Les cabinets américains vont-ils tous quitter Paris ?
Depuis la rentrée, ce sont deux antennes parisiennes de law firms américaines qui ont décidé de fermer leurs portes. Est-ce à dire qu’effrayés par la crise et les conséquences de la guerre sur le continent, les Américains sont en train de fuir l’Europe et plus précisément la France ? La rédaction a enquêté.
L’annonce a été officialisée dans les derniers jours du mois d’août : Brown Rudnick a fermé son bureau de la rue François 1er. Dès le début du mois de septembre, les équipes ont communiqué sur leurs mouvements. Sébastien Bonnard a rejoint le pôle arbitrage de Hughes Hubbard, tandis que Pierre- Alain Bouhénic et ses fidèles ont fondé la boutique Bouhénic & Associés, spécialisée dans les opérations de haut de bilan, les restructurations d’entreprise, la gestion des situations spéciales et les contentieux (cf. LJA 1550). De son côté, Davis Polk & Wardwell attend toujours pour officialiser sa fermeture, malgré les fuites sur le marché, notamment dans la presse anglosaxonne. La firme a donc bien fini par faire tomber le couperet, après avoir vainement cherché à renforcer ses équipes parisiennes. Nombre d’associés poids lourds de la place auraient été approchés ces dernières années, avant de décliner l’offre portée par Georges Terrier et Jacques Naquet Radiguet : Olivier de Vilmorin, Marc Castagnède, Claude Serra… « Ces deux fermetures n’ont pas les mêmes causes, explique un fin connaisseur du marché. Dans le cas de Brown Rudnick, la firme ne s’est pas donné les moyens de réussir son implantation et n’a pas investi suffisamment.
Pour Davis Polk, les Américains n’ont pas cherché à comprendre les spécificités du marché français en imposant des taux que les entreprises françaises avaient parfois du mal à suivre ». On rappellera que Brown Rudnick a fait sa réputation mondiale en se positionnant surtout sur les dossiers de class action et, forte d’une belle réussite aux côtés de Philip Morris, la firme avait entrepris de se développer en Europe. « Le cabinet n’avait pas de vision claire en France, pas véritablement de stratégie de développement en corporate, il n’offrait pas de réseau efficace et surtout n’était pas prêt à mettre l’argent sur la table pour recruter et atteindre une taille critique », explique un avocat qui y a exercé. À quelques exceptions près – au premier rang desquelles Quinn Emanuel - le modèle de boutique internationale fonctionne désormais moins bien. En débutant son implantation par l’arbitrage international, Brown Rudnick ne se serait pas donné les moyens pour diversifier par la suite son activité à Paris et attirer une équipe corporate complète, capable d’imposer la marque sur le marché.
À l’image de Goodwin par exemple, dont l’implantation a été rapide et efficace, grâce à un investissement initial conséquent pour recruter une équipe solide. Car le nerf de la guerre est bien là : réussir à atteindre une taille critique pour être en mesure de traiter les grandes opérations de fusions-acquisitions ou de private equity. Qu’ils soient alimentés par le réseau de la firme ou initiés par l’équipe locale, les dossiers ne sont confiés au bureau parisien que s’il dispose des effectifs pour les traiter. Les clients qui choisissent de faire confiance à une firme internationale et donc de payer des fees conséquents, attendent de la vitesse dans la délivrance, de l’efficacité et de la technicité. Ce qui implique d’avoir une taille d’équipe conséquente et donc de se donner les moyens de recruter. Et c’est bien la raison pour laquelle on peut s’interroger sur la stratégie de Debevoise & Plimpton à Paris, qui ne compte aujourd’hui plus aucun associé installé à 100 % de son temps et fonctionne surtout avec des of counsels et une poignée de collaborateurs. « Ils ne sont même pas en recherche active », témoigne un chasseur de têtes qui pense que la firme ne devrait pas tarder à faire également ses valises.
Un marché à deux vitesses
Faut-il pour autant conclure à un début de retrait des Américains de la place parisienne ? Bien sûr, après une période exceptionnelle, les grandes firmes ont déjà ressenti le ralentissement du marché. En private equity, le large cap est fortement ralenti. En M&A, les opérations trainent en longueur. « La fin de l’année va être plus compliquée pour nous. La firme nous a déjà demandé de serrer un peu les coûts », explique un associé. Pourtant les recrutements ne s’arrêtent pas. « Les cabinets positionnés en private equity peuvent voir d’un bon oeil la nécessité d’investir dans des phases contracycliques », témoigne un recruteur. Et d’ailleurs plusieurs firmes américaines continuent à alimenter le mercato des associés. Skadden Arps a bien sûr marqué les esprits avec le recrutement de Nicola di Giovanni (cf. LJA 1551). Squire Patton Boggs a déjà fait venir 8 associés depuis le début de l’année (cf. LJA 1553). BLCP en a attiré 19 depuis deux ans (cf. LJA 1555). McDermott enchaîne les arrivées. Quant au cabinet King & Spalding, il a clairement affiché ses ambitions : « Placer la firme parmi les cabinets de référence en transactionnel sur la place » (cf. LJA 1550). Selon nos informations, Shearman & Sterling, qui a recruté il y a dix mois une magnifique équipe corporate (cf. LJA 1511), a de grandes ambitions pour 2023. Et certains parlent même du développement d’un pôle private equity chez Gibson Dunn, après le renforcement récent de cette pratique à Londres.
Des firmes qui cherchent toujours à s’implanter
Deux firmes américaines cherchent par ailleurs à ouvrir une antenne à Paris : Ropes & Gray, ainsi que Sidley Austin. L’information n’est pas nouvelle, notamment du point de vue de Ropes & Gray qui s’intéresse au marché français depuis déjà plusieurs années. On remarque de plus en plus le nom de la firme dans les deals publiés par la LJA. Elle était par exemple citée sur le tour de table d’ImCheck aux côtés de Pfizer (cf. LJA 1542). Les équipes londoniennes ont également accompagné Altice lors du rachat de Covage par Altitude (cf. LJA 1509). L’ambition est clairement de faire plus, avec le soutien d’une équipe locale. Si plusieurs avocats ont été approchés, rien n’a encore été concrétisé. « Ils sont très motivés, nous a-t-on dit. Ils vont y arriver ». Un associé qui a été contacté témoigne : « Ils cherchent en corporate et private equity, plutôt midcap ». Reste à savoir s’ils seront prêts à mettre les moyens pour attirer des équipes conséquentes et atteindre une taille critique, pour s’imposer sur un marché parisien qui reste concentré, et historiquement réduit par rapport à celui de Londres.