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Le secret, état des lieux

Par Anne Portmann

Lors du colloque de la Fédération des barreaux d’Europe (FBE), qui s’est tenu le 27 septembre 2024 à La Défense, les membres de l’association ont dressé l’état des lieux de la notion de secret, un point d’attention pour tous les avocats européens.

Les discours officiels de la bâtonnière de l’ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine, Isabelle Clanet dit Lamanit, et du vice-bâtonnier Fabien Arakelian, ont introduit cette conférence en rappelant que le secret, ADN de la profession d’avocat, était « de moins en moins général, protégé et indivisible ». Le secret qui constitue l’un des trois piliers de la profession, aux côtés de l’indépendance et de l’interdiction du conflit d’intérêts, est aujourd’hui battu en brèche, selon Marc Labbé, président de le FBE. Julie Couturier, présidente du CNB, déplore d’ailleurs que les juridictions aient de plus en plus tendance à distinguer le secret du conseil et le secret de la défense, comme l’a fait la Cour de cassation dans un arrêt très récent (Cass. crim, 24 sept. 2024, n° 23-84.244). Rappelant que la CJCE avait, elle aussi refusé de reconnaître le caractère absolu du secret des consultations, elle a dévoilé qu’au sein du CNB, un groupe de travail inédit, chapeauté par l’ancien vice-bâtonnier de Paris, Vincent Nioré, est chargé de travailler sur cette question. Il a d’ailleurs rendu ses premiers travaux à la fin de l’été, approuvés par l’assemblée générale du CNB, qui plaident en faveur de la présence obligatoire de l’avocat aux côtés des clients perquisitionnés.

Les différents secrets

Une première table ronde a ensuite réuni différents dépositaires du secret : un médecin, le député Philippe Juvin, un prêtre, l’abbé Louis-Emmanuel Meyer, la rédactrice en chef de La Vie, Pascale Tournier, ainsi que le président de la cour d’appel de Versailles, Jean-François Beynel. Les intervenants ont évoqué les sources de leurs secrets respectifs, rappelant qu’ils n’étaient jamais instaurés en faveur du professionnel, mais respectivement du patient, du pénitent, de l’informateur. Jean-François Beynel, qui a également évoqué l’usage plus informel de la foi du Palais, a notamment déploré une perte de la vision globale de la notion de secret, désormais abordée au cas par cas. Il a appelé à l’organisation d’États généraux du secret.

Les autres intervenants ont également insisté sur la formation au secret, très importante dans la prêtrise, mais négligée chez les autres professionnels.

Au cours de la deuxième table ronde, qui rassemblait le Suisse Laurent Grobety, l’Écossais James Wolffe, le directeur de la CCI Emmanuel Jolivet et François-Henri Briard, avocat à la Cour de cassation, c’est de droit comparé qu’il a été question. Après l’exposé des règles jurisprudentielles en vigueur en France, Laurent Grobety a évoqué une récente réforme du code de procédure civile suisse, qui entrera en vigueur en 2025, qui permet aux tiers de refuser de produire des documents en lien avec l’activité du service juridique auquel il appartient. Ce texte permet ainsi aux juristes d’entreprise de refuser la communication d’éléments qui auraient été couverts par le secret professionnel s’ils avaient été avocats. James Wolffe a décrit l’approche anglo-saxonne du secret, qui relève d’une philosophie différente. Emmanuel Jolivet a de son côté interrogé les différents secrets qui existent en arbitrage : entre les parties, entre elles et l’institution arbitrale et entre elles et le tribunal arbitral.

Secret et risque cyber

Un intervenant a fait remarquer que les menaces les plus graves pesant sur le secret ne viennent pas du pouvoir politique, mais relèvent davantage des risques cyber et de la protection des données. C’était l’objet de la dernière table ronde du colloque. Le professeur Mustapha Mekki est en effet convenu que le numérique était la source d’un nouveau risque pour le secret et que l’encadrement de l’IA générative était indispensable, car cet outil expose davantage un certain nombre de données. Christiane Féral-Schuhl, ancienne présidente du CNB, a fait remarquer que le secret professionnel a désormais changé de visage et que l’avocat doit prendre conscience qu’il n’est pas un utilisateur comme les autres des outils numériques. « Quand on veut le secret absolu, on n’utilise pas le numérique, et l’avocat doit être capable de s’en passer », a-t-elle pointé. Joffrey Célestin-Urbain, chef du Service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE) a évoqué les secrets économiques, composante du patrimoine du pays, qui devaient être protégés des ingérences étrangères, distinguant les secrets de la Nation des secrets d’affaires. Il a encouragé au stockage et à l’hébergement des données des entreprises françaises sur des serveurs dans le pays plutôt qu’à l’étranger. L’associée d’EY Société d’Avocats, Gwënaelle Bernier, a de son côté alerté sur la prochaine transmission en masse des données fiscales des entreprises à l’État, indiquant que des logiciels d’IA étaient en cours de développement auprès de l’administration fiscale, sans que l’objectif du traitement de ces données fiscales ne soit encore précisé.

Bernard Cazeneuve, associé du cabinet August Debouzy, a conclu cette journée en rappelant que le secret de l’avocat, en ce qu’il venait contrebalancer le secret d’État, participait de l’équilibre de l’État de droit, une notion très discutée actuellement.