« La réforme sera tout aussi exigeante pour les juristes que pour les autorités »
Après trente ans de débats, de rapports, d’articles publiés, les juristes d’entreprise vont enfin obtenir leur Graal : la reconnaissance de la confidentialité de leurs consultations juridiques internes. Le texte doit encore passer en commission mixte paritaire en octobre. Jean-Philippe Gille, président de l’AFJE, qui a été l’un des acteurs les plus engagés dans cette réforme, en explique les détails.
’amendement introduisant la réforme de la confidentialité de certains avis des juristes d’entreprise a été adopté par l’Assemblée nationale dans la nuit du 10 juillet. C’est enfin l’aboutissement d’un très long processus…
Absolument. Ce vote historique constitue un grand progrès pour l’État de droit. L’AFJE a su porter cette ambition de longue date avançant inexorablement sous l’impulsion de chaque présidence successive. Dans cette dernière ligne droite, avec Marc Mossé, Laure Lavorel puis Martial Houlle, Céline Haye-Kiousis et Raphaël Gauvain, nous avons su former une véritable équipe. Ce fut un travail à la fois intense et long. Chacun a donné le meilleur de lui-même. Notre action commune s’est inscrite dans un contexte favorable : les rapports Gauvain, Marleix et Combrexelle avaient pointé l’urgence de combler un retard préjudiciable à la souveraineté économique de la France.
La Chancellerie a joué un rôle central pour élaborer une solution innovante et respectueuse de l’écosystème juridique français1. Le garde des Sceaux, à l’écoute des professionnels du droit, prenant la mesure de véritables enjeux, a défendu cette réforme avec éloquence tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, sans céder à des critiques corporatistes dépassées.
Il faut saluer le soutien de Jean-Denis Combrexelle et de la Direction des affaires civiles et du Sceau, notamment l’engagement de son directeur, Rémi Decout-Paolini et de son équipe. Les politiques ont également supporté le projet dans l’intérêt général : le sénateur Hervé Marseille, le député et rapporteur général Jean Terlier, le président de groupe Olivier Marleix et le député Philippe Gosselin notamment, ainsi que l’ensemble des parlementaires qui ont voté en faveur de cet amendement.
Après la commission mixte paritaire et le vote final du texte, les entreprises françaises seront, à compter de l’entrée en vigueur de la loi, mieux protégées dans le cadre de la compétition économique mondiale et les programmes de conformité pourront être mis en place dans l’intérêt général sans risque d’auto-incrimination.
Que prévoit le texte dans ses détails ?
Selon le texte voté « Les consultations juridiques rédigées par un juriste d’entreprise, ou, à sa demande et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité, au profit de son employeur sont confidentielles ». Un certain nombre de conditions à cette confidentialité sont clairement édictées. D’abord quant à la qualité de juriste qui émet la note : il devra être titulaire d’un master en droit ou d’un diplôme équivalent français (maîtrise) ou étranger, et avoir suivi une formation initiale et continue en déontologie. Les détails seront précisés par décret.
D’autres conditions portent sur l’acte en lui-même car tous les écrits de la direction juridique ne seront pas protégés, comme les contrats ou les procès-verbaux d’organes sociaux. Il faudra que la consultation porte la mention « confidentiel-consultation juridique juriste d’entreprise » et soit traçable dans les archives. Elle sera destinée exclusivement à l’usage interne de l’entreprise.
Dès lors les autorités ne pourront pas saisir les écrits…
Cette confidentialité des avis pourra en effet être opposée aux autorités françaises ou étrangères dans le cadre d’une procédure ou d’un litige en matière civile, commerciale ou administrative. Les consultations ne pourront ni être saisies ni être remises à un tiers. Tel ne sera toutefois pas le cas dans le cadre d’une procédure pénale ou en matière fiscale.
Les débats dans les couloirs du Parlement ont longuement porté sur l’opposabilité de cette confidentialité aux autorités administratives.
Pourquoi une telle réticence ?
En réalité, c’est assez difficile à comprendre car les hauts fonctionnaires de Bercy ne peuvent ignorer que l’auto-incrimination contrevient aux principes fondamentaux du droit. Les propos antiréformistes de certaines autorités administratives indépendantes dans la presse ne peuvent que laisser pantois les milliers de femmes et des hommes qui exercent notre métier. Non, les juristes d’entreprise n’ont pas pour but d’entraver les enquêtes, ni de couvrir des fraudes ! Leur mission est au contraire de permettre aux entreprises de développer leur activité dans le respect des règles de droit. Il serait temps d’avoir plus de considération pour la deuxième profession juridique du pays ! Bien évidemment, la mise en place de cette réforme va nécessiter du travail. Elle sera tout aussi exigeante pour les juristes d’entreprise que pour les autorités. Apposer la mention « confidentiel » sur nos consultations nous obligera à bien en peser la nature et la portée. Le texte prévoit que le fait d’apposer frauduleusement la mention sera puni des peines prévues par l’article 441-1 du code pénal.
Quel contrôle déontologique
sera prévu pour les juristes ?
D’abord rappelons que l’AFJE et le Cercle Montesquieu ont adopté en 2014 un code de déontologie commun. L’ANJB, qui avait son propre code, a décidé d’adhérer à ce code commun qui est désormais la référence au sein de la profession. Nous disposons d’ailleurs depuis plus de 10 ans d’un comité de déontologie, présidé par Philippe Coen, Vice-président de l’AFJE. Cette expérience facilitera les modalités de mise en œuvre qui seront élaborées par la Chancellerie. Sans attendre, l’AFJE a déjà prévu une campagne d’information et de formation à destination de ses membres pour faciliter la transition. Les juristes d’entreprises seront prêts.