L’érosion du secret professionnel
Le secret professionnel des avocats est un pilier fondamental de l’État de droit. Pourtant, les récentes évolutions législatives et jurisprudentielles semblent en réduire progressivement la portée. David Père, associé chez Addleshaw Goddard en droit pénal des affaires, revient sur ses enjeux et sur l’impact des dernières décisions de justice en la matière.
Que recouvre le secret professionnel des avocats et pourquoi est-il essentiel dans le cadre de la défense pénale ?
Le secret professionnel des avocats est un principe consacré par l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, qui garantit la confidentialité des échanges entre un avocat et son client et permet d’assurer une défense libre et indépendante. Sans cette garantie, les clients hésiteraient à se confier pleinement, ce qui nuirait directement à l’exercice du droit de la défense. En matière pénale, il est encore plus crucial, car il protège les stratégies et les éléments de défense face aux poursuites judiciaires.
La loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, dite loi Dupond-Moretti, avait pour ambition de renforcer ce secret en précisant qu’il couvre à la fois le conseil et la défense. Toutefois, les récentes décisions de la Cour de cassation tendent à le restreindre en distinguant ces deux aspects, ce qui soulève de nombreuses inquiétudes.
Est-on en train d’assister à une érosion progressive du secret professionnel, notamment dans la défense pénale ?
Il y a toujours eu des tensions entre, d’une part, le secret professionnel et, d’autre part, la volonté des juges d’accéder aux informations détenues par l’avocat. Mais aujourd’hui, ces tensions prennent une ampleur nouvelle.
D’abord, les évolutions technologiques facilitent l’intrusion dans la relation avocat-client. Des écoutes téléphoniques, comme celles mises en place dans l’affaire Nicolas Sarkozy, montrent que même les échanges avec un avocat peuvent être surveillés. Dans cette affaire, les enquêteurs ont placé sur écoute une ligne téléphonique utilisée sous un pseudonyme par l’ancien président et son avocat, Thierry Herzog. Les juges ont considéré que le secret professionnel pouvait être levé en cas de soupçon d’infraction commise par l’avocat lui-même, ouvrant ainsi une brèche inquiétante.
Ensuite, une évolution déconcertante au sein de la magistrature consiste à voir certains avocats comme des complices potentiels de leurs clients, ce qui alimente une méfiance généralisée. Certains magistrats ont même établi des listes d’avocats à surveiller, une pratique préoccupante pour l’indépendance de la défense.
Enfin, le législateur et la jurisprudence tendent à restreindre l’accès des avocats à certains actes d’enquête, ce qui peut nuire aux droits de la défense.
Les arrêts du 11 mars 2025 ont réduit le champ du secret professionnel. En quoi ces décisions marquent-elles un tournant et quelles en sont les conséquences concrètes pour les avocats ?
Ces décisions apportent plusieurs enseignements et confirment une lecture de plus en plus restrictive du secret professionnel.
Le premier arrêt (n°23-86.261) rappelle qu’un avocat perd le bénéfice du secret si sa participation à une infraction est démontrée. Ce principe n’est pas nouveau, mais son interprétation devient plus large.
Le deuxième arrêt (n°23-86.260) précise que certains documents protégés par le secret peuvent être saisis s’ils ne relèvent pas de l’exercice du droit de la défense. Il s’agit d’une interprétation très stricte de l’article 56-1 du code de procédure pénale, qui pourrait affaiblir la confidentialité des échanges.
Le troisième arrêt (n°24-82.517) est peut-être le plus inquiétant. Il restreint fortement la portée de ce principe, en précisant que le secret professionnel couvre uniquement le conseil tant que ce dernier est directement lié à l’exercice de la défense pénale. Autrement dit, un avocat qui fournit un conseil en dehors d’un contentieux pénal en cours pourrait voir ses échanges saisis, ce qui est contraire à l’esprit de la loi Dupond-Moretti, qui visait à garantir un secret unique. Il me semble que ce dernier arrêt est contra legem.
En pratique, cela signifie que les avocats doivent redoubler de prudence dans leurs communications écrites. Un simple e-mail contenant un avis juridique pourrait être utilisé contre un client ou son conseil dans le cadre d’une enquête. Il faut donc privilégier les échanges verbaux et les communications sécurisées.
Les avocats se battent pour l’unicité du secret entre le conseil et la défense pénale. Pourquoi cette distinction posée par la jurisprudence est-elle problématique ?
Cette distinction affaiblit considérablement la protection des entreprises et des justiciables. Un avocat qui accompagne une société dans le cadre d’une enquête interne pourrait voir ses notes de travail saisies, alors qu’elles relèvent de l’analyse juridique. Dans d’autres pays comme les États-Unis, ces échanges sont protégés par le legal privilege, ce qui leur offre une sécurité juridique bien plus forte.
En France, cette distinction crée une insécurité pour les entreprises et nuit à la compétitivité du pays.
Comment protéger le secret professionnel aujourd’hui ?
La première mesure est l’hygiène numérique. Il faut considérer que tout écrit ou communication peut être lu ou écouté et agir en conséquence. Les avocats doivent sensibiliser leurs clients à l’importance de ne pas échanger d’informations sensibles – y compris alors qu’aucune enquête pénale ou règlementaire n’est en cours - par e-mail ou par téléphone et privilégier des canaux sécurisés.
Ensuite, il est essentiel de contester systématiquement les atteintes au secret professionnel devant les tribunaux, notamment lorsqu’il s’agit de perquisitions abusives ou de saisies de documents protégés.
Enfin, une évolution législative et jurisprudentielle est nécessaire pour clarifier et renforcer la protection du secret, en s’alignant sur les standards internationaux.
En France, les avis des juristes d’entreprise ne bénéficient pas de la confidentialité, contrairement à ce qui se fait dans d’autres pays comme les États-Unis ou les Pays-Bas. Est-ce un handicap pour les entreprises françaises ?
Absolument. Le legal privilege aux États-Unis permet aux entreprises de protéger leurs échanges avec leurs juristes internes, ce qui leur offre une meilleure sécurité. En France, cette protection n’existe pas, ce qui pousse certains groupes à privilégier des juridictions étrangères pour sécuriser leurs échanges. C’est un véritable enjeu de compétitivité internationale.