Le directeur juridique, meilleur rempart contre les crises
Une étude inédite réalisée par Economist Impact et sponsorisée par FTI Consulting pointe l’impréparation de la plupart des entreprises en cas de survenance d’une crise. Karl Payeur, co-head du bureau parisien de FTI Consulting, revient sur les enseignements de cette étude et explique l’importance de confier aux directeurs juridiques un rôle central, non seulement de prévention, mais aussi d’anticipation, sous la houlette de la direction.
Selon l’étude présentée, il apparaît que les entreprises sont les moins bien préparées aux crises qui représentent le plus grand enjeu pour elles. C’est plutôt paradoxal à l’heure où l’on parle beaucoup de devoir de vigilance, de conformité et de cartographie des risques.
Comment l’expliquer ?
En effet, les entreprises sont très préoccupées par les cartographies sur les risques réglementés, le devoir de vigilance et, en France, par la loi Sapin. Mais en réalité, cela ne représente qu’une toute petite partie des crises potentielles qui les menacent, et l’étude démontre que les entreprises ne mettent pas en place d’autres processus d’anticipation de crise que ceux qui sont obligatoires et dont le défaut pourrait être sanctionné. Il leur manque une vision plus macro des risques, qui incluent aussi ceux qui ne relèvent pas de leur responsabilité. Par ailleurs, il y a une différence entre installer une cartographie des risques et se préparer en simulant une crise afin de voir quelles mesures doivent être mises en place pour y remédier.
Que manque-t-il aux entreprises ?
Aux termes de l’enquête, il apparaît que 70 % des entreprises n’ont pas mis en place d’équipe transverse pour résoudre les crises qui pourraient se présenter. Les entreprises ne semblent pas encore avoir pris suffisamment conscience de l’importance de mettre en place de telles équipes et n’ont pas abordé le problème de manière holistique. L’une des raisons est que pour ce faire, la responsabilité de la mise en place d’un tel dispositif doit remonter très haut, au conseil d’administration ou au top management selon les cas. Et, en l’absence de volonté de la direction, il y a des failles dans la gestion des risques.
Dans ce contexte, quel peut être
le rôle du directeur juridique ?
Dans ce cadre et surtout concernant la mise en place d’une équipe transverse de gestion de crise, on constate une évolution du rôle du directeur juridique. L’étude révèle d’ailleurs que quelque 60 % des directeurs juridiques interrogés ont déclaré être davantage impliqués dans la stratégie de gestion des crises de leur organisation. Toutefois, s’ils estiment pour 42 % d’entre eux que la création d’une équipe globale de réponse aux crises est l’une des trois principales priorités de leur département juridique pour mieux se préparer à une prochaine crise, les DJ interrogés considèrent qu’ils n’ont pas accès à l’expertise suffisante. Trois répondants sur dix considèrent même que c’est l’un des cinq principaux défis qui empêchent leur organisation d’être mieux préparée aux événements de crise. En réalité, le rôle du directeur juridique est en train d’évoluer et sa fonction devient de plus en plus stratégique. Il n’est pas là uniquement pour prévenir des risques, mais il se doit de prendre sa part dans les mesures destinées à remédier à une crise.
La situation semble différente selon les pays cependant…
En effet, on constate que 50 % ces directeurs juridiques qui prennent part à la stratégie de gestion de crise sont en zone EMEA, où l’on voit vraiment évoluer leur rôle. La région Asie-Pacifique semble à la traîne sur ce front, mais la situation est différente de celle que nous avons connue en Occident. En Asie-Pacifique, l’impact de la crise sanitaire est autrement plus profond et ils n’ont pas les mêmes enjeux, par exemple sur les chaînes d’approvisionnement. Les entreprises européennes ont, sur ce sujet, des situations de dépendance que les groupes asiatiques ressentent moins.
Qu’en est-il concernant
les secteurs d’activité ?
Comme à l’accoutumée, les entreprises du secteur financier et bancaire, qui sont souvent les plus réglementées et qui ont subi de gros scandales et des crises importantes, sont les plus avancées sur le sujet. Mais l’étude souligne, de façon plus surprenante, que les entreprises du secteur industriel ont également pris la mesure du risque. La crise sanitaire a été un grand choc pour le secteur et les a fait réagir, car elle a entraîné des conséquences majeures sur les chaînes d’approvisionnement, qui ont permis de lever le sujet et de le faire remonter au top management.
L’étude constate que 3 entreprises sur 5
ne procèdent à l’analyse des signaux d’alerte
qu’une fois par mois seulement…
Effectivement. C’est une des causes du manque de prise de conscience du top management. Cette négligence à prendre en compte les signaux faibles obère la capacité de réactivité des entreprises. Il est possible d’y remédier en mettant en place divers outils, mais cela nécessite de l’investissement et le retour sur investissement (ROI) n’est pas simple à démontrer. Là encore, le directeur juridique peut jouer un rôle clé, car il a appris des crises passées qui sont survenues dans son entreprise ou dans d’autres entreprises du secteur. De ce point de vue, il convient d’observer que, bien que les crises subies par les entreprises ne soient pas toujours très documentées, les échanges qui ont lieu à ce sujet entre les directeurs juridiques, qui partagent régulièrement entre eux les retours d’expérience et les best practices à suivre, sont un atout précieux pour anticiper l’avenir. T
Anne Portmann
Lire l’étude (en anglais) : www.fticonsulting.com/-/media/files/insights/reports/2024/oct/turbulent-waters-trusted-anchors-the-general-counsels-evolving-role-in-navigating-crises.pdf