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Réforme de l’action de groupe : « Il ne s’agit pas de mettre les entreprises en difficulté »

Par Anne Portmann

La mission d’information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe a remis, le 10 juin 2020, son rapport à l’Assemblée nationale. Il dresse le bilan, assez décevant, de l’action de groupe et formule 13 propositions afin d’améliorer l’efficacité de cet outil juridique. Interview de Laurence Vichnievsky, députée Modem du Puy-de-Dôme et vice-présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, rapporteure avec Philippe Gosselin (LR, Manche).

Si l’on dresse le bilan de l’action de groupe, quels sont les éléments négatifs et positifs ?

Dans le rapport, nous avons beaucoup insisté sur l’aspect négatif, car depuis 2014, seulement 21 actions de groupe ont été introduites. C’est tout de même très modeste après six années d’existence. Si l’on devait lister les points positifs, ce serait certainement l’extension de l’action de groupe à d’autres domaines, comme la santé ou l’environnement.

En matière de santé, toutefois, seulement trois dossiers ont fait l’objet d’une action de groupe…

Oui, car dans le domaine de la santé, l’indemnisation du préjudice moral est très importante pour les victimes, qui préfèrent exercer un recours individuel pour être entièrement dédommagées. Dans ce cadre, elles optent le plus souvent pour la juridiction pénale. Si elles sont plusieurs à avoir subi le même type de préjudice, elles ont recours à l’action conjointe, qui regroupe des actions individuelles, plutôt qu’à l’action de groupe. Nous sommes favorables, pour notre part, à ce que l’action de groupe permette la réparation de l’intégralité du préjudice.

D’autres domaines pourraient-ils faire l’objet d’actions de groupe ?

Nous proposons qu’il existe une action de groupe générale. Les ajouts successifs de nouveaux secteurs ne rendent pas le dispositif très lisible. Il est souhaitable de faire confiance aux associations et aux avocats, sous le contrôle final du juge, pour apprécier la pertinence qu’il y a à introduire des actions de groupe dans de nouveaux domaines. Je pense notamment aux secteurs boursier et financier qui ne sont pas couverts, alors qu’il y aurait certainement des dossiers où l’action de groupe se justifierait.

Quelles autres propositions formulez-vous ?

Parallèlement aux travaux de l’Union européenne pour présenter un dispositif de recours collectif européen, dans lequel le système français est susceptible de s’insérer, nous déposerons à la rentrée, une proposition de loi pour réformer cette procédure. Nous pensons notamment que l’effet préventif de l’action de groupe pourrait être plus important et préconisons la possibilité pour le juge de condamner l’entreprise à une sanction civile, qui serait une fraction de son chiffre d’affaires. Ce type de sanction n’est pas encore très présent dans la culture juridique française, mais commence à entrer dans les mœurs. Cela va dans le même sens que les travaux en cours sur la réforme de la responsabilité civile délictuelle, même si en l’occurrence cela s’appliquerait aussi aux situations contractuelles.

L’idée serait aussi de communiquer systématiquement les procédures d’actions de groupe au ministère public, qui pourrait intervenir s’il estime qu’il est porté atteinte à l’ordre public économique. Il ne s’agit pas de mettre en difficulté les entreprises, mais plutôt de poursuivre le mouvement de rééquilibrage entre entreprises et consommateurs. D’ailleurs, nous voudrions que les personnes morales puissent bénéficier, comme les particuliers, de la procédure des actions de groupe, car beaucoup de PME et d’ETI sont vulnérables et peuvent être victimes d’abus de la part de leurs fournisseurs ou d’autres partenaires commerciaux. On peut aussi considérer que des personnes morales de droit public seraient intéressées, je pense en particulier aux communes dans le domaine de l’environnement.

Pour les particuliers cependant, vous souhaitez conserver le filtre de l’association de consommateurs, alors que beaucoup d’avocats le contestent et souhaitent le voir supprimé ?

La conception française de la procédure est fondée sur la distinction nette entre les parties et leurs avocats. Supprimer le filtre de l’association, seule partie à la procédure mais représentée bien sûr par un avocat, risque de nuire à cette distinction. Nous n’avons aucune défiance à l’égard des avocats et nous ne craignons pas de dérives, mais nous voulons préserver la conception française de la conduite du procès. Ce n’est pas la question des honoraires qui est en jeu, mais bien la clarté de l’action. Par ailleurs, nous souhaitons élargir la définition des associations ayant qualité à agir en veillant, par le choix de critères facilement vérifiables, à éviter les discussions in limine litis à ce sujet, qui risquent de constituer autant de moyens dilatoires en défense et de paralyser les actions de groupe. Nous voudrions également étendre les modalités de publicité en direction des victimes potentielles et réduire les délais de jugement.

Vos propositions concernent également le financement des actions de groupe ?

Oui, il faudrait permettre un remboursement plus complet des frais engagés par les associations pour exercer une action de groupe, dès lors que le fondement est sérieux. C’est dans ce but que nous faisons aussi une proposition de réforme de l’article 700 du code de procédure civile. Il s’agit d’une proposition majeure qui dépasse le champ de la seule action de groupe et qui devrait concerner l’ensemble du contentieux civil : obliger les juridictions à indemniser la partie gagnante de l’intégralité des sommes qu’elle a engagées, soit en honoraires des avocats, soit dans d’autres frais irrépétibles afférents à la procédure, ou, en cas de refus, à motiver concrètement leur décision.