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Le rôle du régulateur dans la politique industrielle de l’État

Par Anne Portmann

Le 28 mai 2024, le cabinet Fréget-Glaser & Associés, en partenariat avec l’École de droit de Sciences Po et le Cercle Montesquieu, a organisé un colloque autour du thème « Régulations et politique industrielle », qui rassemblait des responsables de diverses autorités de régulation. La première table était consacrée au rôle des autorités de régulation sectorielle dans la mise en oeuvre d’une politique industrielle française et européenne. Récit.

C’est Emmanuel Glaser, associé du cabinet Fréget-Glaser & Associés, qui animait le premier panel de cette après-midi de conférences. Il rassemblait Thierry Guimbaud, président de l’Autorité de régulation des transports (ART), Emmanuelle Wargon, présidente de la commission de régulation de l’énergie (CRE), et Roch-Olivier Maistre, président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), issue de la fusion du CSA et de Hadopi. L’avocat a commencé par donner une définition de la politique industrielle, considérée comme l’ensemble des interventions publiques qui visent à accompagner la compétitivité des entreprises nationales ou européennes. Il a rappelé qu’historiquement, au sein de l’Union européenne, la France était quasiment la seule à mettre en avant une politique industrielle forte, et que sa position, héritée de la tradition colbertiste, n’avait que très peu d’écho chez nos voisins européens. Pourtant, depuis la crise du covid, l’économie mondiale a vu le retour des notions de souveraineté économique, de réindustrialisation ou encore de dérisquage et la réémergence de l’opposition traditionnelle entre les politiques de concurrence et de régulation. D’aucuns estiment d’ailleurs qu’une application trop libérale des règles du droit de la concurrence pourrait être de nature à entraver l’émergence de champions nationaux, comme l’ont souligné beaucoup de commentateurs à la suite de la fusion avortée entre TF1 et M6.

Emmanuel Glaser souligne que c’est l’application des règles de concurrence qui a été à l’origine de la naissance de nombre d’autorités de régulation sectorielle, dont le rôle originel était de veiller au bon déroulement de l’ouverture à la concurrence de certains secteurs et à la régulation des marchés, ce qui, à première vue, paraît contradictoire avec la mise en place d’une politique industrielle. Et d’interroger le panel pour savoir comment ces autorités sectorielles participent à la politique industrielle, sachant que ces débats sont récurrents comme récemment, devant la commission parlementaire sur la perte de souveraineté énergétique par la France.

Une implication variable

Poursuivant, Emmanuel Glaser indique que si les textes ne confèrent aucune compétence au CRE et à l’ART en termes de politique industrielle, la situation de l’Arcom est différente, puisqu’elle est également chargée de veiller au développement de la création audiovisuelle française. Emmanuelle Wargon, présidente du CRE, indique que les autorités de régulation ne s’inscrivent pas en opposition par rapport à la politique industrielle française ou européenne. « Le CRE régule un bien essentiel, qui est un facteur de compétitivité majeur pour les entreprises », observe-t-elle, estimant que le rôle du régulateur, dans ce secteur, est indispensable pour permettre la réindustrialisation. Elle donne l’exemple de la décarbonation de la production d’acier, qui ne pourra se faire sans le régulateur. Dans un contexte de développement des énergies renouvelables, Emmanuelle Wargon pointe aussi le problème de la dépendance de l’autorité au critère du prix, qui a ses limites. « Si nous n’y prenons pas garde, les panneaux solaires et les éoliennes seront tous produits en Chine », a-t-elle lancé en demandant que des critères de qualité et de durabilité des équipements soient introduits.

Thierry Guibaud, indique, lui aussi, qu’a priori, l’Autorité de régulation des transports est très éloignée de la politique industrielle qui s’occupe de l’offre, et qu’elle se concentre sur la demande. Pourtant, elle s’y intéresse, en premier lieu pour apporter une analyse aux acteurs du marché. Il n’est ainsi pas rare qu’elle émette des projections sur l’aspect du marché dans 10 ou 20 ans et dans ce cadre-là, elle s’adresse aux industriels pour savoir, par exemple, quelles filières devraient être montées pour assurer l’avenir du secteur. Dans celui du transport ferroviaire, notamment, elle se penche sur le manque de disponibilité de matériel roulant, et dans l’industrie autoroutière, elle anticipe l’achèvement des concessions. « Nous ne sommes certes pas au cœur de la politique industrielle, mais nous nous y intéressons. Peut-être qu’une réforme est nécessaire pour que nous y soyons plus présents » a-t-il conclu.

Roch-Olivier Maistre, de l’Arcom, rappelle que, de son côté, le régulateur a progressivement vu son champ de compétence s’élargir. « Ces évolutions ont amené l’Autorité à être fortement présente dans le secteur ». Comme son homologue de l’ART, il revendique une vue panoramique du secteur et une capacité à éclairer ses acteurs de ses analyses. C’est aussi cette capacité d’analyse qui est un instrument de régulation du secteur. Il prend l’exemple des 15 fréquences de la TNT qui arrivent à échéance en 2025. « Les décisions prises à cette occasion ne seront pas neutres. Va-t-on renouveler les 15 sortants ou permettre à de nouveaux entrants d’investir le marché ? Cela participe aussi de la politique industrielle », a observé Olivier-Roch Maistre. T

Anne Portmann