Les femmes dans les professions juridiques et judiciaires
Mercredi 8 mars était célébrée la journée internationale des droits des femmes. De nombreux événements ont été organisés pour rappeler qu’il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à une égalité totale entre les sexes. Et c’est aussi parce que la rédaction est exclusivement féminine que la LJA a cherché à analyser où en sont les femmes dans les professions juridiques.
L’été dernier, le ministère de la Justice a nommé Laetitia Dhervilly au poste de haute-fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes (et non l’inverse). Elle a depuis la charge de renforcer tous les métiers de la justice pour les femmes et pour les hommes en veillant à promouvoir l’égalité d’accès aux métiers et aux responsabilités professionnelles. Car selon les chiffres de la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS), le taux de féminisation est assez inégal en fonction des métiers.
Chez les avocats
C’est chez les avocats que ce taux global est le plus élevé. Il a atteint 56,8 % au 1er janvier 2021. Mais il demeure disparate en fonction des régions. Dans les petits barreaux, il ne dépasse pas 27,2 % en Nouvelle Calédonie et 30 % à Mayotte. À l’inverse, Carpentras et Sens comptent tous deux 72,4 % de femmes. Dans les plus grands barreaux, le maximum est atteint à Bordeaux et Toulouse avec respectivement 61,8 % et 61,2 % de représentantes. Le barreau de Nice en revanche, ne compte que 52,6 % de femmes. Le cas de Paris est intéressant, car sur un total de 29 865 avocats, quelque 16 181 sont des femmes (54,2 %). Elles représentent actuellement deux tiers des entrées au barreau et deux tiers des entrées à l’EFB. L’avenir des cabinets serait-il donc à placer entre les mains des femmes ? Plusieurs grandes structures s’intéressent en tout cas à la question et n’hésitent pas à nommer une managing partner. On pourrait ainsi citer les cabinets Weil Gotshal & Manges avec Emmanuelle Henry, Hogan Lovells avec Xenia Legendre ou encore Squire Patton Boggs avec Carole Sportes, mais bien d’autres encore. Aucune statistique officielle ne vient pour le moment analyser l’évolution de la carrière des avocates à Paris. Il faut se tourner vers le baromètre de PwC Legal Business Solutions (anciennement DayOne) pour trouver une réponse. Selon les chiffres publiés en début d’année (cf. LJA 1573), le changement de cabinet constitue un levier promotionnel plus marqué chez les femmes que chez les hommes. Ainsi, les mouvements de femmes sont de plus en plus liés à l’association. Jérôme Rusak qui mène l’étude, explique : « Le poids des femmes dans les mouvements d’associés a augmenté progressivement depuis dix ans, passant d’environ 30 % des mouvements à plus de 40 % à partir de 2019. Depuis 2019, les chiffres ont oscillé entre 42 % et 39 % ». Si la féminisation des fonctions d’avocat est une réalité en France, restait à ce que les institutions suivent le mouvement. Par une décision du 9 décembre 2022, le CNB a donc ajouté au règlement intérieur national de la profession un article préliminaire permettant de féminiser au choix de l’intéressée les termes « la bâtonnière », « la vice-bâtonnière », « l’avocate ».
Chez les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation
Selon l’enquête réalisée par la rédaction, le corps des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation compte 37 femmes sur un total de 128 (soit 28,9 %). La statistique était de 27 % en 2019, le taux de féminisation paraît donc assez stable. Néanmoins, on ne manquera pas de noter qu’en 2022, les quatre avocats aux conseils ayant prêté serment étaient toutes des dames.
Au sein des juridictions
Les dernières statistiques des magistrats datent d’octobre 2021. À cette date, les femmes représentaient 69 % du corps de la magistrature. Pourtant, l’association Femmes de justice a relevé dans une contribution adressée au CSM en septembre 2021 qu’elles ne sont que « 36 % au poste de président hors hiérarchie et 38 % au poste de premier président. Elles ne sont que de 2 sur 12 au poste de président hors hiérarchie du premier groupe, et sont plus nombreuses à mesure que le poste est moins important et prestigieux ». En clair, alors que la magistrature est de plus en plus féminine, les plus hautes fonctions judiciaires n’attirent pas les femmes. Selon l’association, différents éléments permettent d’expliquer cette réticence comme les contraintes familiales, mais aussi des freins structurels portant sur la sélection et la perception des qualités attendues par une présidente ou une première présidente. Elle propose donc de valoriser les « parcours femmes en les rendant plus visibles, par exemple dans les travaux du CSM, les productions, les échanges et rencontres institutionnelles ou scientifiques, et en tant qu’expertes dans les colloques et les cycles de conférence. C’est un levier très efficace pour permettre aux femmes de s’identifier à ces profils, se sentir légitimes, et ainsi déclencher une candidature ». Selon les statistiques de la Chancellerie, le corps des greffiers est le plus féminisé avec 88 % de femmes en son sein (chiffres de 2019). De la même façon, seulement 21 % de femmes accèdent aux fonctions hiérarchiques comme celui de directeur des services du greffe. Le baromètre de l’égalité publié par la Chancellerie, paru en 2019 et 2021, permet de constater que la situation s’améliore, y compris au sein du ministère, qui comptait, fin décembre 2020, 56,7 % de femmes et 43,3 % d’hommes.
