Quand PACTE concilie la RSE et le LBO
La loi PACTE regorge de détails inattendus et non moins intéressants. L’un des derniers en date porte sur la possibilité offerte aux fonds d’investissement de partager leur plus-value avec les salariés lors de leur sortie. Cette mesure, qui doit encore être votée par le Sénat, concernerait tous les employés leur permettant ainsi de bénéficier de la création de valeur de leur entreprise. Les démarches RSE trouvent enfin leur place dans le LBO. Explications par Anne Lemercier, associée de Clifford Chance.
Les députés viennent de voter un amendement à la loi PACTE permettant une meilleure répartition des plus-values de cession dans le cadre d’un LBO. Qu’en est-il ?
Il s’agit de permettre aux actionnaires, et notamment aux fonds d’investissement, de partager leur plus-value de cession avec l’ensemble des salariés ayant participé à la création de valeur de l’entreprise sous LBO. L’objectif est d’élargir le cercle des bénéficiaires des gains ainsi réalisés, habituellement réservés aux managers. Le partage de la plus-value interviendrait par le biais d’un accord d’intéressement. C’est très astucieux car cela permet de s’assurer que l’équité et le caractère collectif de la distribution seront respectés, selon des modalités bien connues des partenaires sociaux, tout en bénéficiant d’un cadre juridique et fiscal stable. Cet amendement répond à la demande de certains fonds de partager plus aisément les plus-values avec les salariés, demande relayée et largement soutenue par France Invest depuis plusieurs années. Des précisions devraient être apportées sur ce nouveau dispositif à l’occasion des débats devant le Sénat début 2019, notamment quant au caractère pluriannuel de cet intéressement.
Doit-on le percevoir comme un management package élargi à tous les salariés ?
La principale différence avec le management package est l’absence de risque pris par le salarié. À la sortie du fonds, s’il n’y a pas de plus-value de cession, le salarié ne touchera rien. Mais il n’aura jamais investi financièrement. En outre, les montants versés, s’ils bénéficient du traitement fiscal et social de l’intéressement, devraient être plafonnés. Lors de la sortie de l’actionnaire, les salariés auraient le choix entre bénéficier immédiatement de leur part de la plus-value ou l’épargner dans le cadre du plan d’épargne entreprise pendant cinq. Dans cette dernière hypothèse, les sommes seraient intégralement exonérées d’impôts sur le revenu et seulement soumises à CSG/CRDS (17,2 % aujourd’hui). En mettant en place ce type de dispositif, les fonds d’investissement s’inscriraient ainsi dans une démarche sociale, dans une logique gagnant-gagnant. Tout porte donc à croire que les fonds qui proposeront ce type de produits dans leur offre d’investissement seront très compétitifs face à la concurrence.
La France est-elle en avance sur ces sujets par rapport aux pays voisins ?
La France est sans aucun doute précurseur sur les sujets d’actionnariat salarié collectif et de gestion collective des actions. C’est l’un des rares pays d’Europe à disposer d’outils juridiques aussi sophistiqués permettant de donner des actions aux salariés. Mais ces dispositifs demeurent complexes, mêlant des problématiques juridiques, financières, fiscales et sociales pouvant effrayer les plus petites entreprises. Le partage de la création de valeur par le biais d’un accord d’intéressement a vocation à permettre aux entreprises et à leurs investisseurs de mettre en place très simplement un dispositif d’alignement des intérêts des salariés et des actionnaires. Une nouvelle fois, la France propose un produit innovant d’intéressement des salariés que les autres pays nous envieront certainement.
Du point de vue du conseil, quels types d’avocats se chargent de ces sujets qui sont à la frontière de plusieurs spécialités ?
Initialement, les problématiques d’actionnariat salarié relevaient du droit social. Mais au fur et à mesure des années, elles se sont complexifiées et ont nécessité l’intervention d’experts capables de manier et combiner les contraintes de droit social mais aussi fiscal, corporate et de droit financier. À partir de la fin des années quatre-vingt-dix, de nouveaux produits à effet de levier ont été créés et les entreprises ont cherché à les internationaliser. De fait, ce sont principalement des équipes spécialisées de cabinets internationaux qui ont été en charge de les mettre en place, à l’image de Shearman & Sterling et Clifford Chance. Très récemment, Mayer Brown a également décidé de se positionner sur cette expertise.
Au sein de Clifford Chance, le développement de cette pratique s’inscrit naturellement dans notre volonté de conseiller nos clients sur les problématiques complexes, à forte valeur ajoutée et stratégique. Nous venons ainsi de créer une pratique unique, renforcée par l’arrivée de trois avocats très expérimentés, dédiée à l’ensemble des problématiques de gestion des ressources humaines, traitant aussi bien des restructurations d’entreprise, des relations collectives de travail, des contentieux collectifs, que de la protection complémentaire des salariés ou leur intéressement, dans un contexte international.
Ce regroupement répond aussi à l’évolution sans précédent du droit social qui impose aux entreprises de très vite s’adapter à ces nombreux changements. Notre équipe est désormais constituée de 12 avocats, dont deux associés - François Farmine et moi-même – ainsi que 2 counsel - Cécile Zoro, spécialiste des relations collectives de travail, et Ekaterina Zaboussova-Celsa, spécialiste en épargne salariale. ■