L’approche de la souveraineté par le Conseil d’État
Lors de la 3e édition de sa rentrée solennelle, le Conseil d’État a présenté son étude consacrée à la souveraineté, qui formule 10 propositions pour améliorer l’exercice de cette attribution, pierre angulaire des démocraties. Résumé.
«Chacun sa souveraineté », pourrait-on être tenté de synthétiser après avoir lu le rapport annuel du Conseil d’État, consacré à ce sujet brûlant. Le vice-président du Conseil d’État, Didier Roland Tabuteau, a présenté le sujet en rappelant que le concept de souveraineté était « la pierre angulaire » du système juridique international, tel que défini par la Charte des Nations Unies.
Souveraineté interne, externe
et défis modernes
Après avoir consacré un cycle de cinq conférences publiques à cette notion fondamentale, le rapport du Conseil d’État s’attache, dans la première partie du rapport, à la définir, en faisant d’abord l’historique de son apparition et de son évolution, au gré des changements politiques. Il est rappelé que la Constitution de 1946, qui proclame dans son article 3, repris dans le texte de 1958, que la souveraineté nationale appartient au peuple, réconcilie les tenants de la notion de souveraineté nationale et ceux de celle du peuple. Liée, en France, à l’idée d’État-nation, cette souveraineté s’exprime, dans nos institutions contemporaines, essentiellement par le biais des représentants du peuple élus au Parlement et par le referendum.
Le rapport revient ensuite sur le sujet épineux de l’intégration au sein de l’ordre international et européen, affirmant qu’elle ne remet pas en cause la suprématie de la Constitution française dans l’ordre juridique interne. Cette norme suprême prime ainsi sur les traités internationaux en droit interne, mais n’est pas opposable dans l’ordre juridique international. Le juge administratif a d’ailleurs, dans l’ordre interne, veillé à préserver cette suprématie effective de la Constitution. La notion de souveraineté est ensuite définie sur le plan international, en lien avec celle d’État, et doit être distinguée de l’indépendance et de la puissance. Les auteurs du rapport rappellent à ce titre que chaque État exerce sa souveraineté d’une façon qui lui est propre.
Sont ensuite présentés les défis auxquels est confrontée la souveraineté dans nos démocraties modernes, face à la mondialisation qui place les États dans une situation d’interdépendance, exacerbée par les rapports de force entre eux, par l’apparition de nouveaux acteurs non étatiques (Gafam, ONG, organisations diverses) et l’émergence des questions environnementales au niveau supranational. En interne, la crise des démocraties est également un défi.
10 propositions
Le Conseil d’État suggère des pistes pour redéployer la notion de solidarité et la renforcer en France. Elles interviennent à trois niveaux : national, européen et global. Une première série de mesures vise à faire face à la crise démocratique actuelle en améliorant l’expression des électeurs : conforter le rôle des partis politiques et faire évoluer leur statut sur le modèle des fondations politiques allemandes. Une réflexion sur le cumul des mandats pourrait ainsi être initiée. S’agissant par ailleurs de ce qu’il est convenu d’appeler la fabrique de la loi, il est préconisé de recourir à des consultations directes au niveau local, de multiplier les conventions citoyennes et d’avoir davantage recours au referendum.
L’utilisation des outils de participation citoyenne doit être réfléchie afin de permettre une expression utile et de qualité. Le Conseil d’État encourage le Parlement à continuer son travail d’évaluation des politiques publiques, en y associant les citoyens. Pour parvenir à ce résultat, la formation à la citoyenneté doit devenir une priorité éducative, pour les enfants, mais aussi pour les adultes. Cette prise de conscience des enjeux liés à ces questions passera par le renforcement de la capacité de chacun à faire preuve d’esprit critique, notamment grâce à une éducation aux médias et à l’information et au renforcement des garanties d’indépendance de ceux-ci.
À l’heure où le SNU est critiqué, les Sages estiment qu’il faut également conforter l’esprit de défense et développer la capacité de résilience au niveau national. Les corps intermédiaires, qui semblent ne plus parvenir à faire consensus, doivent également se mettre au service de la souveraineté, s’attacher à améliorer l’efficacité de l’action publique et les juridictions doivent développer et mieux expliquer leur rôle de gardien de la souveraineté.
À l’échelle de l’Union européenne, le rapport appelle à appliquer de manière effective le principe de subsidiarité, et d’introduire de manière plus généralisée dans les textes de droit dérivé une clause indiquant que ces dispositions sont applicables dans un État membre à condition qu’elles ne portent pas atteinte à ses fonctions essentielles. Il est aussi proposé de réformer la CJUE et la CEDH, d’améliorer la coordination de l’action des institutions de l’UE avec celles des États membres, notamment en ayant recours à une méthode d’action coordonnée avec la fixation d’objectifs stratégiques commun à l’Union et aux 27 États membres. À cette fin, la codification du droit européen pourrait être utile et le rapport appelle de ses vœux l’aboutissement du code européen de droit des affaires. L’exercice de la souveraineté au niveau européen doit mieux s’articuler avec le niveau national et le vote à la majorité qualifiée doit être étendu au sein des institutions européennes.
Au niveau global, cette fois, la souveraineté doit faire l’objet d’une réflexion stratégique à long terme. Le rapport estime qu’il faut réorganiser le fonctionnement de l’État pour l’adapter à la conduite de l’action publique, avec des outils de planification et de pilotage opérationnel. Les concertations avec les praticiens et les penseurs de chaque secteur sont également à multiplier. Le pays devrait investir davantage dans la recherche et mener des réflexions d’ampleur sur les défis sociétaux à venir : protection des droits de l’Homme à l’ère du numérique, vieillissement de la population, changement climatique, immigration, et ce, à plusieurs échelles.
Pour le Conseil d’État, gouverner, c’est choisir. Et pour choisir, il faut prévoir, anticiper et définir ses priorités.
Lire le rapport : https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/etudes/etude-annuelle-sur-la-souverainete