« La SES répond aux attentes des entrepreneurs et des investisseurs européens »
Le Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) a publié récemment un rapport sur le projet de société européenne simplifiée (SES). Jean-Éric Cros, associé de CMS Francis Lefebvre Avocats, était président et rapporteur du groupe de travail. Interview.
Pourquoi cette réflexion sur un nouvel outil européen en droit des sociétés ?
Le projet a été confié au HCJP à la demande de la Chancellerie et de Bercy. Il s’agit donc, à l’origine, d’une initiative gouvernementale. L’association Henri Capitant a également travaillé en parallèle sur le sujet. Nous savions qu’elle y œuvrait, mais il n’y a pas eu de concertation entre ces deux groupes de travail qui sont d’ailleurs parvenus à des conclusions assez proches. Selon nos informations, les deux rapports devraient être utilisés par le gouvernement français pour présenter la SES devant la Commission européenne, en vue de l’adoption d’un projet de règlement.
Nous sommes partis du constat que l’économie européenne est principalement constituée de PME. Il existe certes de grandes structures, constituées sous formes de sociétés cotées ou non, mais l’essentiel du tissu économique de l’Union européenne est fait de formes sociales simples, généralement plébiscitées par nos concitoyens européens. Ajoutons qu’avec le Brexit, il est désormais compliqué d’opter pour les Limited Companies britanniques qui avaient connu un engouement en Europe. Il fallait trouver un autre outil, simple, pour répondre aux attentes des entrepreneurs et des investisseurs.
Il existait pourtant déjà des outils, pourquoi en créer d’autres ?
En effet, de précédents projets existaient, mais ceux-ci n’ont pas abouti. Il y avait l’ancien projet de la société privée européenne (SPE) et celui de la société unipersonnelle à responsabilité limitée (SUP), qui n’ont pas prospéré, d’une part en raison des règles d’adoption au niveau européen, l’unanimité étant exigée pour certains sujets, comme celui de la création d’une forme de société européenne. D’autre part, il existait des points de blocage, notamment la crainte de certains États membres de voir leurs propres formes sociales péricliter et être délaissées au profit de structures européennes. Deux points de blocages majeurs avaient été identifiés dans certains pays : un lobbying des notaires, auxquel il est obligatoire d’avoir recours pour immatriculer une société, et un problème relatif aux modalités de participation des salariés, crucial outre-Rhin notamment. La crise sanitaire a montré que la création d’un outil harmonisé était nécessaire au niveau européen, non seulement pour favoriser la relance économique, mais aussi pour répondre aux nouvelles façons d’organiser nos entreprises, accélérées par le travail à distance et le boom de la net économie.
Quelles positions avez-vous prises pour éviter ces blocages ?
Chaque fois que nous rencontrions ces problèmes, nous n’avons pas pris parti, laissant la main à la législation locale. Lors des auditions que nous avons menées, nous avons constaté qu’il y avait de vraies attentes de la part des entrepreneurs et des investisseurs pour un outil simple, souple et adaptable. La société européenne simplifiée est fortement inspirée, et le groupe de travail ne s’en cache pas, de la SAS française. Nous avons également simplifié le critère transfrontalier de souscription à une forme sociale européenne, qui exigeait qu’il y ait au moins deux associés localisés dans deux États membres différents. Nous proposons que le seul critère, modernisé, soit la volonté d’avoir une activité à l’échelle européenne. Ensuite, pour éviter les difficultés, il faudrait que le règlement européen soit le plus précis possible. Le modèle de la SAS laisse une grande liberté aux associés et on se rend compte que, loin de favoriser la fraude, cette liberté statutaire bénéficie en réalité à l’esprit d’entreprise. Nous préconisons d’ailleurs de laisser une place importante à la liberté statutaire, lorsque le règlement est muet, et de ne faire intervenir le droit local qu’à titre subsidiaire, sauf questions d’ordre public, bien entendu.
Quels sont les traits essentiels de la SES ?
Il s’agit d’une société par actions, à responsabilité limitée et à gouvernance simple. Outre l’exemple français de la SAS, nous avons emprunté à la GMBH allemande et à la BV néerlandaise. Les auditions que nous avons menées démontraient la nécessité, pour les entrepreneurs, de retrouver dans chaque pays un équivalent de ce qu’ils connaissaient chez eux, une structure au fonctionnement simple qui ne nécessite pas de faire appel à un avocat local pour être gérée. Il nous a également été demandé de travailler sur un projet de label européen, qui permettrait à des sociétés françaises d’obtenir une certification permettant de les distinguer comme société européenne.
La SE, équivalent de la SA, a un effet repoussoir en raison de sa complexité de gestion, il existe très peu de GEIE et je n’ai jamais vu de SCE (société coopérative européenne). En France, il existe environ deux millions de SAS, ce qui témoigne de la vivacité du modèle.
Quel sera l’avenir de votre rapport ?
Nos contacts auprès de la Chancellerie nous ont indiqué que, malheureusement, l’agenda du Conseil de l’Union européenne pendant la présidence française, de janvier à juin 2022, était déjà rempli. Le projet ne pourra être présenté qu’après les élections présidentielles françaises. Nous verrons donc si le nouveau gouvernement le poursuivra.