avocats et magistrats est consubstantiel de leurs positions respectives et se double d’une autre difficulté. Le fondement de l’amiable est, en effet, de traiter le besoin avant la demande. Or, le contentieux est une demande, une demande de droit qui peut masquer des besoins plus profonds. L’aspect positif c’est qu’il est beaucoup plus facile de répondre à un besoin qu’à une demande, dans le sens où il existe toujours plusieurs manières de satisfaire un besoin, là où la demande appelle une réponse unique. Mais ce n’est est possible qu’à condition de comprendre d’abord et d’exprimer clairement son besoin ensuite. C’est souvent délicat, car le besoin relève de la sphère de l’intime, et montre notre vulnérabilité. Cette réticence existe entre les parties, mais aussi entre avocats et magistrats. Les avocats peuvent ainsi craindre d’exprimer trop clairement le besoin réel du client, de peur qu’une partie n’en abuse et à l’inverse, les magistrats craignent d’exprimer clairement leur sentiment sur le conflit et de risquer le préjugé. Pourtant, lorsque ces réticences sont surmontées, à l’aide d’une posture et d’une maîtrise méthodologique des outils, une estime profonde naît entre les parties. Des témoignages venant du ressort du tribunal judiciaire de Grasse, où une véritable culture de l’amiable entre magistrats et avocats nourrit une confiance réciproque, le montrent. Cette confiance est institutionnalisée auprès de la juridiction. Ainsi, le succès de l’amiable repose à la fois sur les individus et sur les institutions. Ce qui manque, c’est la possibilité de déployer la confiance de manière plus large, au niveau du ressort d’une cour d’appel, car elle existe bel et bien au niveau local. Il y a bien entendu une question de moyens dans la justice, il ne faut pas le nier, mais je pense qu’une partie de l’équation peut être résolue, dans un investissement maîtrisé par les parties prenantes, en mettant en place une forme d’expérimentation à un échelon comme celui d’une cour d’appel.

La question de l’économie de l’amiable est également abordée, qui a également été évoquée par les ambassadeurs de l’amiable dans leur rapport de juin 2024. Que pouvez-vous en dire ?

En tant qu’activité humaine, l’amiable suppose des ressources pour produire un résultat qui bénéficie suffisamment à chaque partie pour permettre de recommencer, en termes de temps pour les magistrats et de temps et d’argent pour les avocats. Le mécanisme de l’amiable ne peut pas reposer uniquement sur l’investissement des personnes et la satisfaction du beau geste, plein de sens. Aucun système de politique publique ne peut se fonder là-dessus sans nourrir une structure de risque psychosociaux majeurs. Dans le domaine de l’amiable, nous voyons d’ailleurs beaucoup de personnes, magistrats ou avocats, très investies et convaincues, qui finissent par épuiser leurs ressources faute de relais institutionnel. La mise en place d’une économie de l’amiable est essentielle pour apaiser les choses.

Quelles suites pour cette étude ?

Elle a fait l’objet d’une présentation le 17 octobre dernier, sous l’égide du premier président de la cour d’appel d’Aix et des bâtonniers d’Aix et de Marseille, appuyés par le vice-doyen délégué à la recherche de la faculté de droit. Nous verrons quelles suites seront données du côté judiciaire. Du côté universitaire, Aix-Marseille université (AMU) a d’ores et déjà réagi et un projet de partenariat est en cours avec la faculté de droit et de psychologie. Pour le reste, l’enjeu est que cette recherche action suscite suffisamment d’intérêt pour basculer dans une phase d’expérimentation soutenue et mobilise des moyens qui acteront ainsi l’engagement des parties prenantes.