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La sortie de l’UE du TCE, la fin d’une ère ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

L’UE amorce un tournant décisif en quittant le Traité sur la Charte de l’énergie (TCE), illustrant une prise de conscience des incompatibilités entre la protection des investissements fossiles et la transition écologique. Il est permis de se demander si ce virage à 180° n’est pas un peu abrupt au regard des conséquences juridiques et économiques qu’entraîne cette décision. Jean-Fabrice Brun, associé de CMS Francis Lefebvre, a répondu aux questions de la LJA, avec l’appui de Chloé Adelbrecht-Vignes et Élodie Gomes, avocates.

Qu’est-ce que le traité sur la Charte de l’énergie (TCE) ?

J. F. B : Au sortir de la guerre froide, certains États souhaitaient promouvoir la coopération transfrontalière et sécuriser les investissements dans le secteur de l’énergie. Quelques États, dont ceux des membres de l’UE (ainsi que l’UE elle-même), la Suisse, le Japon ou encore la Turquie, ont donc ratifié le TCE entré en vigueur le 16 avril 1998.

E. G. : Pierre angulaire de la protection des investissements, le TCE contient une clause d’arbitrage permettant de soustraire à la compétence des juridictions étatiques – dont l’impartialité peut être contestée – le règlement des différends entre l’État d’accueil de l’investissement et les investisseurs étrangers (article 27), mécanisme au cœur des critiques actuelles.

Aujourd’hui le TCE est-il toujours perçu comme un accord international majeur dans le secteur de l’énergie ?

C. A. V. : Non. Aujourd’hui, le TCE fait l’objet de nombreuses critiques. Il est perçu comme un frein aux efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et donc contraire aux engagements climatiques pris par les États, notamment dans le cadre de l’Accord de Paris et du Green deal européen. Là où hier, les États européens y voyaient une forme de protection de leurs investisseurs et un moyen d’attirer les capitaux étrangers, ils craignent aujourd’hui d’être condamnés pour des montants exorbitants lorsqu’ils adoptent des politiques en faveur de la transition énergétique. Par exemple, la société allemande RWE a réclamé aux Pays-Bas 1,4 md€ en raison de l’adoption de sa loi interdisant l’utilisation du charbon d’ici 2030.

E. G : Après avoir été impliquée dans trois procédures arbitrales fondées sur le TCE, l’Italie s’est retirée du traité. La Pologne, l’Allemagne et le Luxembourg ont fait de même. La Slovénie, le Portugal, les Pays-Bas et l’Espagne ont également engagé une procédure de retrait. La France a quitté le TCE le 8 décembre 2023 en invoquant l’incapacité de celui-ci à évoluer pour s’adapter aux exigences climatiques modernes.

Récemment l’Union européenne elle-même
a annoncé son retrait. Pour quelles raisons ?

E. G : En effet, le 28 juin 2024, le Conseil européen et la Commission européenne ont notifié le retrait de l’UE et d’Euratom du TCE. En parallèle, le 26 juin 2024, l’UE, ses États membres et Euratom sont parvenus à un accord prévoyant l’inapplicabilité de la clause d’arbitrage prévue dans le TCE dans le cadre des relations entre un investisseur de l’UE et un État membre.

J. F. B : Ce retrait est principalement motivé par la protection par le TCE des investissements dans les énergies fossiles et donc son incompatibilité avec les objectifs de l’UE en matière de climat et d’énergie, mais aussi par la prétendue non-compatibilité du droit de l’UE avec les mécanismes d’arbitrage d’investissement prévus par le TCE dans le cadre d’arbitrages intra-européens, principe posé par la Cour de Justice de l’Union Européenne dans son arrêt Komstroy du 2 septembre 2021.

Comment se déroule ce retrait et quelles vont
être les conséquences juridiques et économiques
sur le secteur de l’énergie ?

C. A. V : Le retrait d’un État est effectif un an après l’envoi de la notification de retrait (article 47.2). Désormais, sans la menace de condamnations exorbitantes par un tribunal arbitral, les États membres pourront adopter des mesures en faveur de la transition énergétique. Pour autant, la « clause de survie » prévue à l’article 47.3, permettant le recours à l’arbitrage jusqu’à 20 ans après le retrait d’un État, recule la fin des procédures arbitrales et fait craindre une recrudescence des saisines arbitrales par les investisseurs à son encontre avant que cette voie ne leur soit fermée. Afin de limiter son impact, l’UE compte sur les États membres encore parties au TCE afin qu’ils appuient les discussions de modernisation du traité en cours pour réduire cette période, ainsi que sur l’accord du 26 juin 2024 mettant fin à la poursuite des procédures d’arbitrage intra-UE fondées sur le TCE, sans aucune certitude sur l’effectivité de ces solutions.

J. F. B : D’autres incertitudes apparaissent également quant à la protection des investisseurs européens, acteurs majeurs du secteur de l’énergie, notamment de l’énergie renouvelable, quant à la position de l’UE dans les négociations internationales sur l’énergie et le climat ou encore quant à l’avenir de l’arbitrage d’investissement en Europe.

C. A. V : Il est donc permis de penser que la participation de l’UE et des États membres à la modernisation du TCE dans le sens d’un rééquilibrage entre droit des investisseurs et droit des États parties et une meilleure prise en compte des engagements climatiques auraient été préférables à un retrait du TCE. Les États membres de l’UE devront naviguer soigneusement pour assurer une transition énergétique réussie tout en minimisant les impacts négatifs sur les entreprises et les relations internationales. T

J.-F. Brun

« Le retrait de l’UE est principalement motivé par la protection par le TCE des investissements dans les énergies fossiles et donc son incompatibilité avec les objectifs de l’UE en matière de climat et d’énergie. »