CJIP Systra : « Le niveau de détails des faits relatés peut inquiéter les entreprises »
La société Systra, filiale de la RATP et de la SNCF spécialisée dans les transports et la mobilité en France et à l’international, a signé, le 12 juillet dernier, avec le procureur de la République financier, une convention judiciaire d’intérêt public. Il s’agit de la 13e CJIP conclue depuis 2017 par le PNF et de la seconde au cours de l’année 2021. Très peu de commentaires ont depuis été publiés. Ludovic Malgrain, associé du cabinet White & Case, en décrypte les principaux enseignements.
Quels étaient les faits du dossier ?
L.M. : La Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) et l’ordonnance de validation du président du tribunal judiciaire de Paris relatent les faits de ce dossier avec une certaine précision. La procédure a pour origine une dénonciation des autorités judiciaires japonaises courant 2015 - ce qui est suffisamment rare pour être en soit remarqué, le Japon ayant été rappelé par l’OCDE à renforcer ses efforts de lutte contre la corruption transnationale. Les faits dénoncés visaient initialement l’Ouzbékistan, mais l’enquête s’est étendue à des faits portant sur l’Azerbaïdjan. Le parquet national financier avait ouvert une enquête préliminaire, en 2017, du chef de corruption d’agent public étranger. Il en aurait résulté que l’équipe de direction de la filiale d’Ouzbékistan du groupe avait fait preuve de comportements critiquables au cours de la procédure d’appel d’offres relatif au marché public d’électrification de la ligne ferroviaire entre les villes de Marakand et Karshi. Lorsque le directoire a eu connaissance des faits, il a résilié les contrats suspects et procédé à un audit complet des paiements réalisés dans la région. L’enquête s’est étendue et les enquêteurs ont constaté l’existence d’autres faits qualifiés de corruption d’agent public étranger pour l’obtention d’un marché d’ingénierie de métro en Azerbaïdjan.
Comment a été calculée l’amende d’intérêt public ?
Ce dossier permet-il d’affiner les facteurs minorants
la sanction financière ?
L.M. : Il est certain que les méthodes de calcul de l’amende par le PNF demeurent moins claires que celles publiées par les autorités américaines. Rappelons qu’aux termes de l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale, le montant est fixé de manière proportionnée aux avantages retirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel des trois derniers chiffres d’affaires annuels de la société à la date du constat des manquements. Sont ensuite pris en compte des facteurs minorants, ici, l’ancienneté des faits, la mise en œuvre d’un dispositif de conformité antérieur aux faits, son renforcement à la suite de la découverte des faits, ainsi que la coopération active de la personne morale lors de la phase d’enquête puis lors de la phase de négociation. Les groupes ayant mis en place ces programmes de conformité et qui en accélèrent régulièrement le déploiement peuvent y être sensibles : ces dispositifs, au-delà du seul respect des exigences de la loi Sapin 2 et d’une action efficace en termes de prévention du risque pénal, sont aussi de nature à faciliter le moment venu la conclusion, puis la validation d’une CJIP. L’exigence de coopération figure en bonne place des lignes directrices rédigées conjointement par l’AFA et le PNF fin juin 2019.
On notera également l’application, en l’espèce, d’une pénalité complémentaire de près de 2,5 M€ motivée ici par la gravité des faits et l’organisation sophistiquée de la dissimulation des versements indus. Le principe est désormais assez classique et une telle pénalité complémentaire avait déjà été prononcée dans d’autres dossiers. Au total, l’amende prononcée et acceptée par la société s’élève à près de 7,5 M€.
Aucun monitoring n’a ici été demandé…
L.M. : Le suivi de l’entreprise par un moniteur durant plusieurs mois ou années n’est pas imposé systématiquement. Les textes le prévoient afin de s’assurer de l’existence et de la mise en œuvre des piliers d’un programme de conformité classique. Ici cette mesure n’apparaissait, semble-t-il, pas nécessaire compte tenu de son existence.
L’ordonnance de validation signée par le président du tribunal judiciaire de Paris est détaillée. Elle précise même le patronyme de certains acteurs du dossier, alors que la CJIP avait tout anonymisé. Que faut-il en conclure ?
L.M. : En effet l’ordonnance de validation donne davantage de précisions que la convention elle-même. Le président du tribunal a procédé à une vérification du bien-fondé du recours à la CJIP, à la régularité de son déroulement et à la conformité du montant de l’amende, conformément à l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale. Le niveau de précision des faits relatés dans l’ordonnance et l’absence d’anonymisation de certains patronymes peut être de nature à inquiéter les entreprises car les détails fournis peuvent porter préjudice. Ils peuvent emporter des conséquences sur l’existence d’autres types d’enquête menées par des autorités étrangères compétentes, ou justifier d’autres séries de diligences par des partenaires commerciaux du groupe au titre de leurs propres obligations de vigilance. Il n’est évidemment pas de l’intérêt de l’entreprise que la CJIP, ou que l’ordonnance qui la valide, soit à terme, aussi détaillée qu’un jugement correctionnel !
Plus globalement, quelles sont les évolutions
sur la CJIP qui sont attendues par les praticiens ?
L.M. : J’en vois principalement deux : d’abord les personnes physiques ne sont toujours éligibles à une CJIP et ne peuvent recourir, si elles souhaitent éviter un procès public, qu’à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) qui emportent des conséquences plus graves ; ensuite s’agissant des infractions susceptibles d’entrer dans le champ d’application des CJIP, elles demeurent très réduites : corruption, trafic d’influence, blanchiment de fraude fiscale, fraude fiscale… et devraient pouvoir être étendues, comme récemment en matière environnementale, à d’autres infractions économiques comme l’entente, ou les pratiques commerciales trompeuses, ou à d’autres infractions portant sur des manquements au devoir de probité comme la prise illégale d’intérêts. C’est d’ailleurs le 1er septembre que l’AFA a publié son guide pratique sur les conflits d’intérêts dans l’entreprise.