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« L’IA générative augure d’un bouleversement de la manière de travailler des avocats »

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Septeo Solutions Avocats lance, en janvier prochain, un nouveau module d’intelligence artificielle (IA) générative intégré dans leur solution de gestion SECIB NEO. Christelle Petrucci, directrice générale de Septeo Solutions Avocats explique ce qu’il va changer dans les cabinets.

Quels sont les cas d’usage de ce module d’IA générative ?

Christelle Petrucci : Tout d’abord, je souhaite insister sur ce terme « cas d’usage ». Nous avons fait le choix de proposer une IA répondant à des cas d’usage métier de la profession d’avocat. L’IA générative n’est pas un outil standard avec lequel le cabinet va tâtonner. Nous avons prévu des cas d’usage précis afin de guider nos utilisateurs et de permettre aux cabinets de borner l’utilisation de l’IA au sein de sa propre structure.

Aujourd’hui, notre module d’IA est intégré dans le logiciel de gestion pour les cabinets d’avocats et s’articule autour de leur valeur ajoutée, leur production documentaire. Dans chaque dossier, l’avocat classe ses assignations, ses conclusions, ses contrats, etc., avec sa propre arborescence. Le module d’IA va alors intégrer l’ensemble de ces documents, peu importe le type de dossier ou d’acte, et les indexer dans la base de données du cabinet, afin de restituer les informations qui y sont contenues, sur demande. Il pourra indexer les documents Word, les PDF, les images, ainsi que les e-mails entrants et sortants.

Le module d’IA va ensuite être capable de réaliser plusieurs tâches. Il pourra d’abord interroger le logiciel, en langage naturel, pour retrouver certains documents. Par exemple, l’avocat se souvient, qu’il y a quelques années, il avait traité un dossier de divorce original et avait eu recours à de la jurisprudence, mais ses souvenirs sont un peu flous. Il peut solliciter le module d’IA générative en lui demandant de ressortir le dossier de divorce pour retrouver cette jurisprudence. La requête pourra être assez vague, peu précise, mais le module va, sur ses indications, avoir la capacité de retrouver tous les documents qui correspondent à sa recherche.

Le module d’IA va, par la suite, lui proposer instantanément un résumé du document trouvé – par exemple, les conclusions de la partie adverse dans un dossier d’il y a quatre ans. À l’ouverture du document, l’IA va détecter les mentions juridiques qui y figurent et pourra communiquer des informations sur leur statut : sont-elles toujours en vigueur, sont-elles modifiées, ou abrogées ? Le document sera affiché et sur le côté, seront listés tous les articles cités avec un lien direct vers Légifrance permettant de vérifier l’état des textes ou de la jurisprudence. S’ils sont en vert, c’est que rien n’a changé, mais s’ils sont en rouge, c’est qu’ils sont abrogés ou modifiés. L’IA va également pouvoir rechercher, dans les documents, les entités nommées. Ainsi, lorsque le cabinet reçoit une assignation, le module peut automatiquement créer un dossier au nom du client avec tous les éléments nécessaires.

Le module propose en outre, une analyse de contrat. Par exemple, si l’avocat est en train de travailler sur un contrat, il va pouvoir demander au chatbot quel est le plafond de responsabilité ou quelles sont les clauses suspensives, et il ne sera plus obligé de rechercher dans le document.

Quelles autres phases de développement prévoyez-vous ?

C. P. : La deuxième partie de notre module IA, qui sera disponible au milieu de l’année 2024, proposera d’étendre l’indexation disponible pour les documents aux données de gestion du cabinet. C’est-à-dire tout ce qui relève de la facturation, du pilotage de la trésorerie et de la production du cabinet. Les avocats auront ainsi la capacité d’interroger le logiciel pour récupérer instantanément de la donnée. Par exemple, l’avocat pourra interroger le logiciel sur le top 10 de ses clients, en fonction du chiffre d’affaires réalisé, par région et par responsable de dossier. Ce sont des informations qui sont certes déjà disponibles dans la base de données du cabinet, mais jusqu’ici, il fallait aller les chercher, consulter les documents statistiques, les reportings, etc. Aujourd’hui, elles sont générées en quelques secondes. Cette technologie augure d’un bouleversement de la manière de travailler des avocats, des collaborateurs et des assistants.

Comment fonctionne l’IA générative implémentée dans votre logiciel ? Est-ce un système auto-apprenant ?

