La justice au prisme des sciences sociales
Mardi 24 janvier 2023, l’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ) a détaillé, dans le cadre de ses rendez-vous « Arrêt sur recherche », une étude menée sur les représentations de la justice dans les yeux des citoyens français.
Ces travaux partaient du constat que peu d’études avaient été menées sur le rapport des citoyens à la justice. Et lorsque c’était le cas, le biais était quasi systématique de n’interroger que les citoyens ayant connu la justice pénale. L’équipe de recherche s’est donc efforcée d’élargir le spectre, en incluant des personnes qui n’avaient aucune expérience de la justice, d’autres qui avaient eu affaire à la justice civile et enfin ceux qui avaient été confrontés à la justice pénale, afin de comparer les représentations générales et les expériences personnelles. Il s’agissait finalement d’étudier la réception, par les citoyens, d’une politique publique, en l’occurrence, la politique judiciaire. Et les résultats sont très intéressants.
Le vecteur médiatique
Le premier constat dressé par les chercheurs porte sur les représentations de l’institution judiciaire véhiculées par les médias. À cet égard, Cécile Vigour, directrice de recherche au CNRS ayant mené l’équipe de recherche, donne l’exemple de la supposée clémence de la justice judiciaire, évoquée massivement par le panel, qui, lors des entretiens collectifs, a critiqué les classements sans suite, l’inexécution des décisions ou l’insuffisance des peines. Trois domaines ont surtout été cités : en premier lieu, la délinquance des mineurs, puis dans les affaires comportant des atteintes physiques à l’intégrité de personnes et enfin, dans les dossiers de délinquance économique où la répression est perçue comme très inférieure à celle appliquée en matière de délinquance routière. Toutefois, lorsque les répondants sont confrontés à des cas concrets et lorsqu’on leur demande de quelle manière ils auraient jugé les affaires données en exemple, il apparaît une attente forte sur l’enjeu pédagogique de la réponse pénale. Les personnes interrogées privilégient alors des peines telles que les stages ou le TIG en lien avec l’infraction, les amendes étant perçues comme antipédagogiques. « Paradoxalement, ceux qui critiquent le laxisme judiciaire ne sont pas les plus punitifs », souligne la chercheuse. Il ressort des travaux que les justiciables attendent que magistrats et avocats leur expliquent le sens de la peine. « La justice est toujours trop sévère lorsqu’elle vous concerne et trop laxiste lorsqu’elle concerne les autres », observe Grégoire Niango, avocat à Nancy et élu au CNB, qui a constaté que ceux de ses clients qui avaient participé à l’oeuvre de justice, en étant désignés jurés d’assises par exemple, étaient bien plus réfléchis sur ces questions. Il pointe aussi les dangers de l’arme à double tranchant que peut présenter la médiatisation d’une affaire pour un avocat et le rôle indispensable de ce dernier pour expliquer la décision de justice.
Des professionnels du droit et de l’importance de l’audience
L’étude met également en avant l’importance de la place des professionnels du droit dans le système judiciaire. Outre le procureur, dont le rôle ne semble pas compris du grand public et très peu évoqué, on constate que le panel, s’il fait état d’un haut niveau de confiance à l’égard des acteurs du monde judiciaire (84 % à l’égard des gendarmes et policiers, 70 % à l’égard des juges et 60 % à l’égard des avocats), se défie en revanche de l’institution judiciaire. S’agissant plus spécialement des avocats, les chercheurs disent avoir été frappés par la façon dont le panel a identifié une hiérarchie de ces professionnels de justice, allant du « ténor » à l’avocat intervenant à l’aide juridictionnelle, en passant par des catégories intermédiaires. Selon Grégoire Niango, cette hiérarchie est aussi l’un des effets de la médiatisation. Cécile Vigour précise par ailleurs que les justiciables sont très préoccupés par la question du degré d’implication de l’avocat dans la préparation de leur dossier. Plus généralement, elle indique que les enjeux juridiques d’un dossier ne sont pas les seuls à entrer en ligne de compte dans la réponse à apporter aux justiciables. L’attention à des facteurs subjectifs, à l’émotionnel et à des éléments qui ne peuvent pas être présentés au juge est demandé à l’avocat. Au magistrat, on réclame de l’écoute, de l’empathie, même dans le cadre d’un litige considéré comme faisant partie d’un contentieux de masse. « C’est l’importance accordée au care, par rapport au cure » explique Cécile Vigour. Elle indique que l’un des autres apports fondamentaux de l’étude est la mise en lumière de l’importance du temps d’audience, lieu d’expression et d’échanges qui semble être la solution pour que le contact avec la justice ne soit pas considéré comme une expérience humaine frustrante. « On peut d’ailleurs être insatisfait d’une décision judiciaire, mais satisfait du processus, et inversement », glisse-t-elle. Grégoire Niango, déplorant la disparition des audiences, insiste sur le rôle de l’avocat, qui doit préparer son client à la frustration et à l’impression de ne pas avoir été écouté. « C’est comme lorsque vous allez chez le dentiste, vous en voulez moins à celui qui vous prévient qu’il va vous faire mal qu’à celui qui vous fait mal sans vous prévenir. »