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Crise sanitaire : « La confiance va au-delà de la compliance »

Par Anne Portmann

L’avocat parisien Benjamin Pitcho, fondateur du cabinet éponyme, qui participe au développement du site ethique-pandemie.com, explique la notion d’éthique de la confiance, indispensable à la reprise de l’activité économique.

Pourquoi le contexte de la pandémie signe le renouveau de la notion de confiance et d’éthique de la confiance ?

Jusqu’ici, nous fonctionnions en termes d’éthique de la responsabilité, notamment pour les activités de santé. Mais l’éthique de la responsabilité est une notion punitive, qui intervient seulement a posteriori, afin de sanctionner l’absence de satisfaction à une obligation. En temps de pandémie, cette conception punitive n’est pas réaliste – c’est d’ailleurs aussi souvent le cas en matière environnementale – parce que les dommages causés sont irréversibles. Il n’est pas imaginable, par exemple, pour des collègues de travail, de faire condamner celui d’entre eux qui serait venu travailler dans les locaux professionnels sans masque et sans gants et qui y aurait répandu le virus. Désormais, nous n’avons pas d’autres choix que de faire confiance à l’autre. Nous avons basculé dans un contexte où l’implication individuelle est cruciale et où elle devient plus morale, car l’intérêt individuel de chacun converge avec l’intérêt collectif. Dans cette configuration, les moyens coercitifs sont illusoires, car même avec des instruments de contrôle, il n’est pas souhaitable, par respect pour la vie privée, de savoir où est une personne et ce qu’elle fait exactement. Cela vaut dans tous les domaines, pour les relations de travail et d’affaires, mais aussi pour la situation sanitaire, pour la propagation du virus. Chacun d’entre nous est le problème, donc porte en lui la solution. La confiance est notre seule arme efficace. Elle ne doit pas être assimilée à l’autodiscipline, ni à la compliance, car elle va bien au-delà. C’est comprendre que ce que l’on fait pour les autres, on le fait aussi pour soi. À l’opposé de l’individualisme forcené auquel nous sommes habitués.

Quelles sont les conditions pour que cette relation de confiance puisse s’installer ?

La confiance nécessite de la transparence et de la maturité. Un salarié doit pouvoir aller voir son employeur pour lui dire qu’il pense être porteur du virus et celui-ci doit pouvoir le protéger, ainsi que les autres. Il faut tenir un langage de vérité et de transparence. En Suède, il n’y a pas eu de confinement, les bars et restaurants sont restés ouverts et il y a pour l’instant assez peu de décès, parce que les gens qui s’estimaient contaminés ont pris des précautions, ont appliqué les gestes barrières et se sont confinés d’eux-mêmes. En France, on préfère toujours le contrôle à la pédagogie. Et la succession d’arrêtés municipaux, parfois contradictoires et souvent disproportionnés, comme ceux interdisant les sorties selon les heures, ou limitant drastiquement les distances de déplacement, voire encore les contrôles par drones effectués à Nice, n’incitent pas vraiment à la confiance. Plus généralement, lors de cette pandémie, la France s’est découvert une passion pour l’exécutif et les contre-pouvoirs sont très réduits. Il est très étonnant d’entendre Édouard Philippe, le premier ministre, annoncer devant la représentation nationale qu’il n’est pas constitutionnellement obligé de présenter son plan de déconfinement au Parlement. Il est également surprenant de constater que le Conseil d’État, saisi pendant cette période de plus d’une centaine de référés-liberté en lien avec le Covid-19, en a rejeté l’écrasante majorité. Dans ces conditions, le climat général n’est pas à la confiance des citoyens envers les institutions qui les représentent ou sont censées les défendre. Les suggestions de dépénalisation massive émises récemment sont topiques. Les citoyens vont subir différentes mesures, sans que les personnes responsables n’aient à en répondre ou ne soient contrôlées à un moment quelconque. Il n’y aurait donc plus personne pour les protéger des abus, des mesures liberticides ou dangereuses. Il n’y a pas plus efficace pour créer une défiance durable.

Ce sont des autorités indépendantes qui ont su montrer la voie, malgré leur rôle plutôt consultatif. Tel est le cas de l’avis du défenseur des droits, de la CNDCH et de son avis relatif à l’application StopCovid, de même que la réaction de la CNIL concernant cette même application, qui ont su insister sur les conditions nécessaires pour son acceptabilité.

Ces réflexions sont notamment liées au déploiement de l’application StopCovid, annoncée par le gouvernement. Quels dangers y voyez-vous ?

Le premier risque est celui d’exclure les populations isolées et vulnérables qui n’auront pas l’équipement adéquat pour avoir accès à l’application. Il y a aussi un risque d’atteinte à la vie privée qui devra être maîtrisé. Un contrôle de la CNIL, après la présentation du projet serait souhaitable, ainsi qu’un débat devant le Parlement avec vote impératif. Mais le gouvernement a d’ores et déjà annoncé le recours aux ordonnances. Par ailleurs, il faudra prendre garde à choisir un acteur national, ou à tout le moins européen, afin de prévenir toute fuite des données. Il faudra aussi que cet acteur présente d’indéniables garanties d’indépendance. Il faudra aussi veiller à encadrer juridiquement les conséquences de l’utilisation de cette application. Enfin, cette application ne peut être mise en œuvre que dans le respect du consentement des personnes. Si elle devenait obligatoire ou, pire, si son utilisation devait être suivie de mesures coercitives, l’incitation à la contourner serait trop forte. Cette application représente l’exemple le plus efficace de la nécessité d’une confiance entre l’exécutif et les citoyens, qui impose l’adhésion volontaire de chacun à son recours, mais aussi aux quarantaines volontaires qui peuvent en découler.

Que faire lorsqu’il existe un doute sur la possibilité d’avoir une relation de confiance ?

En pareil cas, il est possible de faire appel à un tiers. Ces mécanismes de tiers de confiance existent déjà dans de nombreux domaines, comme en droit processuel, en droit de la santé, en informatique, et même en droit de la concurrence. Le fait de faire appel à un tiers ou à un groupe de tiers objectif impartial (arbitre ou médiateur) est la solution adéquate pour insuffler la confiance. Pour autant, le développement de ces solutions qui se sont renforcées en situation de confinement ne doit pas avoir pour conséquence de désinvestir la fonction judiciaire.

Benjamin Pitcho ethique-pandemie.com