C. P. : Aujourd’hui, nous exploitons un ensemble de modèles d’intelligence artificielle que nous avons nous-même formés et qui sont dédiés à des tâches, comme la détection d’entités nommées ou des mentions juridiques. Nous utilisons aussi des modèles génératifs de textes, afin que le logiciel comprenne les requêtes qui lui sont adressées en langage naturel par les utilisateurs et puisse formuler des réponses en adéquation avec le contexte. Ces modèles sont soumis à de longs processus de « fine tuning » pour les adapter, les personnaliser et proposer une réponse contextualisée. L’IA générative apprend avec ce qu’on lui donne, à savoir les données du cabinet scannées et océrisées qui lui permettent d’apporter une réponse conforme aux standards de la structure.

Les requêtes anonymisées de l’ensemble de vos clients sont-elles utilisées pour améliorer l’algorithme ? 

C. P. : Ce n’est pas le choix que nous avons fait aujourd’hui. Nous travaillons avec les avocats depuis plus de 30 ans. Nous savons que leurs données, leurs recherches juridiques, leurs travaux leur sont propres et constituent leur valeur ajoutée. Et il n’est pas question de les partager. Ce n’est pas du tout notre vocation. Nous entraînons l’algorithme, et c’est seulement ensuite, au sein du cabinet, qu’il continue à s’entraîner, se perfectionner à partir des données de chacun.

Comment assurez-vous la sécuritén et l’intégrité des données ?

C. P. : Nous aurions pu faire le choix facile d’intégrer dans notre logiciel ChatGPT 4 dans notre logiciel, une IA extrêmement puissante, qui peut être pluggée à n’importe quelle solution logicielle. Mais c’était totalement contraire à notre priorité, qui est de sécuriser les données de nos clients et de conserver leur intégrité. Nous avons donc fait appel à un modèle d’intelligence artificielle 100 % français, qui se nomme Mistral AI. L’algorithme est en open source, à ne pas confondre avec open data. Les données sont hébergées sur nos propres serveurs, en cloud souverain se situant à Marseille. Nous avons fait le choix de travailler avec un opérateur 100 % français afin que notre solution soit conforme aux normes et à la réglementation française. Si nous avions travaillé avec ChatGPT par exemple, nous aurions été soumis à la réglementation américaine. En France, le niveau de réglementation est exigeant. Le choix d’un opérateur français est donc la garantie que notre solution est soumise aux plus hauts standards de normes et sécurité.

Quels sont les retours des cabinets beta-testeurs de votre solution ?

C. P. : Ils témoignent d’un gain de productivité assez conséquent, de l’ordre de 30 %, dans la recherche documentaire notamment. L’essentiel du travail de l’avocat réside en effet dans la recherche intellectuelle et le module d’IA que nous proposons permet de capitaliser sur les recherches déjà effectuées dans d’autres dossiers. L’avocat n’a plus qu’à les récupérer pour les incrémenter dans un nouveau dossier.

Les testeurs indiquent aussi avoir gagné beaucoup de temps s’agissant de la productivité des collaborateurs, notamment après le recrutement. Grâce au module d’IA, le cabinet a la capacité d’onboarder plus facilement les collaborateurs, en mettant immédiatement à leur disposition la base de connaissances du cabinet. Ceux-ci s’imprègnent plus facilement de la culture du cabinet et, surtout, plus rapidement.

Le logiciel a-t-il la capacité de rédiger des actes et de les envoyer aux personnes intervenant dans le dossier ?

C. P. : La faculté d’automatiser entièrement une procédure constituera la troisième phase de développement de notre solution. Cette fonction sera disponible à la fin de l’année 2024. Nous avons néanmoins pris le parti de ne pas générer de documents via l’IA. Nous fonctionnerons toujours avec ce module qui sera capable d’aller chercher d’anciennes conclusions et de rapatrier, avec un système de clausier, certaines formulations. Le logiciel proposera des documents et détaillera la procédure, mais il y aura toujours une validation par l’humain. Aujourd’hui, les témoignages de nos utilisateurs montrent qu’ils ne sont absolument pas prêts à déléguer cela à l’IA. Le retour que nous avons du marché démontre également qu’une partie de la profession semble encore craindre cette automatisation maximale.

Sur ce point il est d’ailleurs intéressant de noter que la réglementation autour de l’IA commence à se durcir. Ainsi, aux États-Unis, les cabinets d’avocats qui utilisent l’IA doivent le mentionner à leurs clients en détaillant à quel moment ils l’ont utilisé et à quelles fins. La France devrait rapidement légiférer sur ce sujet aussi.