« L’appellation "directeur juridique" a peut-être fait son temps »
Depuis 2009, les Business & Legal Forum rythment la vie des affaires. Cette année, l’évènement aura lieu le 14 octobre 2021. Il est, pour la seconde fois, couplé au Global Anticorruption & Compliance Summit, lancé en 2016. Ghislain de Lagrevol, fondateur de ce think tank qui rassemble les parties prenantes de l’économie et du droit du pays, détaille les enjeux du moment pour les entreprises.
Comment sont nés les Business & Legal Forums ?
Ils sont nés de ma propre expérience. J’ai commencé comme juriste d’entreprise, d’abord à la Croix-Rouge, puis à la Caisse des Dépôts. Je me suis rendu compte, à cette occasion, que le dialogue entre juristes et financiers était compliqué. Plus tard, j’ai fait un MBA à l’IAE Paris Sorbonne Business school et j’ai constaté que le dialogue entre juristes et ingénieurs l’était tout autant. Chaque profession a un esprit formaté par ses études. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de créer un espace de dialogue entre juristes et non-juristes pour y parler du droit, cette matière transversale qui irrigue et conditionne l’économie et l’innovation. Lors de la première édition, Christine Lagarde, alors ministre des Finances, est intervenue sur le thème « Le droit est-il le maillon faible de l’économie ? ». Les juristes soutenaient que non, tandis que les économistes confirmaient que le droit est le maillon faible de l’économie.
Comment avez-vous construit le programme de cette année et pourquoi avoir regroupé le Business & Legal Forum avec le Global Anticorruption & Compliance Summit ?
Force est de constater qu’en ce moment, les sujets abordés lors de ces deux évènements sont complémentaires. Preuve en est, les directions compliance sont parfois rattachées aux directions juridiques et, même si ce n’est pas le cas, les directeurs compliance travaillent régulièrement avec des juristes. Sur ces sujets délicats, les parties prenantes préférant exercer en présentiel permettant un dialogue de meilleure qualité, nous avons fait le choix d’attendre la fin de la pandémie pour organiser un évènement global. Pour élaborer le programme, je me suis entouré, notamment, de Virginie Gastine-Menou, coordinatrice scientifique et fondatrice de « Des Risques et Vous », qui accompagne les acteurs économiques dans la mise en œuvre de leurs programmes de conformité, et de Florence Henriet, notre directrice de projet.
Quels sont les grands enjeux pour les entreprises après la crise ?
Même si je n’aime pas beaucoup l’expression « monde d’après », je ne peux que constater que la crise sanitaire a bousculé nos habitudes et a révélé que nous pouvions faire bouger les choses rapidement. L’ensemble de la société a pris conscience de l’importance du respect et de la préservation de notre cadre de vie. Les entreprises doivent, certes, faire du profit mais plus à n’importe quel prix. Il est impératif de prendre en compte les enjeux sociétaux et environnementaux. Nous arrivons à un point de maturité de la société occidentale et l’adage « business is business » n’a plus cours. Maintenir une cloison étanche entre sa vie privée et sa vie professionnelle n’a plus tellement de sens et a été remis en cause lors du confinement. Dès lors, on ne peut plus croire qu’une personne qui a un comportement éthique dans sa vie privée n’applique pas ces valeurs dans la sphère professionnelle. La société a désormais du mal à accepter des comportements non éthiques. C’est à ces enjeux d’éthique et d’application des valeurs que sont confrontés les acteurs de l’économie.
Qu’attend-on des juristes aujourd’hui ?
Nous avons réalisé une étude en partenariat avec l’EDHEC, qui révèle les attentes des dirigeants d’entreprises vis-à-vis des juristes et du droit. Elle sera dévoilée en détail dans la Business & Legal Review et nous enseigne que les dirigeants souhaitent que les directeurs juridiques aient une analyse au-delà des obligations légales. Ce que l’on attend des DJ, c’est une vision systémique et globale de l’entreprise et le sens éthique, de veiller à l’image, à la réputation, etc. Dans cette configuration, et comme le fait remarquer Florence Henriet, on peut se demander si l’appellation de « directeur juridique » n’est pas devenue trop étriquée et n’a pas fait son temps. C’est sans doute pour cette raison qu’on lui préfère le terme anglo-saxon de general counsel, qui n’a pas vraiment d’équivalent en français. Il faudrait peut-être trouver un nouveau terme. Quoiqu’il en soit, ce que l’on demande au juriste d’aujourd’hui, c’est de passer de la parole aux actes. Le temps de la rédaction de chartes éthiques, des procédures internes était la première étape. Désormais les juristes doivent agir et contrôler la bonne application de ces principes.
Quelle est l’influence de la nouvelle donne géopolitique ?
De nouvelles zones géopolitiques se dessinent et chacune d’elles ont un système juridique propre qui véhicule des valeurs. Les enjeux sociétaux doivent inciter les entreprises, et notamment les juristes à travailler avec les autorités et les ONG. Une meilleure coopération s’impose. Il faut instaurer une nouvelle forme de dialogue entre les parties prenantes et ce, au bénéfice de la société tout entière. Aujourd’hui encore, le lobbying reste un gros mot en France, alors qu’aux États-Unis, depuis longtemps, ce dialogue a lieu. En France, nous en sommes encore à vouloir réformer la loi de blocage pour endiguer l’extraterritorialité du droit américain, alors qu’il y a tellement d’autres initiatives possibles ! Nous pouvons tous mieux dialoguer ensemble pour imposer nos valeurs, comme nous avons commencé à le faire avec la loi sur le devoir de vigilance dont les principes sont exigés par certains investisseurs. La crise a eu le mérite de nous révéler que beaucoup de choses sont possibles et que les changements peuvent aller plus vite qu’on ne le pense.