Panorama 2017-2018 des défenses anti-OPA
Herbert Smith Freehills vient de publier la nouvelle édition de son étude sur les défenses anti-OPA des sociétés françaises du CAC 40 incluant, pour la première fois, le CAC Next 20. Décryptage d’Hubert Segain, associé et responsable de la pratique corporate du cabinet.
Quels enseignements tirer de cette édition ?
Depuis dix ans, nous notons une tendance au renforcement des blocs structurants dans l’actionnariat, souvent historique et fidèle, des sociétés cotées. Ainsi, 25 % des sociétés du CAC 40 disposaient d’actionnaires détenant plus de 10 % du capital ou des droits de vote en 2007, contre 59 % en 2017-2018 et 67,5 % en intégrant le CAC Next 20.
Tel est par exemple le cas dans les sociétés Bouygues, Carrefour, Engie, Kering, ou Pernod-Ricard, pour le CAC 40, ainsi qu’Air France-KLM, Bureau Veritas et Dassault Systèmes pour le CAC Next 20.
Quelle a été l’influence de la loi Florange sur cet arsenal anti-OPA ?
Les dernières modifications substantielles en matière de défense anti-OPA résultent de la loi Florange du 29 mars 2014. Cette loi a notamment renversé le principe de neutralité en redonnant, sous certaines conditions, au conseil d’administration ou au directoire après autorisation du conseil de surveillance, le pouvoir de prendre toute décision dont la mise en œuvre est susceptible de faire échouer l’offre. Désormais, en cas d’OPA, le conseil d’administration peut donc réagir rapidement en échappant au contrôle des actionnaires.
Soulignons également qu’en 2007, 14 % des sociétés françaises du CAC 40 pouvaient mettre en œuvre certaines autorisations et délégations financières en période d’offre publique, contre 3 % en 2013. Si le renversement du principe de neutralité aurait pu avoir une incidence sur cette défense qui renchérit le coût de l’offre, cette incidence demeure limitée dans la mesure où elle ne concerne désormais que 9 % des sociétés françaises du CAC 40.
L’étude démontre, par ailleurs, que l’utilisation des bons bretons, qui renchérissent aussi le coût de l’offre, n’a que très peu évolué durant la décennie. L’influence grandissante des proxy advisers, qui y sont défavorables, explique la réticence des émetteurs. Ce mécanisme était également peu utilisé en pratique du fait des difficultés de mise en œuvre liées au principe de neutralité. Son renversement n’a pourtant pas inversé la tendance constatée dans la mesure où, en 2017/2018, seules trois sociétés françaises du CAC 40 sont concernées, contre 8,5 % en 2013 et 19,5 % six ans plus tôt.
Enfin, la loi Florange a renversé le principe de l’attribution de droits de vote double avec leur attribution de plein droit, et non plus en application de stipulations statutaires, à tous les actionnaires de sociétés cotées détenant leurs titres au nominatif depuis deux ans, sauf clause contraire des statuts. Ce renforcement de l’influence des actionnaires au nominatif s’est donc accéléré depuis l’adoption de la loi, passant de 58,5 % en 2007 à 61 % en 2013, puis à 73,5 % en 2017/2018.
Comment échapper à une OPA hostile aujourd’hui ?
Plusieurs mesures réduisent plus ou moins fortement le risque de faire l’objet d’une OPA hostile.
La société en commandite par actions (SCA), par exemple, est une défense presque parfaite dans la mesure où l’initiateur d’une OPA non sollicitée ne peut devenir que commanditaire. Or, cette qualité lui interdit d’accéder aux fonctions de direction de la société. Le choix de cette forme sociale doit toutefois être effectué avant la cotation, la transformation de la société anonyme (SA) cotée en SCA étant en pratique impossible. Non appréciée des investisseurs, cette forme sociale ne concerne que très peu de sociétés, comme Michelin ou encore Hermès. Les sociétés bénéficiant du statut juridique de société protégée par l’État sont également peu sujettes à OPA dans la mesure où l’évolution de leur capital doit être validée par celui-ci. Sont concernées, les sociétés exerçant une activité réglementée ou entrant dans le champ d’application du contrôle des investissements étrangers en France. Ainsi, des sociétés comme Airbus, Thalès, EDF ou encore Engie sont « inopéables » à raison de la loi si l’offre n’est pas amicale.
D’autres moyens de défense existent, mais ils ne font pas véritablement obstacle à une offre non sollicitée. À titre d’exemple, être coté sur plusieurs places n’empêche pas d’être pris pour cible, même si cette multicotation plébiscitée par 41,5 % d’entre elles en 2007, contre 23,5 % en 2017/2018, rend la transaction plus complexe et plus coûteuse.
Quelles évolutions sont à prévoir ?
La tendance va vers un accroissement à venir de la difficulté d’acquérir une cible cotée en France via une OPA hostile. Dans le futur, obtenir une autorisation supplémentaire de l’État sera nécessaire pour un grand nombre de sociétés opéables aujourd’hui.
La loi Pacte, votée en première lecture à l’Assemblée nationale le 9 octobre dernier, augmente le nombre de secteurs touchés par la réglementation sur les investissements étrangers, afin de protéger les secteurs d’avenir. Cette extension pourrait ainsi couvrir des secteurs tels que l’intelligence artificielle, le secteur spatial, le stockage des données numériques, les nanotechnologies l’industrie des semi-conducteurs ou encore les infrastructures financières. Une procédure de rescrit sera également introduite, permettant à l’investisseur et à la cible de déterminer par avance si l’opération envisagée relève du champ de la réglementation.