Le financement des litiges par les tiers : une indispensable régulation ?
Le financement des litiges par des tiers, connu sous le nom de third-party litigation funding (TPLF), prend de l’ampleur en Europe. Très attendu, un rapport récent publié par la Commission européenne analyse ses implications économiques et juridiques, mettant en avant les opportunités qu’il offre aux justiciables, mais aussi les défis qu’il soulève en matière d’éthique, de transparence et de régulation.
Méthode particulièrement répandue dans les litiges commerciaux du monde anglosaxon, les recours collectifs ou encore les arbitrages internationaux, le TPLF offre aux entreprises et aux particuliers la possibilité d’engager des actions en justice contre des adversaires puissants sans supporter eux-mêmes l’intégralité des coûts financiers des procédures.
À la demande de la Commission européenne, l’étude menée par le British Institute of International and Comparative Law (BIICL) et Civic Consulting, soutenue par des experts de l’Asser Institute et de Risk & Policy Analysts (RPA), soulève trois principaux effets positifs. D’abord, « un meilleur accès aux procédures judiciaires pour les parties qui ne pourraient pas financer un litige autrement » (observé par 56 % des participants). Deuxièmement, une « professionnalisation et l’expertise pour les affaires complexes fournies par le financeur » (34 %). Enfin, « un effet de filtrage, les affaires ayant peu de chances d’aboutir n’étant pas financées » (28 %).
Une menace pour l’indépendance judiciaire ?
Si le TPLF facilite l’accès à la justice, il suscite néanmoins des inquiétudes quant à son impact sur l’impartialité du processus judiciaire. Certains financeurs pourraient être tentés d’influencer les stratégies des avocats ou de privilégier les affaires les plus rentables au détriment d’une justice équitable. À la question de savoir si les financeurs de litiges exercent une forme de contrôle sur les procédures judiciaires, les parties ont d’ailleurs répondu massivement par « oui ». Et le type de contrôle exercé prendrait diverses formes : les plus fréquemment citées étant « l’accord pour le règlement », « le choix de l’avocat » et « l’accord sur la stratégie ».
Le manque de transparence autour des accords de financement peut en outre engendrer des conflits d’intérêts et compromettre l’intégrité des procédures judiciaires. Des préoccupations qui alimentent le débat sur la nécessité d’une régulation accrue du secteur.
Une régulation encore inégale en Europe
L’Union européenne ne dispose pas encore d’un cadre harmonisé pour encadrer le TPLF. En effet, dans la plupart des États membres de l’UE, il n’existe pas de réglementation spécifique concernant le TPLF, à l’exception des dispositions mettant en œuvre la directive (UE) 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs (directive sur les actions représentatives, « RAD »). Certains États membres imposent des règles strictes, tandis que d’autres laissent le marché s’autoréguler.
Dans les pays tiers, les législations relatives au TPLF varient. Au Canada et au Royaume-Uni, il n’y a pas de législation existante qui en traite directement. La plupart des lignes directrices proviennent du développement de la common law au cas par cas.
Aux États-Unis, le TPLF est soumis à la compétence croisée des tribunaux fédéraux et étatiques, des assemblées législatives fédérales et étatiques, des organismes de réglementation et des associations d’avocats. Le TPLF fait l’objet d’une législation, d’une réglementation et d’une surveillance à chacun de ces niveaux.
Face à cette diversité, 29 % des participants à l’étude ont affirmé la nécessité de réglementer le TPLF au niveau européen, 25 % estiment qu’une réglementation est nécessaire au sein de l’UE et au niveau national. Seuls 4 % l’attendent uniquement au plan national. Quelque 29 % des participants ne voient pas la nécessité d’une réglementation.
Autre défi à relever pour l’Union européenne
Le rapport identifie plusieurs défis majeurs pour l’Union européenne dans la gestion du TPLF. Au premier rang desquels la relation entre financeurs et justiciables qu’il faut encadrer. En effet, une certaine opacité est à relever quant à l’origine du financement où la majeure partie des répondants ont admis n’avoir que très peu d’informations à ce sujet. De plus, l’étude indique que la part de rémunération se situe le plus souvent dans une fourchette de 20 à 30 % prélevés par les financeurs sur les gains obtenus à l’issue du litige.
Les parties prenantes font néanmoins remarquer que la structure de rémunération des financeurs de litiges est souvent beaucoup plus sophistiquée. La part de la rémunération peut par exemple varier et être modifiée pendant la durée du financement. Les accords de financement des litiges peuvent également prévoir des multiples des coûts engagés ou encourus à titre de rémunération du financeur, ou un mélange des deux - part de la rémunération et multiples des coûts.
Face à ces enjeux, une régulation plus stricte du TPLF en Europe semble inévitable. Elle pourrait imposer des obligations de transparence, des plafonds sur les profits des financeurs et des mécanismes de contrôle visant à garantir l’éthique et l’équité des procédures judiciaires financées par des tiers. Cette approche permettrait de protéger les justiciables tout en préservant l’intégrité du système judiciaire européen. Une réglementation claire et homogène au niveau européen éviterait les abus et garantirait que le TPLF reste un outil au service de la justice, et non un instrument de spéculation juridique. T