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Secret professionnel : « une impression de faux-semblant »

Par Anne Portmann

L’avocate Camille Potier, déléguée du bâtonnier de Paris aux perquisitions des avocats, décrypte les dispositions du projet de loi pour la confiance en la justice, dévoilé par la Chancellerie. Pour elle, le texte ampute le secret professionnel de l’avocat de la moitié de son contenu. Interview.

Ce projet de loi a été présenté comme protégeant davantage l’avocat contre les perquisitions menées à son cabinet, qu’en pensez-vous ?

Le texte prévoit en effet de modifier l’article 56-1 du Code de procédure pénale pour y préciser la possibilité de perquisition du cabinet, qui serait justifiée par des « raisons plausibles » de soupçonner l’avocat d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction, objet de la procédure. Mais c’est seulement un ajout à cet article, qui autorise encore une perquisition au sein d’un domicile ou au cabinet lorsque l’avocat lui-même n’est pas mis en cause. Contrairement à la manière dont il a été présenté, le texte n’apporte aucune garantie supplémentaire, puisqu’il ne supprime pas les cas de perquisitions les plus problématiques dans les cabinets, ceux dans lesquels l’avocat n’est justement pas en cause. Sur dix perquisitions, il n’y en a que deux ou trois où l’avocat est soupçonné, en tous cas, moins de la moitié. Il y a donc un hiatus sur cette question, car cet ajout ne changera quasiment rien en réalité. En pratique et lorsqu’il arrive que la perquisition soit justifiée par la mise en cause de l’avocat, la décision de perquisition était déjà motivée ! Pour une véritable avancée, il aurait fallu interdire purement et simplement les perquisitions dans un cabinet d’avocats lorsque ce dernier n’est pas mis en cause, sur la base d’éléments objectifs.

Un alinéa est tout de même ajouté à l’article préliminaire du Code de procédure pénale pour garantir le respect du secret professionnel…

Certes, mais si on analyse la phrase, « le respect du secret professionnel de la défense est garanti au cours de la procédure dans les conditions prévues par le présent code », cette disposition, présentée comme la reconnaissance du secret professionnel de l’avocat et tant souhaitée, est en réalité très restrictive. Ce qui est garanti, c’est seulement le secret de la défense, uniquement au cours de la procédure et dans les conditions prévues par le Code de procédure pénale. Cela signifie-t-il que le respect du secret professionnel tel que défini dans la loi du 31 décembre 1971 n’est pas garanti ? Que le seul secret professionnel pris en compte est celui qui s’exerce dans le cadre d’une défense ? D’une défense exclusivement pénale ? Ce qui signifierait que dans le cadre de visites domiciliaires menées en dehors des procédures pénales, à la demande d’autorités administratives, comme l’AMF ou l’Autorité de la concurrence, le respect du secret ne serait pas garanti ? Ce texte veut faire croire à une reconnaissance du secret professionnel de l’avocat, mais en réalité, il s’agit d’une amputation sévère, car il est très restreint. Là-dessus aussi, il y a une impression de faux-semblant.

L’introduction d’un recours suspensif de la décision du JLD ordonnant une perquisition devant le premier président est-elle une bonne mesure ?

Je suis assez partagée. Ce recours a été introduit, semble-t-il, à la demande des magistrats, notamment dans le but d’uniformiser les décisions des JLD, très disparates, car les audiences ne sont pas publiques et les ordonnances ne sont pas publiées. Mais devant le premier président, les audiences ne sont pas publiques non plus ! Un deuxième degré de juridiction est, bien sûr, toujours souhaitable, mais je ne suis pas certaine qu’il permette d’unifier la jurisprudence. Il risque, en pratique, d’alourdir encore les opérations de perquisition dans les cabinets d’avocats. Et en ce qui concerne le travail de la défense, nous devrons, une nouvelle fois, devant les premiers présidents, fixer les critères que nous avions réussi à fixer devant le JLD. Ce sera long.

Qu’en est-il concernant les données de connexion (fadettes) et les écoutes téléphoniques ?

Sur ces points, le projet de loi garantit en effet une meilleure protection aux avocats. Les données de connexion ne pourront être recueillies que s’il existe « des raisons plausibles » de soupçonner que l’avocat a commis ou tenté de commettre une infraction. Évidemment, la notion de « raisons plausibles » est vague, même plus que la notion « d’indices concordants », mais il doit s’agir d’éléments objectifs. Désormais, l’autorité de poursuite ne pourra plus demander de fadettes parce qu’elle en a simplement envie. C’est déjà un progrès.

Concernant les écoutes d’avocats, le fait qu’elles doivent désormais être autorisées par le JLD dans le cadre des enquêtes préliminaires, mais aussi des instructions est une avancée. Le juge d’instruction ne pourra pas décider seul d’une écoute sur un cabinet d’avocats. Mais le problème des écoutes des avocats par ricochet n’est toujours pas réglé. Même s’il est interdit de transcrire les conversations d’une personne avec son avocat, il n’en reste pas moins que les enquêteurs entendent les informations échangées et peuvent s’en servir. Cela crée nécessairement un biais de lecture pour l’analyse du dossier. Il faudrait, comme aux États-Unis, un dispositif technique qui coupe automatiquement la conversation lorsque l’appel provient d’un avocat ou arrive à son numéro. Les mesures qui figurent dans le projet de loi, sur ces points, vont dans le bon sens, mais auraient pu être plus abouties, d’autant que la profession d’avocat travaille là-dessus depuis plusieurs années.

On ne peut vraiment pas considérer, comme ce qui a été dit parfois, que cette loi serait un cadeau fait par le garde des Sceaux à ses anciens confrères. Globalement, il ne peut être considéré qu’il s’agit véritablement d’une avancée, même si d’autres mesures sont des premiers pas, comme la limitation de la durée des enquêtes préliminaires ou l’extension de la possibilité de demander l’accès au dossier des personnes perquisitionnées à l’issue de l’année qui suit la mesure. En toute hypothèse, il ne faut pas oublier que les garanties qui seraient accordées à ce titre ne sont pas au bénéfice des avocats, mais des justiciables.

Camille Potier