« En préemptant la question de la MAC clause “avant l’heure”, Tiffany essayait-elle d’échapper au débat sur l’impact du Covid sur sa performance effective ? »
Face à la crise du Covid-19, les juristes se sont souvent concentrés sur la force majeure ou l’imprévision pour remettre en cause les contrats d’acquisitions. La MAC clause (material adverse change), souvent présente dans les contrats de droit anglosaxon, constitue un fondement souvent plus prometteur. Elle est d’ailleurs au centre des débats dans le dossier LVMH/Tiffany qui vient de prendre un tournant contentieux. Analyse de Christophe Perchet, associé du cabinet Perchet Rontchevsky & associés.
Avec la pandémie réapparaît le rôle de la MAC clause comme mécanisme permettant de remettre en cause une opération d’acquisition conclue mais non encore réalisée. La pandémie peut-elle vraiment justifier le jeu de cette clause ?
À mon sens, la pandémie mondiale liée au Covid-19 est par nature un évènement exceptionnel qui peut justifier la mise en œuvre d’une MAC clause lorsqu’elle est stipulée dans un contrat. Rappelons que cette crise sanitaire a conduit à un arrêt quasi-total de l’économie mondiale durant plusieurs semaines, stoppé brutalement le tourisme, ruinant pour de nombreuses années les industries et services qui en dépendent, et fait exploser les dettes publiques. Et ce de façon aussi soudaine qu’inattendue. Par son caractère exceptionnel, elle parait de prime abord correspondre au genre de circonstances dans lesquelles une MAC clause est censée jouer.
Comme pour tout mécanisme contractuel, les termes de la clause sont évidemment décisifs. En France, ce type de clause est usuellement rédigé de façon synthétique et englobe tout événement susceptible d’avoir un impact défavorable sur la cible entre le signing et le closing. Il est rarement fait état d’une typologie de cas. La mise en œuvre devant les tribunaux peut être parfois délicate en raison même de la généralité des termes employés, qui ne se prêtent pas toujours à une interprétation aisée.
Aux États-Unis, la clause est assez différente. Après l’énoncé du principe, elle comporte toujours une série d’exceptions, liées à des circonstances externes d’ordre général (conflit armé, désordres politiques, dysfonctionnement des marchés financiers) dans lesquelles la clause ne joue pas mais ces exceptions peuvent toutefois être neutralisées – de sorte que la clause peut alors jouer - s’il est établi que la société cible a été plus affectée par ces circonstances externes que les entreprises de son secteur. À titre d’exemple, dans un dossier d’acquisition au Japon, l’acquéreur que je conseillais avait signé le contrat - mais non encore réalisé l’acquisition - deux semaines avant l’accident nucléaire de Fukushima. L’entreprise cible, située à 150 km de la centrale, avait été contrainte de fermer son principal site de production face à un risque élevé de contamination radioactive. La MAC clause du contrat (rédigée à l’américaine) a permis à l’acquéreur de différer l’opération dans l’attente de pouvoir apprécier la situation de la cible car celle-ci était potentiellement plus affectée par cet évènement externe que les autres entreprises de son secteur.
C’est également l’un des enjeux du dossier LVMH/Tiffany devant le tribunal du Delaware…
Tiffany a saisi précipitamment le juge du Delaware, au début du mois de septembre, pour tenter d’obtenir de sa part, avant l’expiration en novembre prochain du délai imparti à LVMH pour réaliser l’opération, un jugement préventif interdisant notamment à LVMH de mettre en jeu la MAC clause insérée en sa faveur dans le contrat conclu en novembre 2019. Pourtant le groupe français ne l’avait, semble-t-il, pas formellement invoquée. Cette stratégie judiciaire s’est révélée être un échec car le juge a renvoyé l’affaire au début de l’année prochaine. En voulant préempter la question de la MAC clause « avant l’heure », Tiffany essayait-elle d’échapper au débat sur l’impact du Covid sur sa performance effective pour la dernière partie de l’année 2020 ?
Le contrat ayant été publié, on relève que la MAC clause ne cite pas la survenance d’une pandémie, parmi les situations qu’elle liste et dans lesquelles elle doit être neutralisée. Ceci signifie que la MAC clause devrait pouvoir jouer par principe, la question étant seulement de constater l’impact défavorable significatif de la pandémie sur les résultats de Tiffany.
Récemment, le groupe LVMH a annoncé avoir lui-aussi saisi le juge du Delaware : il déclare désormais se prévaloir de la MAC clause et met également en cause la gestion de Tiffany au cours des mois écoulés, qui ne serait pas conforme aux engagements souscrit dans le contrat, ce qui offre au groupe français une autre possibilité contractuelle de se dégager du contrat.
Vous attendez-vous à un développement des contentieux autour des MAC clauses dans les prochains mois, à l’instar de ceux qui avaient fleuri lors de la crise de 2008 ?
Je pense d’abord qu’avant que la pandémie ne se déclare, il était devenu moins aisé pour les acquéreurs d’obtenir l’introduction d’une MAC clause efficace dans le contrat d’acquisition, car elle était perçue par les vendeurs comme affectant la « deal certainty ». En outre, ces clauses n’ont vocation à jouer que dans la période de temps limitée qui s’écoule entre la signature du contrat d’acquisition et la réalisation de l’opération : la plupart des opérations en cours au printemps ont depuis lors été réalisées, ou leurs termes renégociés à l’amiable. Si une « seconde vague » de Covid survient dans les prochains mois, la question pourrait retrouver sa pertinence pour les opérations qui se nouent actuellement mais ne se réaliseront qu’au printemps, pour autant naturellement que les parties insèrent ce type de clause dans leur contrat et ne la neutralise pas en excluant le Covid de ses cas d’application.
Vous conseillez donc d’introduire une MAC clause dans les contrats d’acquisition ?
Assurément ! Dans le contexte économique incertain actuel et comme nul ne peut exclure une reprise de la pandémie, l’acquéreur tout comme le vendeur auront souvent intérêt à convenir d’une MAC clause, en l’adaptant au besoin, afin d’organiser dans toute la mesure du possible les conséquences d’une nouvelle vague sur leur opération.