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« L’attractivité de notre droit de la responsabilité influence le choix des opérateurs économiques »

Par Anne Portmann
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1405 du 15 Juillet 2019

Le groupe de travail formé sous l’égide de la cour d’appel de Paris et de sa première présidente d’alors, Chantal Arens, vient de rendre son rapport sur le projet de réforme de la responsabilité civile préparé par la Chancellerie, proposant des amendements du texte envisagé. Interview de Jean-Daniel Bretzner, associé de Bredin Prat, et de Diego de Lammerville, associé de Clifford Chance, membres du groupe de travail.

Quelle est la philosophie générale de la réforme de la responsabilité civile ?

Jean-Daniel Bretzner : Le groupe de travail s’est constitué afin d’analyser le projet de réforme élaboré par la Chancellerie en 2017. La réforme de la responsabilité civile s’inscrit dans la continuité parfaite de celle du droit des obligations, car les deux réformes relèvent de la même philosophie de lisibilité et de clarté des règles et visent à l’accroissement de l’attractivité du droit français. En effet, la sécurité juridique et l’environnement judiciaire d’un pays exercent une influence importante sur le choix des opérateurs économiques lorsqu’ils réfléchissent à leur lieu d’implantation. Le groupe de travail l'a tellement bien intégré que parfois il a formulé des propositions qui vont au-delà de la réforme du seul Code civil, suggérant également la modification, par exemple, d’articles du Code de commerce. Et surtout, nous avons formulé des propositions pour l’articulation entre le régime de droit commun et les régimes spéciaux. La tâche du groupe de travail était, en partant du texte de la Chancellerie, de gommer les imperfections qui existent dans le droit de la responsabilité civile actuellement et de mettre en place un dispositif qui confère davantage de sécurité juridique. Nous nous sommes notamment attachés à pointer certaines dispositions qui peuvent constituer de véritables épouvantails pour les investisseurs étrangers.

De quels textes s’agit-il ?

J.-D. B. : Je pense notamment aux règles relatives à la responsabilité des contractants à l’égard des tiers. Un arrêt de la Cour de cassation de 2006, considéré comme nocif, assimile tout manquement contractuel à une source de responsabilité délictuelle à l’égard des tiers. Nous avons voulu gommer cette règle, reprise dans le projet, car elle peut avoir un véritable effet repoussoir. Parfois c’est aussi le projet de la Chancellerie qui a introduit des règles avec lesquelles le groupe de travail était en désaccord, je pense à la possibilité d’amende civile pour les personnes qui adoptent délibérément un comportement fautif.

Diego de Lammerville : Cette possibilité d’amende civile trouve son inspiration dans la règle existant en matière de pratiques restrictives de concurrence et notamment celle liée à la sanction du déséquilibre significatif. Cette transposition à toutes les hypothèses de responsabilité extracontractuelle, sans que le législateur ne prévoit de filet de sécurité, a semblé hasardeuse au groupe de travail. Elle porterait atteinte à la prévisibilité attendue de la part des opérateurs économiques.

Quelles seraient les mesures les plus urgentes à mettre en œuvre ? Celles sur
la réparation du préjudice par exemple?

D. de L. : Les propositions sur la réparation du préjudice figurant dans le projet de réforme ont été faites à droit constant. Elles emportent souvent codification de solutions prétoriennes existantes. Nous sommes allés plus loin en proposant notamment d’introduire des lignes directrices dans l’évaluation des préjudices pour une meilleure prise en compte de ces derniers et une meilleure compréhension des décisions de justice. Le rapport propose ainsi aux magistrats de motiver le quantum des sommes allouées poste par poste et de donner des indications claires, en dressant une liste non-exhaustive des préjudices qui peuvent être retenus pour guider la rédaction des décisions.

J.-D. B. : Nous avons voulu proposer une définition des préjudices qui pouvaient être invoqués et un peu « baliser » le parcours des magistrats, également perdus dans le foisonnement actuel. Par exemple, en ce qui concerne la notion de perte de chance, nous avons voulu améliorer la définition qui figurait dans le projet initial en donnant à la fois une définition positive et négative.

La démarche de soumettre le projet de texte aux remarques et parfois aux critiques des praticiens était-elle fructueuse ?

J.-D. B.  : Le ministère de la Justice a fait preuve d’ouverture en confiant cet exercice au groupe de travail et la démarche est à saluer.

D. de L. : Il faut aussi saluer l’implication de la cour d’appel de Paris, qui, alors qu’il n’était pas simple de prendre position sur le sujet, a assumé pleinement ce rôle et s’est impliqué. Le groupe de travail a bénéficié de l’implication de magistrats de « terrain ».

J.-D. B.  : De plus il est satisfaisant de voir les juridictions de l’Ordre judiciaire revenir sur le devant de la scène dans le domaine de la conception de la loi, où, traditionnellement, le Conseil d’État a un temps d’avance. Cela rétablit l’équilibre.

Clifford Chance Bredin Prat Jean-Daniel Bretzner Chantal Arens LJA1405 Droit de la responsabilité Diego de Lammerville