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« La société absorbante peut désormais être condamnée pénalement pour des infractions commises avant l’opération par la société absorbée »

Par Ondine Delaunay

« La société absorbante peut désormais être condamnée pénalement pour des infractions commises avant l’opération par la société absorbée »

Dans un arrêt du 25 novembre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en jugeant qu’après une opération de fusion-acquisition, la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des infractions commises auparavant par la société absorbée. Une évolution du droit français qui était prévisible, comme l’explique Arthur Dethomas, associé de Hogan Lovells, et qui s’inscrit dans un mouvement de généralisation des poursuites pénales contre les personnes morales.

Avec l’arrêt du 25 novembre dernier, la Cour de cassation revient sur une position historique en droit français mettant un terme aux poursuites pénales lors de la dissolution d’une personne morale. Expliquez.

La chambre criminelle de la Cour de cassation vient en effet de rompre avec sa jurisprudence historique selon laquelle la responsabilité pénale s’éteint avec la disparition de la personne morale après une opération de fusion absorption. Jusqu’à présent, elle estimait que l’article 121-1 du Code pénal, aux termes duquel nul n’est responsable que de son propre fait, s’opposait à ce que la société absorbante soit poursuivie pour des faits commis par la société absorbée avant l’opération de fusion. Mais dans cet arrêt très didactique, elle explique désormais qu’en cas d’absorption d’une société par une autre, la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des infractions commises avant l’opération par la société absorbée. La Cour ne permet en revanche que le prononcé d’une peine d’amende ou de confiscation, excluant dès lors les peines complémentaires comme la dissolution de la société. Ce revirement de jurisprudence, qui ne concerne que les opérations de fusion-absorption intervenant après le 25 novembre 2020, est contre-intuitif pour les pénalistes de droit français qui ont toujours connu une approche conceptuelle de la personne morale selon laquelle la fusion, qui entraîne la dissolution de la société absorbée, doit entraîner l’extinction de l’action publique en application de l’article 6 du Code de procédure pénale qui veut qu’on ne condamne pas les morts.

Cet arrêt est pourtant en droite ligne avec la position européenne…

À défaut d’action du législateur français, c’est la Cour de cassation qui a finalement mis sa jurisprudence en accord avec la position européenne. La directive fusion du 9 octobre 1978 refusait déjà d’analyser les fusions de sociétés comme la mort d’une personne morale et ceci dans le but de préserver, quoi qu’il advienne, les droits des créanciers de l’entité absorbée. La Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 5 mars 20151 n’avait à son tour, pas éprouvé de difficulté à sanctionner pénalement une société absorbante pour le passif pénal de la société absorbée. Puis la Cour européenne des droits de l’homme, dans une décision rendue le 24 octobre 20192, avait jugé qu’il n’était pas contraire au principe de personnalité des peines de sanctionner d’une amende la société absorbante pour des pratiques anticoncurrentielles commises par la société absorbée avant la fusion. Elle faisait ainsi application du principe de continuité économique qui existe entre les deux entités, considérant que « la société absorbée n’est pas véritablement « autrui » à l’égard de la société absorbante ».

Ce même principe est appliqué en droit administratif et réglementaire depuis plusieurs années…

Oui, la solution était déjà appliquée par l’AMF et par l’Autorité de la concurrence. Dans un arrêt de 1999, la Commission des opérations de Bourse avait en effet considéré comme nulle et non avenue une fusion de sociétés qui avait pour objet de faire échapper l’absorbée à des poursuites. Cette notion de continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise a également été utilisée en matière de régulation des marchés financiers et en matière fiscale. Dans un arrêt du 30 mai 2007 par exemple, le Conseil d’État a estimé que procéder à une restructuration entraînant transmission universelle du patrimoine n’efface pas la responsabilité économique de l’entreprise auteur de l’infraction.3

Quelles conséquences pour les opérations de fusions-acquisitions ?

L’objectif est qu’une fusion ne constitue plus un moyen pour une société d’échapper aux conséquences des infractions qu’elle aurait commises au préalable. Dans les opérations intra-groupe, cela devra évidemment être pris en compte, les groupes perdant au passage une opportunité de « remettre les pendules à zéro ». Plus largement, cela aura un impact sur le marché des fusions-acquisitions, même s’il y a finalement assez peu d’opérations d’acquisition qui se font par la voie d’une fusion-absorption sur le marché français chaque année. Au-delà de ce type d’opérations, le risque pénal devra être intégré au moment de l’audit dans l’appréhension de la cible, particulièrement si elle a pris part par le passé à des opérations de fusion ou de transmission universelle du patrimoine. Par ailleurs, les conseils devront intégrer cette dimension du passif pénal dans les déclarations et garanties. Ce sera donc aussi un sujet de rédaction des clauses contractuelles et de quantification du risque.

Plus globalement, quel mouvement de pénalisation du droit cet arrêt traduit-il ?

Cet arrêt s’inscrit dans une tendance consistant à faire du droit pénal une matière plus transactionnelle et à généraliser les poursuites pénales contre les personnes morales, justiciables souvent plus solvables que ne le sont les individus. Depuis le jugement UBS, les corporates ont intégré qu’ils peuvent avoir intérêt à aller négocier avec les autorités de poursuite une Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Certes, la loi Sapin 2 limite pour l’instant les CJIP aux délits de corruption, de fraude fiscale, de blanchiment ou à toute autre infraction connexe. Demain, je n’ai aucun doute qu’elle sera étendue à d’autres infractions économiques et que plus rien ne fera obstacle aux recherches de responsabilité d’une personne morale. Toutes les pièces se mettent en place que cette justice pénale gagne en efficacité.

Arthur Dethomas Hogan Lovells