Le renouveau du droit public des affaires post-Covid
Une fois n’est pas coutume, la crise sanitaire a mis en exergue le travail des publicistes. Didier Seban, associé fondateur du cabinet Seban & Associés, explique les grandes problématiques de droit public des affaires qui ont été traitées durant le confinement et les sujets à venir.
Quelles sont les grandes problématiques de droit public des affaires ayant été traitées durant la crise sanitaire ?
Les publicistes ont d’abord été particulièrement occupés par l’arrêt du processus électoral. Ce sujet, d’ordre institutionnel, nous a conduit à nous interroger sur la capacité de prise de décision des collectivités durant cette période : pouvaient-elles continuer à passer des marchés publics et à apporter des projets alors que leur exécutif n’était pas stabilisé ? Le report du second tour des municipales les a vraiment placés dans une situation intermédiaire inédite…
La consommation en ligne qui s’est accentuée durant la crise sanitaire, la difficulté pour les consommateurs de reprendre le chemin des magasins, le coût qu’ont représenté les fermetures de commerces malgré les mesures compensatoires du gouvernement, ou encore le fait que la plupart des grandes foncières ne font pas l’effort de suspendre leurs loyers, aboutissent à une situation très difficile pour les commerçants qui va sûrement mobiliser le droit des procédures collectives. Fort heureusement, les décideurs locaux affichent une véritable volonté d’aider le tissu économique. À Paris et à Lyon, par exemple, ils ont facilité la reprise en permettant, aux bars ainsi qu’aux restaurants possédant des terrasses, d’occuper le domaine public, la plupart du temps sans contrepartie financière, et en fermant l’accès d’un certain nombre de rues aux voitures. Nous avons régulièrement été consultés sur les questions liées à l’aménagement et à l’utilisation du domaine public, qu’il s’agisse de la mise à disposition de trottoirs aux restaurateurs ou de la création de pistes cyclables.
Peut-on parler de renouveau, post-Covid, de la matière ?
Je crois que l’on peut parler d’un renouvellement du droit public des affaires, en raison du rapprochement, en tout cas de l’interpénétration, du droit privé, notamment des affaires, et du droit public. Même si la plupart des dossiers ont été gelés durant le confinement, ce mouvement s’est traduit par l’émergence d’un certain nombre de sujets à la fin de la crise sanitaire. Nous venons notamment d’entrer dans une phase très active de discussions entre les personnes publiques et leurs cocontractants, dans le cadre de délégations de service public, de contrats de partenariat, ou encore de marchés publics. La question de la force majeure ou encore de l’imprévision est régulièrement soulevée.
Quid des problématiques de droit public inhérentes au soutien local des entreprises ?
Se posent d’importantes problématiques en matière d’aides aux entreprises. L’activité touristique est, par exemple, durement impactée par le Covid-19. De nombreux sujets sont devant nous : comment les collectivités peuvent aider les acteurs du tourisme ? Qu’ont-elles le droit de faire en termes d’augmentation de capital par exemple ? Rappelons que la problématique juridique inhérente au soutien des entreprises est liée à la compétence principalement dévolue aux régions, et subsidiairement aux départements et aux communes. Si l’aide économique apportée aux entreprises relève d’abord des régions, de nombreuses communes manifestent leur souhait de soutenir des commerces menacés de fermeture ou des fleurons locaux en difficulté et soutenir davantage des commerces. Nous militons activement pour un assouplissement juridique afin que les communes puissent apporter une aide économique au tissu local, puisqu’un certain nombre de petites entreprises, notamment dans le secteur du commerce, sont en danger. Dans un ordre d’idées semblable, un certain nombre de régions nous posent la question d’entrer au capital de sociétés privées afin de les soutenir, ce qui pose ici aussi des sujets d’aides d’État, mais pas seulement.
Si la Commission européenne a publié des orientations, elle n’a pas vraiment fait évoluer sa doctrine sur le sujet. Il en est de même de l’État français concernant la compétence des collectivités et les « outils » qui leur sont offerts. Nous naviguons dans un univers assez contraignant, avec une demande très forte à la fois des entrepreneurs et des décideurs publics de pouvoir intervenir sur ce secteur. Il est donc impératif que le droit évolue.
Quels sont les grands sujets à venir ?
De nombreuses dispositions transitoires ont été édictées pour affronter la crise sanitaire, notamment en termes de procédure administrative et de droit de l’urbanisme. Cet arsenal législatif peut devenir un nid à contentieux et à interprétation en raison de la contradiction de certains textes. Une forte montée des plaintes d’agents, d’usagers ou de leurs ayants droits liées à des contaminations, le cas échéant mortelles, par le Covid-19, pour rechercher la responsabilité administrative ou pénale d’un certain nombre d’organismes publics, est également à craindre.
Par ailleurs de nouvelles questions juridiques vont se poser. En droit immobilier par exemple, nous constatons déjà une volonté des promoteurs de rediscuter, notamment avec les collectivités locales et les SEM d’aménagement et immobilières, des promesses de vente liées à leurs acquisitions, en faisant état des difficultés à venir de la commercialisation de leurs constructions. Nous avons aussi été consultés par de grands bailleurs sociaux sur la possibilité de procéder à l’annulation des loyers des commerces de bas d’immeuble. Puisqu’il ne s’agit pas seulement d’un report des charges, la question qui se pose est de savoir si cette mesure peut être qualifiée d’aide d’État et si elle est compatible avec le droit de la concurrence. Au-delà, les décideurs publics sont-ils contraints par l’obligation de principe de percevoir les créances qui leur sont dues ?
Le droit public des affaires est plutôt traité en cabinets de niche. Pensez-vous que les cabinets d’avocats d’affaires internationaux vont recruter plus de publicistes ?
Les cabinets d’affaires internationaux représentent généralement les entreprises cocontractantes des personnes publiques, mais rarement les personnes publiques elles-mêmes. C’est pour cela que les bureaux parisiens des firmes internationales possèdent de petites équipes en interne. Même si le Covid-19 donne un nouvel élan au droit public, je ne suis pas certain qu’ils se renforcent en la matière, car la clientèle publique est très particulière à traiter, notamment du point de vue des honoraires et des appels d’offres. Si les entreprises choisissent de se tourner vers ces derniers pour participer, soit au contentieux, soit aux négociations qu’elles peuvent mener, je crois que les grands cabinets d’affaires internationaux auront sans doute du mal à s’imposer auprès d’une clientèle publique.