La Chancellerie engage le chantier de la confidentialité des avis des juristes d'entreprise
Véritable serpent de mer de la profession, la confidentialité des avis des juristes d’entreprise vient d’être remise sur le devant de la scène. Avec une différence de poids cette fois-ci : un projet de texte est porté par la Chancellerie. Explications de Jean-Philippe Gille, président de l’Association française des juristes d’entreprise.
Des discussions ont eu lieu à la Chancellerie mardi soir sur un projet de texte visant à introduire en droit français la confidentialité des avis émis par les juristes d’entreprise. Qui est à l’initiative du texte ?
L’initiative revient à la Chancellerie qui a pris conscience de l’impératif de souveraineté économique qu’implique cette réforme. Rappelons que le rapport du groupe de travail sur la justice économique et sociale, dirigé par Jean- Denis Combrexelle, à la suite des travaux des Etats généraux de la justice avait considéré que le sujet de la confidentialité des avis des juristes internes est « d’intérêt général » et à traiter « en urgence ». Le retard accusé par la France en la matière rend aujourd’hui la situation intenable au préjudice de la place du droit français dans un monde globalisé et de la compétitivité de nos entreprises. Il est impératif de rétablir l’égalité des armes entre les groupes français et leurs homologues internationaux. Le projet de règlement de l’Union européenne dit « e-evidence » s’apprête en outre à être adopté. Il prévoit l’insaisissabilité par un autre Etat membre des documents protégés par la confidentialité, dont ceux des juristes, là où elle est reconnue. Pourquoi continuer à placer les juristes français au ban de l’OCDE et de l’Europe ? La Chancellerie a donc considéré qu’il était urgent d’agir dès le 25 janvier dernier en réunissant l’AFJE et le Cercle Montesquieu le CNB, la Conférence des Bâtonniers et le Barreau de Paris pour fixer le cadre d’une solution consensuelle. Le projet texte présenté a été amélioré mardi 21 février et doit être encore affiné.
Quelle solution se dessine à l’heure actuelle ?
La solution proposée par la Chancellerie prévoit l’octroi de la confidentialité aux avis émis par les juristes d’entreprise. Il s’agit d’une confidentialité in rem, c’est-à-dire attachée au seul écrit juridique émis. Cette approche exclut la création d’un ordre des juristes d’entreprise ou d’un statut du juriste. Il n’emporte donc pas la naissance d’une nouvelle profession réglementée et ne crée aucun monopole d’exercice. L’approche est différente de celle qui existe en Belgique où il n’est pas possible d’exercer la profession de juriste sans être inscrit à l’Institut des juristes d’entreprise. Cette approche « french touch » est innovante en ce qu’elle attache la confidentialité à l’avis juridique que le juriste émet et non à sa personne. Seuls les juristes d’entreprise remplissant les conditions requises de qualification et d’emploi exerçant une fonction juridique interne au profit de l’entreprise seront habilités à les émettre conformément à l’actuel article 58 de la loi de 1971. La confidentialité ne s’appliquera pas aux écrits échangés entre juristes d’entreprise différentes. Elle ne concerne que les avis qu’il rédige pour l’entreprise qui l’emploie. Ne seront bien sûr pas couverts les avis et conseils ayant pour but d’avaliser, d’aider ou de participer intentionnellement à la commission d’un acte pénalement répréhensible.
On ne parle donc plus d’avocat en entreprise ?
Le projet porté par la Chancellerie vise à apporter une réponse à une situation devenue une urgence de souveraineté économique. Les débats autour du projet de l’avocat en entreprise au sein de la profession elle-même ne permettraient pas de déboucher dans des délais compatibles avec la situation. Le retard est trop grand. De nombreuses directions juridiques ont d’ailleurs saisis Bercy et la Chancellerie pour leur faire part de leur préoccupation sur les conséquences d’une absence d’une solution rapide alors que la France est entourée de pays qui offrent un régime de protection compétitif. Rien n’interdit à l’avenir que l’on reparle tous ensemble de la grande profession du droit, mais le sujet sur la table actuellement c’est de protéger nos entreprises. La Chancellerie a été très claire sur ce point. Encore une fois, conformément à la loi de 1971, les juristes d’entreprise ne pourront pas donner de consultation hors de l’entreprise. Le seul mode d’exercice externe de conseil juridique restera celui de l’avocat libéral. Les dispositions de la passerelle actuelle de l’article 98 vers celle-ci resteront également inchangées.
Comment cette confidentialité des avis des juristes d’entreprise va-t-elle se concilier avec le secret professionnel des avocats ?
Les deux systèmes de protection peuvent cohabiter sans difficulté puisque, pour les juristes, la confidentialité s’attache à l’avis et, pour l’avocat, le secret professionnel est in personam. Je rappelle à ce propos que l’AFJE et le Cercle Montesquieu ont toujours montré leur soutien à la profession d’avocat en prenant chaque fois position officiellement auprès de la Chancellerie, notamment en ce qui concerne le secret professionnel. Il me semble également important de souligner que cette évolution n’aurait pas non plus pour conséquence de remettre en cause la jurisprudence de la Cour de cassation (Crim. 26 janvier 2022) qui protège, au titre du secret professionnel de l’avocat, la note émise par un juriste d’entreprise intégrant comme déterminants les éléments de la consultation produite par un avocat externe. Ainsi la confidentialité des avis des juristes d’entreprise ne concernera pas la correspondance entre ceux-ci et leurs avocats. Nous serons en tout cas vigilants sur ce point car nous, souhaitons une solution positive pour les entreprises, pour les juristes internes et leurs conseils externes. Nous vivons dans un écosystème qui doit progresser globalement. N’oublions pas que le marché du droit est un marché de demande induite et que le développement du droit dans l’entreprise est profitable à l’ensemble des acteurs.