« La justice mérite d’être racontée »
L’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas vient de lancer, aux Éditions Dialogues, une collection d’ouvrages, à visée pédagogique, consacrée à la justice et au monde judiciaire. Il présentait, le 12 octobre 2023, les deux premiers opus de cette série de dix-neuf, l’un écrit par l’avocat Jean-Pierre Mignard et l’autre par l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, Jean-Éric Schoettl.
La collection s’intitule les Mercuriales. Le directeur de la collection s’en explique : « Au ministère, je croisais chaque jour le portrait du chancelier d’Aguesseau, qui prononçait ses discours sur l’institution judiciaire le mercredi ». D’Aguesseau livra ainsi 19 harangues entre 1698 et 1715 et c’est la raison pour laquelle la collection rassemblera 19 ouvrages, vendus au prix de 6,90 €, qui se veulent courts et clairs. « C’est une question de coûts et nous voulons qu’ils soient lus », justifie encore Jean-Jacques Urvoas, qui assume vouloir faire œuvre de pédagogie. « Car si la justice commence à être reconnue, elle n’est pas pour autant connue, et personne ne vient dans un palais de justice par plaisir », poursuit-il.
La collection s’attachera à présenter des ouvrages qui font état de différents points de vue : celui des praticiens, avocats, magistrats et autres professions judiciaires, celui des universitaires et, enfin, des justiciables. Jean-Jacques Urvoas annonce ainsi la sortie prochaine d’un ouvrage sur les prescriptions, par Jean Danet, d’un autre signé de l’universitaire bordelais Fabrice Hourquebie, sur l’indépendance des magistrats et pour la troisième catégorie, d’un témoignage d’une victime de l’attentat de Nice.
Des juges trop puissants et des droits en recul
Jean-Éric Schoettl, dans son livre « Une si puissante justice », adresse, en « lanceur d’alerte interne », une critique à l’égard de l’institution judiciaire et des juges, déplorant l’avènement d’un droit qui s’émancipe de plus en plus de la loi. « La démocratie représentative souffre aujourd’hui de l’hypertrophie du pouvoir judiciaire », estime l’ancien magistrat qui, légaliste, appelle à davantage de respect par le pouvoir judiciaire de la volonté des représentants du peuple. « Les juges ne doivent pas formater une politique publique à la place du Parlement, même si la loi est lacunaire, ou mal conçue », estime-t-il.
À l’autre bout de la table, l’avocat Jean-Pierre Mignard présente à son tour son ouvrage, dans un autre registre, car il s’adresse directement à ses confrères à travers sa « Lettre aux jeunes avocats ». Il assure ne pas avoir écrit par narcissisme, mais pressé par l’anxiété. « Après 50 ans de carrière, ce n’est pas le talent qui me permet de parler, mais le temps », lance-t-il. Et Jean-Pierre Mignard ne voit pas l’avenir en rose. « Après quelques années confortables, nous assistons au retour de la guerre, des nationalismes et nous voyons les conséquences du dérèglement climatique ». Il exhorte, dans son essai, les jeunes avocats à s’engager et à se battre pour maintenir et faire progresser l’État de droit, qui est en recul. « Il ne faut pas croire que le droit descend sur les hommes comme l’esprit saint sur les apôtres. Il est, même si nous l’avons un peu oublié, une construction humaine qui naît dans la boue et dans la glaise », rappelle-t-il, invitant l’auditoire à constater la restriction des traités et conventions internationales et le retour au droit national. « Les sociétés vont se refermer et se protéger, augure-t-il, il faut prendre conscience de ce qui se joue ».
Pour autant, les positions de ces deux auteurs ne sont pas incompatibles et l’avocat concède que si la loi ne donne plus satisfaction, c’est parce que la société lui a trop demandé. « Il faut parvenir à une meilleure fabrication de la loi, il faut en finir avec les textes écrits dans l’urgence pour répondre à la pression » considère-t-il, donnant l’exemple des 25 lois sécuritaires et des 18 lois sur l’immigration votées ces dernières années. Comme le magistrat, il considère que la relation à la loi doit changer et que les travaux parlementaires doivent être davantage exploités comme source par les praticiens.
Au cours de la séance de questions et de réponses qui a suivi, la question de la place de la soft law au sein de nos systèmes a été abordée. Pour Jean-Éric Schoettl, le danger vient de la pratique du juge qui mélange droit dur et droit mou, en donnant parfois force obligatoire à une charte et contrôlant l’application de ses dispositions. Elle devient alors du droit positif et perd ainsi sa raison d’être. Jean-Pierre Mignard a conclu la rencontre en comparant les juges à des prêtres de la société laïque, seuls habilités à décider au nom de la société.