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« L’arbitrage d’investissement est en pleine évolution »

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°1376 du 10 décembre 2018
Par Jeanne Disset

Laurence Kiffer vient d’être nommée présidente de la commission arbitrage de l’Union internationale de l’arbitrage (UIA). L’occasion de faire un point avec elle sur les tendances actuelles en matière d’arbitrage international.

L’UIA est une organisation multiculturelle, avec 110 pays présents. Elle compte aujourd’hui 52 % de membres individuels européens, 11 % d’américains, et 26 % d’africains. D’ailleurs, vous rentrez de Douala…

En effet, l’UIA a renouvelé pour la troisième fois une formation très pratique à l’arbitrage international pour les avocats en Afrique. Ce cycle de formations est organisé conjointement par la commission arbitrage de l’UIA et la Cour internationale d’arbitrage de la CCI, c’est dire combien l’enjeu est important. Les statistiques de la CCI montrent une augmentation du nombre d’affaires en Afrique. Tous les économistes parient sur une évolution économique forte de cette région. Ce n’est plus tant un marché à conquérir qu’une communauté juridique à former. Consciente de ces enjeux, l’OHADA vient de réformer son arbitrage qu’il s’agisse de l’acte uniforme comme du règlement CCJA. à la commission arbitrage international de l’UIA, nous avions constaté dès 2014 qu’il fallait former nos confrères africains spécifiquement à l’arbitrage international. Reproduire les pratiques judiciaires dans le cadre d’une procédure arbitrale est contreproductif, nos confrères africains doivent se familiariser à la pratique arbitrale.

C’est à l’occasion du congrès de Porto que vous avez été élue à la présidence de cette commission arbitrage. Que s’est-il dit à Porto ?


Cette année, les travaux de la session de la commission arbitrage international ont porté sur des thèmes d’actualité :

1. La réflexion sur les 60 ans de la convention de New York a permis de faire le point sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères.

2. La CCI s’est dotée d’une procédure d’arbitrage accélérée applicable aux litiges inférieurs à 2 millions de dollars. C’est une réponse à la critique faite à l’allongement des procédures d’arbitrage qui affecte l’image de l’arbitrage mais aussi une réponse aux inquiétudes de nos clients.

Enfin, nous avons abordé les « Règles de Prague » qui sont considérées comme la réponse du droit continental aux Règles de l’IBA sur l’administration de la preuve et prônent une conduite plus efficace des procédures arbitrales internationales. Les civilistes sont aussi créatifs et il ne suffisait pas de dire que l’américanisation des procédures d’arbitrage due à l’emploi immodéré des IBA Rules produisait un arbitrage trop long, trop cher, trop procédurier. Certains observateurs estiment que ces règles contribueront à renforcer l’efficacité de l’arbitrage international. Un nouveau défi à relever.

Et pour l’avenir ?


Nous préparons le prochain congrès qui aura lieu à Luxembourg. Les thèmes principaux de l’évènement seront l’innovation et le respect des droits de l’Homme dans le monde des affaires. Dans cette ville symbole de l’Europe, les travaux de la commission arbitrage s’orienteront vers les relations entre l’arbitrage et le droit européen. Nous ferons le point sur l’application du droit européen par l’arbitre. Mais il ne peut être question de parler Europe sans examiner aussi le rôle joué par la Commission européenne dans l’arbitrage d’investissement et la nouvelle configuration qu’elle dicte en matière d’arbitrage d’investissement depuis le traité de Lisbonne qui confère à l’Union une compétence exclusive en matière d’investissements directs étrangers. Les investissements font donc partie de la politique commerciale européenne. Et au niveau des différends, la Commission s’oriente désormais vers une cour multilatérale. Elle préconise la création d’une juridiction spécialisée auprès du CIRDI dont d’ailleurs l’Union européenne n’est pas membre.

Quelle est la place de l’UE face au CIRDI ?


La convention de Washington qui crée en 1965 le CIRDI est ouverte à la signature et ratification par les états membres de la Banque mondiale ou parties au statut de la Cour Internationale de Justice, or l’UE n’est ni l’un ni l’autre. La problématique de son adhésion demeure. Mais, dans la négociation des accords de libre-échange, la Commission couvre la protection des investissements et remet en cause le mécanisme existant de règlement des différends. Sa méfiance de l’arbitrage auquel elle a préféré une cour multilatérale dans ses accords avec le Canada et le Vietnam se confirme au niveau intracommunautaire. La CJUE vient de rendre en mars dernier une décision dans l’affaire Achmea où elle se prononce sur la compatibilité du recours à l’arbitrage lié à un TBI et le droit européen. La Cour (arrêt C-284/16 du 6 mars 2018) conclut qu’il existe une incompatibilité entre les articles 344 et 267 du TFUE et l’existence d’un mécanisme d’arbitrage prévu dans le TBI concerné. Fin de l’arbitrage sur le fondement de traités d’investissement intra européen ? Que sortira-t-il du processus de réforme de l’arbitrage d’investissement mené sous l’impulsion de la Commission européenne dans le cadre de la CNUDCI ? Nul ne le sait à ce stade tant les travaux avancent doucement mais ce qui est certain c’est que l’arbitrage d’investissement est en pleine évolution.

CCI UIA Laurence Kiffer LJA1376 Union internationale de l’arbitrage (UIA)