L’avocat enquêteur, un guide pratique proposé par le CNB
Parallèlement au travail à vocation normative mené par le barreau de Paris, un guide pratique dédié à l’avocat et aux enquêtes internes a été rédigé par un groupe de travail piloté par le CREA (Centre de recherches et d’études des avocats). En rupture avec la conception normative choisie par Paris, il a été présenté lors de l’assemblée générale du CNB du 12 juin 2020. Interview de ses deux principaux promoteurs, Anne Laure-Hélène des Ylouses, associée de Fieldfisher, et Stéphane Bonifassi, associé fondateur du cabinet éponyme.
Comment le travail que vous avez mené au sein du CREA s’articule avec celui mené par le barreau de Paris ?
Anne-Laure-Hélène des Ylouses : Le travail mené par le groupe de travail au sein du CREA, qui a pris presque deux ans, a abouti à un guide pratique qui a vocation à orienter les avocats qu’ils aient déjà pratiqué ou pas la matière, sur cette nouvelle activité qui consiste à conduire des enquêtes internes. Pour l’avocat, il ne s’agit pas de dénaturer son rôle de conseil mais d’étendre le champ d’expression de ses qualités professionnelles. Il existe une pratique, une méthodologie, de l’enquête interne que ce guide a vocation à synthétiser grâce au travail commun de confrères expérimentés qui ont su confronter leurs interrogations et leurs pratiques pour élaborer des recommandations. Ce guide, à vocation pédagogique, intéressera tous les avocats qui souhaitent développer cette activité. D’autres acteurs, auditeurs ou experts sont déjà actifs en la matière, ce qui doit pousser les avocats à être prêts à assister les entreprises qui sont susceptibles de rencontrer de tels besoins. Le but du guide est d’inciter nos confrères à investir ce nouveau marché. Si le barreau de Paris a déjà travaillé sur le sujet depuis plusieurs années, c’était sous un autre angle, différent de celui choisi par le groupe de travail. Il s’agissait pour le barreau de Paris, d’un rapport d’expérience, à vocation normative, et à visée déontologique, dont les dispositions ont été annexées au règlement intérieur du barreau de Paris. Notre vice-bâtonnière, Nathalie Roret, s’est assurée de la cohérence de nos travaux avec ceux du Barreau de Paris.
Comment avez-vous constitué le groupe de travail qui a rédigé le guide ?
Stéphane Bonifassi : Nous avons cherché à rassembler des spécialistes de différents horizons. Nous avons voulu, balayer tout le spectre des réglementations applicables à l’enquête interne, avec dans le groupe de travail, des pénalistes, des spécialistes en droit du travail, en droit de la concurrence ou encore dans la protection des données personnelles (RGPD) afin de recenser toutes les réglementations auxquelles il faut penser lorsque l’on mène une enquête interne.
Quelles sont les questions qui se posent le plus souvent lors des enquêtes internes ?
S.B. : Ce sont des questions relatives au RGPD, au droit du travail et aux honoraires. La question de l’identification du client est finalement assez bien maîtrisée. Mais celle qui se pose le plus souvent, c’est évidemment celle du secret professionnel qui au-delà des aspects pratiques, interroge un principe cardinal pour l’exercice de la profession.
Qu’en est-il du rapport d’enquête interne rédigé par l’avocat ?
S. B. : Sur ce point, nous sommes parvenus à un consensus de rédaction au sein du groupe de travail : nous rappelons que le secret professionnel de l’avocat doit être respecté par toute autorité ou juridiction. Le rapport d’enquête interne est couvert par le secret professionnel et n’est pas saisissable. L’avocat ne peut pas le communiquer à l’autorité de poursuite, seul le client peut décider de le remettre s’il le souhaite.
L’avocat enquêteur est-il un avocat comme les autres ?
S. B. : Nous le disons dans l’introduction de notre rapport, les avocats ont toujours conduit des enquêtes internes sans le savoir. Ils y sont obligés par la force des choses, pour bâtir leur dossier. L’arrivée des pratiques anglo-saxonnes et le développement des programmes de conformité en droit de la concurrence et en matière de lutte contre la corruption internationale, ont simplement initié un mouvement de formalisation de ces enquêtes internes qui nécessite une harmonisation de nos pratiques.
Pourquoi pas une traduction normative de ces bonnes pratiques ?
A.-L.-H. des Y. : Cela arrivera peut-être lors d’une prochaine mandature du CNB, mais je n’y suis pour ma part pas favorable, car, s’agissant d’une pratique naissante, je pense qu’un encadrement trop strict de la pratique pourrait aboutir à l’entraver. Je pense que ce guide de bonnes pratiques est, en l’état, suffisant pour accompagner nos confrères dans cette nouvelle activité