LBO et M&A international : de l’intérêt d’aligner capital financier et capital humain
Dans un contexte marqué par un éloignement de l’horizon de sortie des opérations de LBO, de nombreuses entreprises ont eu tendance, au cours des deux dernières années, à accélérer la mise en œuvre de leur stratégie de build-up, voire de plateforme M&A à l’international. Associé chez Opleo Avocats, Antoine Degorce détaille les facteurs clés d’une intégration réussie des cibles.
Léger recul des montants investis par les fonds, baisse plus marquée du nombre d’opérations de cessions : les chiffres que vient de publier France Invest sur l’activité des acteurs du capital-investissement lors du premier semestre 2024 témoignent d’un marché du LBO toujours morose…
Comme c’est le cas depuis l’été 2022 et le début d’un cycle de hausse rapide et brutale des taux d’intérêt dans la zone euro, les désaccords sur les valorisations entre les acquéreurs et les vendeurs restent en effet fréquents, ces derniers refusant de renoncer à une partie de leur perspective de plus-value. Dans ce contexte, beaucoup d’entre eux continuent donc de conserver en portefeuille de participations parfois anciennes, ce qui explique en partie le recul du nombre de cessions en France lors du premier semestre (585 contre 660 un an plus tôt sur la même période). Corollaire de cette tendance, de nombreux fonds mettent ce temps à profit pour accélérer la croissance de valeur de leurs participations, dans l’espoir d’optimiser les conditions de leur sortie future : le surplus de liquidité de ces entreprises, qui ont généralement pu rembourser une part significative de leur dette d’acquisition initiale, offre alors des opportunités. À ce titre, j’observe chez mes clients, comme plus largement dans le marché, une augmentation notable des stratégies de build-up (déjà connues) par la constitution de véritables plateformes M&A, notamment sur le segment intermédiaire (300 M€ à 2 mds€ de valorisation), avec une accélération des transactions réalisées à l’international.
Quelles sont les principales difficultés inhérentes
à la mise en œuvre de telles stratégies ?
Comme pour toute opération de M&A, la première difficulté tient logiquement au risque d’exécution, qui tend d’ailleurs à être de plus en plus élevé à l’échelle transfrontalière en raison non seulement de la vigilance exacerbée des pouvoirs publics en matière de contrôle des investissements étrangers dans certains secteurs considérés comme stratégiques, mais aussi de la concurrence croissante que se livrent les candidats à l’acquisition sur bon nombre de dossiers. La seconde difficulté tient quant à elle au risque d’intégration, qui est d’autant plus prégnant pour les plateformes M&A dans la mesure où elles accumulent les opérations de croissance externe, en ciblant souvent plusieurs entreprises à des phases de développement variées.
Justement, quelles sont les recettes
d’une politique d’intégration réussie ?
En France comme à l’international, la création de valeur ne peut passer que par une implication forte des collaborateurs des cibles, en particulier leurs managers, dont il est attendu qu’ils changent d’échelle pour passer d’une vision « stand alone » à une vision « groupe ». Ce faisant, la recherche d’un alignement sur le projet d’entreprise poursuivi par l’acquéreur s’impose, à mes yeux, comme le préalable d’une intégration réussie.
L’alignement financier également.
Bien sûr. Même si, et j’insiste sur ce point, la motivation n’est pas uniquement financière. Si une entreprise veut « onboarder » correctement les équipes de l’entité rachetée, elle devra en effet parvenir à développer une culture commune. À cet égard, si le groupe acquéreur a déjà mis en place des dispositifs d’alignement entre son capital financier et son capital humain, il cherchera assez naturellement à inscrire le management de l’entreprise cible dans son propre mécanisme de partage de la création de valeur au niveau du groupe consolidé.
En France, les entreprises disposent d’une palette d’outils pour espérer tendre vers cet objectif.
En va-t-il de même à l’étranger ?
