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« Il n’y a pas eu de baisse des salaires des directeurs juridiques avec la crise »

Par Anne Portmann

François Reyntens, chasseur de têtes pour le cabinet de recrutement Spencer Stuart, constate qu’en dépit de la crise sanitaire, la rémunération des directeurs juridiques n’a pas faibli et, qu’au contraire, elle a eu tendance à augmenter, et ceci très fortement aux États-Unis. Interview.

Que pensez-vous des études qui concluent à la baisse de rémunération chez les juristes après la crise ?

Chez Spencer Stuart, nous avons moins de données sur les juristes au sein des départements que sur les directeurs juridiques et leurs adjoints. On remarque toutefois que, de manière générale, la majorité des juristes en France n’est pas très bien payée, et ce depuis toujours. Mais il ne me semble pas, à l’aune des discussions que j’ai pu avoir avec différents directeurs juridiques, qu’il y ait eu de baisse sensible concernant leur rémunération. En France, on note d’importantes disparités, tant en fonction du niveau hiérarchique (un DJ est payé sensiblement plus que ses adjoints), que des secteurs, voire des institutions. Il n’est pas exceptionnel que des juristes de niveau intermédiaire, encadrant parfois une équipe de 10 à 15 personnes, n’atteignent pas la rémunération perçue par un juriste sans équipe dans d’autres sociétés.

En revanche, ce que nous avons remarqué, c’est la nécessité pour les départements juridiques d’être encore plus efficaces : au mieux, de faire plus à budget équivalent, voire faire plus avec moins de ressources. Ceci entraîne une nécessité de digitaliser, revoir des processus et l’allocation des tâches entre les départements, mais également les priorités au sein des départements.

À quoi est-ce dû ?

Il y a deux phénomènes. Tout d’abord, les juristes sont fréquemment considérés comme un centre de coûts. Dès lors, même lorsqu’ils ont des équipes, leur rémunération est moindre que celle de certains de leurs collègues travaillant dans des départements différents. Par ailleurs, on a tendance à rémunérer les salariés en fonction du nombre de personnes qu’ils managent. Mais ce n’est pas très pertinent chez les juristes, qui sont souvent des experts pointus, sans équipe, mais dont les connaissances sont uniques et de grande valeur pour l’entreprise. En cas de perte de ces compétences, il faut les remplacer par des prestataires extérieurs qui sont beaucoup plus onéreux. C’est la raison pour laquelle il faut convaincre les RH de mieux les rémunérer, avec un système parallèle de gestion des talents, différenciant les managers et les experts. Le problème est assez fréquent dans plusieurs pays d’Europe. Mais avec la crise, ces juristes ont pris conscience de la valeur ajoutée qu’ils apportaient et, pour certains de cette catégorie, on a vu les salaires augmenter.

Dans quelles proportions ?

En ce qui concerne les DJ, ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas eu de baisse. Mais en France (comme dans d’autres pays continentaux), les disparités sont telles qu’au sein du seul CAC 40, les salaires peuvent varier énormément (des multiples supérieurs à 4 ou 5). Il est donc très difficile de généraliser. À l’international, on distingue trois grands groupes : la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. Outre-Atlantique, il y a, depuis la crise, une importante inflation salariale (dans toutes les fonctions). Les salaires ont fortement augmenté et cela entraîne des conséquences sur les prétentions du pool de juristes internationaux, conséquences que l’on essaye d’endiguer sur le continent. Pour résumer, on peut considérer que si le salaire continental est de 1, il est de 2 au Royaume-Uni et culmine à 4 aux USA.

Pensez-vous que les écarts se creusent entre hommes et femmes ?

Non, je ne le pense pas. À la limite, on observe presque une tendance inverse, avec une augmentation sensible de la rémunération des femmes. En effet les entreprises cherchent actuellement à féminiser la fonction. Et sur le marché international, les femmes sont moins nombreuses car elles se sont moins expatriées au cours de leur carrière. On a donc tendance à tourner autour des mêmes candidates, ce qui induit une certaine inflation au niveau des salaires de façon à les attirer.

Pourquoi la féminisation de la profession n’est-elle pas plus marquée, en dépit de cela ?

Tout d’abord, il faut rappeler que les professions juridiques comprennent un grand nombre de femmes. Ce qui pose un réel problème et est paradoxal dans ce contexte, c’est l’accès des femmes aux fonctions de directions. Nous avons publié une étude en janvier dernier (dont la LJA s’était fait l’écho, v. LJA Mag n° 70) indiquant que seulement 25 % des DJ du CAC 40 étaient des femmes, tendance relativement identique dans les autres pays européens. Heureusement, on remarque aujourd’hui un vrai effet de rattrapage qui est très positif.

De ce point de vue, on peut dire que le télétravail a facilité l’internationalisation du pool de candidats. Prenons l’exemple de Quitterie de Pelleport, DJ de Renault, dont la famille est basée à Bruxelles. Récemment, une Française vivant à Genève a été recrutée par une firme d’Amsterdam et un candidat Allemand à Madrid. En France aussi, désormais, il y a davantage de concurrence sur ces profils.

La part variable du salaire des juristes a-t-elle tendance à se réduire ?

Ce n’est pas ce que j’ai constaté pour ce qui est des directeurs juridiques, pour lesquels la part de salaire variable, qui reste constante, oscille entre 25 et 50 %. Les DJ se voient souvent proposer, de surcroît, des plans d’intéressement. Sur le continent, la tendance est saine et les écarts constatés dépendent, en réalité, de la stature internationale du profil et du groupe. La tendance générale est donc plutôt à l’augmentation de la rémunération, même si cette tendance est moindre en Europe continentale, où l’on reste plus conservateur.

La recherche, par les entreprises, de profils internationaux est-elle liée à la recherche du privilège de confidentialité des échanges ?

Il ne semble pas que ce soit un critère prioritaire et, si une expérience internationale est recherchée, ce n’est pas pour cette raison. En tout cas, on ne me l’a jamais mentionnée. Mais ce que l’on peut voir, depuis le début de cette année, c’est que le marché bouge nettement plus. Davantage, même, qu’avant la crise sanitaire. Ceci s’explique en partie par un effet de rattrapage, rien n’ayant bougé pendant le premier confinement, mais également par des changements de stratégie des sociétés requérant, dès lors, des compétences différentes, ainsi que par des déficiences constatées de façon plus évidente en temps de crise ou simplement, par un besoin de changement.

François Reyntens Spencer Stuart