Chez les notaires
Les femmes représentent aujourd’hui 56 % des notaires de France. Et les institutions représentatives suivent le mouvement. C’est Jean-François Humbert qui, durant son mandat de président du CSN, a été à l’origine d’une meilleure représentativité au sein de l’assemblée générale qui a été rajeunie et féminisée. Aujourd’hui, la parité est la règle au sein de l’institution et l’actuelle assemblée du CSN compte 37 femmes et 36 hommes. Le bureau donne même un léger avantage aux femmes, avec 4 femmes pour 7 membres, À sa tête depuis le 25 octobre dernier, Sophie Sabot-Barcet, 51 ans, est la première femme de l’histoire à devenir présidente du CSN. Dans son discours d’investiture, elle a rappelé que les femmes étaient 2 % en 1998, 15 % en 2000, 26 % de 2015, et enfin 56 % en 2022. « On peut venir d’un petit territoire (elle est originaire de Haute-Loire), être une femme et réussir », a-t-elle assuré avec conviction. La récente constitution de l’association « Notaires au féminin », présidée par Barbara Thomas-David, témoigne de l’intérêt de la profession pour ces questions. « Nous voulons promouvoir la place des femmes aux côtés de nos confrères masculins. Nous avons constaté que dans beaucoup d’études, ce ne sont pas encore forcément les femmes qui sont à des postes d’importance. Il faut notamment donner confiance aux femmes pour qu’elles osent prendre part aux grands enjeux de notre profession », explique-t-elle.
Chez les commissaires de justice
La profession des commissaires de justice, créée le 1er juillet 2022 et résultant de la fusion des métiers d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire, est quant à elle en cours de féminisation. Selon les chiffres obtenus par la rédaction, les titulaires d’office sont à 41 % des femmes. Un taux qui demeure assez bas par rapport aux autres professions du droit, mais qui a tout de même augmenté de 10 points depuis 2015. Les commissaires de justice salariées représentent pour leur part 68 % des effectifs globaux. On rappellera que la première femme huissier de justice a été nommée en 1948, et que les femmes représentaient 20 % des huissiers de justice au début des années 2000. Cette proportion a donc plus que doublé aujourd’hui. Mais la tendance n’estelle pas en train de ralentir ? Car la féminisation des effectifs de l’INCJ (institut national de formation des commissaires de justice) semble marquer le pas. La promotion de 2021 comptait 68 % de femmes. Celle de 2022, environ 60 %.
Chez les juristes
La population des juristes d’entreprise est sans doute la plus intéressante à analyser car la tendance à la féminisation date déjà de plusieurs années. En 2008, les juristes étaient composés de 56 % de femmes contre 44 % d’hommes. En 2019, elles représentaient 68 % de la population des juristes d’entreprise. Dans une enquête sur les juristes d’entreprise et leur rémunération réalisée en 2020 par l’AFJE et le Cercle Montesquieu (+ 1 200 participants), il a été mis en lumière que deux juristes sur trois sont des femmes. Et la tendance s’inscrit dans le long terme. « En 2019, les jeunes juristes de moins de 30 ans étaient féminins à plus de 81 %. Elles étaient 71 % en 2008 (+10 points en 10 ans) », révèle l’enquête. Les chiffres de 2023 donnés par l’AFJE à la rédaction démontrent une certaine stabilité avec 80,7 % de femmes chez les jeunes juristes. L’enquête ajoute : « Les hommes sont en population minoritaire dans toutes les tranches d’âge de la profession de juriste en entreprise. Y compris pour la catégorie des juristes de plus de 55 ans, qui est composée à 47 % d’hommes ». Le fameux « plafond de verre » a bel et bien été brisé par les juristes. Il est aujourd’hui classique qu’elles parviennent au poste de directrice juridique. L’étude du cabinet de recrutement Spencer Stuart, publiée en février 2021 dans le magazine de la LJA, est à ce titre éloquente. Au sein du CAC 40, elles accèdent de plus en plus au poste de general counsel. En 2021, elles représentaient 38 % de cette population. Elles avaient en moyenne 44 ans (les hommes GC au sein du CAC 40 étaient à cette date âgés en moyenne de 47 ans). Elles étaient donc plus jeunes que les hommes au même poste, et majoritairement d’origine étrangère. Autre point intéressant : 66 % des profils féminins nommés dans le CAC 40 étaient membres du comex (ou secrétaire du conseil d’administration). Or la statistique n’était que de 40 % pour les hommes.
Les fonctions des profils féminins étaient également plus larges : deux tiers des femmes DJ étaient aussi secrétaires générales en France en 2021, alors que seulement 20 % des hommes cumulaient les deux titres. « Au cours des dernières années, lorsqu’une femme devient GC du CAC 40, ses fonctions sont plus larges que celles d’un homme. Et leur positionnement au sein de l’entreprise est meilleur », résumait alors François Reyntens chasseur de têtes pour Spencer Stuart qui a dirigé cette enquête. Les femmes sont donc de plus en plus visibles au sein de la profession et bien sûr au sein des instances représentatives. Laure Lavorel est présidente du Cercle Montesquieu depuis juin 2019. Elle est entourée d’un bureau à stricte parité. Au sein de l’AFJE, le président est aujourd’hui un homme (Jean-Philippe Gille), mais deux femmes ont déjà été nommées au poste (Stéphanie Fougou et Sabine Lochman). Le bureau est lui aussi strictement à parité. Et l’on ne manquera pas de noter la récente nomination de Nicole Belloubet comme présidente du Club des juristes (cf. notre article en page 7), en remplacement de Bernard Cazeneuve.