Sur ce plan, la principale difficulté à laquelle une entreprise peut être confrontée n’est pas tant de trouver des mécanismes d’alignement qu’elle pourrait mettre en œuvre que de parvenir à transposer à l’international ceux qu’elle utilise déjà en France. Cet écueil résulte de la diversité des cadres réglementaires et fiscaux d’un pays à l’autre. Pour y parvenir, nos clients doivent s’appuyer sur une analyse transversale des règlementations locales afin de déterminer comment harmoniser leurs dispositifs au niveau mondial. Un exemple classique reste les programmes d’attribution gratuite d’actions (AGA). Très populaires en France, en particulier depuis la loi dite Macron du 8 août 2015, ils doivent généralement être adaptés pour être efficaces dans un contexte transfrontalier, afin de ne pas défavoriser le management étranger de la cible et nuire ainsi à l’alignement d’intérêts recherché.
En ce qui concerne les équipes dirigeantes
des cibles, quels dispositifs d’incitation
ont le vent en poupe ?
Il est courant que des clauses de complément de prix, dites earn-out, soient intégrées au contrat, incitant ainsi le vendeur à atteindre certains objectifs financiers sur un horizon d’un ou deux ans afin de maximiser le prix de cession. Pourtant, cet outil profite avant tout aux dirigeants-vendeurs de la cible et peut les inciter à privilégier une vision court-termiste : si cela peut s’avérer pertinent dans certaines opérations (eg. build-up peu avant une sortie, large actionnariat chez les managers de la cible), les acteurs avertis privilégient toutefois le réinvestissement des managers cédants au capital de la holding du groupe acquéreur. Dans ce cas, la constitution de holdings ad hoc est souvent retenue à l’aune du nombre potentiellement significatif d’actionnaires que pourra compter le groupe au fil de ses acquisitions. Attention toutefois au nombre de structures interposées qui peut, dans certains pays, représenter une contrainte fiscale supplémentaire.
Qu’en est-il de l’alignement d’intérêts en faveur
des salariés ?
Après avoir pu observer l’impact positif sur la création de valeur de l’alignement d’intérêts en faveur des hommes et femmes clés de l’entreprise, il n’est pas rare que nos clients nous sollicitent pour élargir le champ des bénéficiaires à l’ensemble des salariés du groupe. Dans ce cas, si les mécanismes usuels peuvent rester pertinents (eg. cadres de Management Buy Out, voire de « sponsorless »), des dispositifs destinés à l’ensemble des salariés méritent alors d’être étudiés, tels que les fonds communs de placement en entreprise (FCPE) investis en titre de la société holding du groupe employeur. Ce dispositif, très répandu en France, peut en principe depuis une ordonnance du 4 octobre 2017 être dupliqué dans d’autres pays-membres de l’Union européenne et, ainsi, profiter aux salariés des entités étrangères acquises. Dans les faits, peu de sociétés sous LBO optent cependant pour cette approche. Un premier frein est inhérent aux fonds qui accompagnent les acquéreurs : alors que leur horizon d’investissement se limite souvent à 5 ans environ, beaucoup considèrent qu’ils ne tireront pas (pleinement) profit du lancement d’un FCPE dont la durée de mise en place post-closing est généralement comprise entre 9 et 12 mois et est suivie d’une période de blocage de 5 ans pour les salariés porteurs de parts. Un autre écueil, propre aux FCPE internationaux, tient au désalignement des règles fiscales et sociales applicables aux salariés français et étrangers : si des adaptations locales sont possibles pour réduire cette difficulté, le bilan coûts-intérêts est souvent plus délicat pour une entreprise sous LBO réalisant du M&A à l’international, le nombre de salariés de la cible susceptibles de bénéficier de ce mécanisme étant plus réduit que celui des salariés de l’entreprise acquéreuse.
Pourtant, ce mécanisme présente un double avantage de taille. D’une part, le FCPE représente un formidable outil, permettant d’associer un grand nombre de salariés à la création de valeur sur le long terme. à ce titre, il peut contribuer, d’autre part, à renforcer une culture d’entreprise s’appuyant sur l’alignement entre son capital financier et son capital humain, voire d’identifier parmi les collaborateurs participant au projet, ceux susceptibles de jouer à terme un rôle dans la gouvernance de l’entreprise.