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L’avocat souverain

Par Ondine Delaunay

Alors que la confidentialité des avis des juristes d’entreprise est toujours débattue au Parlement, le CNB a publié, le 3 juillet 2023, une résolution s’opposant fermement à la réforme1. C’est dans ce contexte que Loïc Dusseau, avocat au sein du cabinet D’Alverny Avocats, ancien président de l’UJA de Paris, de la FNUJA, ancien membre du Conseil de l’Ordre puis du CNB, s’apprête à publier un ouvrage intitulé « L’Avocat souverain »2. Il y explique que toutes les parties seraient gagnantes à la création d’un statut de l’avocat en entreprise et que les principes déontologiques attachés à la profession ne font pas obstacle à son extension aux juristes.

Votre ouvrage est un véritable plaidoyer pour l’avocat en entreprise, avec une analyse précise sur l’angle déontologique de la profession. Pourquoi ?

Loïc Dusseau : J’ai prêté serment fin 1991, au moment de la fusion des conseils juridiques et des avocats. Les arguments des réfractaires étaient les mêmes que ceux avancés à l’encontre de la création d’un statut de l’avocat en entreprise. Or le principal point d’achoppement porte sur la déontologie de la profession qui ferait obstacle à son extension. Mon ouvrage vise donc à analyser les fondements de cette déontologie et à comparer nos règles et usages avec ceux des juristes en entreprise en démontrant qu’ils sont compatibles.

Pour mieux comprendre l’exercice du droit en entreprise, je suis diplômé de la première promotion de l’Executive Master General Counsel de Sciences Po créé en 2017 avec le Cercle Montesquieu. L’exercice fut passionnant. J’en suis sorti en comprenant que la place du droit était encore trop dévalorisée au sein des entreprises et que, pour la renforcer, il faut affermir la place des hommes de droit. Créer le statut d’avocat en entreprise, juriste symboliquement puissant, est la solution la plus pertinente car elle permettrait de garantir statutairement leur indépendance intellectuelle tout en protégeant leur secret, ce qui reposerait sur la déontologie inhérente à notre profession réglementée et sous contrôle d’ordres professionnels indépendants. Ce « nouvel » avocat souverain aurait non seulement le devoir mais la capacité de s’opposer aux éventuels actes illégaux de son entreprise fort de cette déontologie renforcée, ce qui serait d’autant plus favorable à l’ordre public économique.

Pourtant ce combat sur le statut d’avocat en entreprise a été abandonné par les juristes depuis quelques années et les débats au Parlement s’attachent désormais
à créer un privilège de confidentialité in rem.
Que pensez-vous de cette proposition ?

Loïc Dusseau : Selon le texte en débat au Parlement, la confidentialité prétendument in rem des avis des juristes d’entreprise est conditionnée à des critères in personam : l’obtention d’un master, mais surtout une formation initiale et continue en déontologie. Or, qui va contrôler le respect de cette déontologie ? Les associations de juristes d’entreprise ? Et que risqueront les juristes qui ne l’auraient pas respectée ? D’être exclus de l’association ? La belle affaire…

Il sera donc nécessaire d’imaginer un organisme agréé chargé du contrôle de cette déontologie des juristes. Ce qui ressemblerait au système belge de l’Institut des juristes d’entreprise, comme existaient, avant 1992, les compagnies de conseils juridiques...

J’ajoute que les discussions en cours au Parlement laissent entrevoir des désaccords sur l’entendue de ce legal privilege à la française. S’il se cantonne aux matières civiles et commerciales, sans inclure le pénal, le fiscal et l’administratif, il ne sera donc pas opposable aux autorités judiciaires ou administratives et ne saurait être protecteur d’un exercice probe et non-incriminant du droit dans les entreprises. Cette confidentialité à géométrie variable, simple secret des affaires ripoliné, est une fausse bonne solution pour favoriser la compétitivité de nos entreprises. Et elle aurait pour conséquence d’affaiblir les principes attachés au secret professionnel de l’avocat.

Pourquoi ?

Loïc Dusseau : Morceler les règles de la confidentialité risque de nuire globalement à la défense de nos entreprises. La différence entre le secret professionnel de l’avocat, la confidentialité de certains de ses actes et le legal privilege est déjà mal comprise, notamment par les juges. Le caractère théoriquement absolu du secret professionnel de l’avocat est difficile à défendre au quotidien, et s’il est étendu, sous forme d’un ersatz de confidentialité, à une autre profession, non réglementée et donc non contrôlée, ce sont les fondements mêmes de ce secret qui vont en pâtir. Les avocats se battent, face à la dictature de la transparence, pour que ce secret soit réellement absolu et dans toutes les matières.

C’est pourquoi, selon moi, créer le statut d’avocat en entreprise serait plus simple car une telle réforme nécessiterait quelques ajustements législatifs à un statut d’avocat séculaire et non des négociations interminables sur le périmètre d’un texte mal calibré, véritable « usine à gaz » dont personne ne sortira gagnant.

Sauf que le CNB a été très clair : il s’oppose à la création d’une nouvelle profession réglementée de juriste d’entreprise, mais aussi à l’avocat en entreprise…

Loïc Dusseau : Les élections au CNB auront lieu le 28 novembre et j’espère que ce thème sera abordé pendant la campagne pour permettre aux avocats de faire un choix prospectif clair. L’UJA de Paris est en faveur d’une telle réforme, comme l’ACE ou l’Ordre de Paris. Je pense que la FNUJA sera l’arbitre de cette évolution nécessaire. Il conviendrait enfin de dépasser les oppositions de principe d’un autre âge, ainsi que le délétère clivage Paris/province. Il en va de l’intérêt de l’avocature, mais aussi des entreprises et de leur compétitivité à l’international.