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« Humainement difficile, le retrait d’une SEL devrait être juridiquement simple »

Par Anne Portmann

L’ordonnance du 8 février 2023 sur l’exercice en société des professions libérales réglementées (PLR) a introduit dans la loi la possibilité, pour les associés d’une société d’exercice libéral (SEL), d’aménager les statuts afin d’octroyer un droit de retrait. L’ancien bâtonnier Francis Teitgen, fondateur du cabinet Teitgen & Viotollo, fait le point sur la rédaction de cette clause de retrait.

Comment se présente le paysage français des sociétés d’exercice pour les avocats ?

En France, avant la loi de 1970, c’était l’exercice individuel qui dominait dans la profession d’avocat, puis sont apparues les SCP et les associations. La loi Macron de 2015 a permis que les associés exerçants s’associent à des associés investisseurs, ce qui a été une révolution copernicienne. Aujourd’hui, ce sont les SEL qui sont les structures d’exercice les plus répandues. Le problème c’est que dans beaucoup de SEL, on raisonne comme s’il s’agissait d’une SCP, notamment en ce qui concerne le retrait qui est une démarche fréquente. Il n’était pas prévu par la loi, mais dans la pratique, les associés se retiraient de la SEL tout en continuant à exercer la profession d’avocat sous une autre forme : il fallait un acte unilatéral de notification du retrait, qui respectait un délai de prévenance. Pour le sort de la clientèle, on a raisonné comme dans une SCP où la clientèle appartient à la structure. Dès lors, en cas de retrait de l’associé, on lui payait le prix de ses parts en espèce ou en nature et s’il partait avec la clientèle, on déduisait la valeur de la clientèle du prix de ses parts. Cette pratique n’était possible que pour autant qu’il n’y avait pas de contentieux entre les associés. Et il ne faut pas oublier le drame humain causé par la séparation, car en cas de retrait d’un associé, bien souvent, des problèmes personnels s’ajoutent aux problèmes professionnels…

Et s’il y avait un contentieux dans les SEL ?

Une jurisprudence très contestable de la Cour de cassation a privé de validité les clauses statutaires de retrait dans les SELARL, au motif que la loi ne prévoyait pas la possibilité de retrait d’un associé. Cette interdiction de se retirer des SELARL imposait aux associés de dissoudre le cabinet car il n’y avait pas d’autre solution en admettant qu’en cas de retrait d’un associé, il n’y avait plus d’affectio societatis. Il aurait, en réalité, fallu favoriser le retrait, mais cela n’avait pas été fait.

Qu’a changé l’ordonnance du 8 février 2023 ?

Elle autorise à intégrer une clause statutaire de retrait de l’associé. Mais dans les faits, on constate que, 9 fois sur 10, ces clauses sont conditionnées à la cessation, par le retrayant, de la profession d’avocat. Lorsque l’associé qui veut se retirer souhaite continuer à exercer, la clause de retrait est inefficace. Les statuts prévoient le plus souvent une possibilité d’exclusion, laquelle doit être motivée par une impossibilité d’exercice au sein de la structure, inefficace si l’associé souhaite se retirer parce qu’il a d’autres projets. J’ai ainsi le cas d’une avocate, associée dans une structure mono professionnelle, qui souhaite la quitter pour une structure pluri professionnelle, mais devrait attendre d’être exclue par les autres associés, alors même que nous ne rentrons pas dans les motifs prévus par les statuts pour justifier d’une exclusion.

Que faut-il faire alors ?

Les avocats doivent être conscients de ce qu’il faut anticiper ces situations lors de la rédaction des statuts de la structure. Évidemment, lorsque l’on s’associe, comme lorsque l’on se marie, on n’aime pas penser à la fin de l’histoire. Il est pourtant nécessaire de prévoir des clauses de retrait, acte unilatéral sans motif (quitte à soulever le cas échéant un abus du droit de retrait) qui ne soit pas conditionné par le fait que le retrayant cesse d’exercer. Il faut fixer les modalités formelles de retrait, avec un délai de préavis, que le bâtonnier pourra, éventuellement, réduire sur saisine si les choses se passent mal. Je conseille de prévoir un délai de prévenance de trois mois, dans l’intérêt des deux parties. Cela laisse le temps à l’associé de régler les choses avant son départ et au cabinet de s’organiser pour le remplacer le cas échéant. À défaut de détermination par les statuts, c'est le délai de préavis de six mois, prévu par le Règlement Intérieur National qui s’applique.

Et en ce qui concerne la clientèle ?

Il me paraît indispensable d’inscrire dans les statuts certaines règles fixées à l’avance et notamment les règles déontologiques qui président à la séparation des associés. La clientèle ne doit pas être considérée comme un actif valorisable, car prévoir le contraire serait porter atteinte au principe du libre choix de l’avocat par le client. Et le mieux est de prévoir dans les statuts une clause de dépatrimonialisation. On sait que lorsque deux avocats se battent pour conserver un client, le résultat est le plus souvent qu’ils perdent ce client qui, agacé par cette rivalité, ira voir ailleurs. La meilleure solution est de demander au client, au moyen d’un courrier commun et neutre, d’exercer son libre choix. En l’absence d’accord, les règles dégagées par la jurisprudence applicable en cas de concurrence pourront alors s’appliquer, comme l’interdiction de démarchage de la clientèle au moyen de procédés déloyaux.

Quelles autres modalités faut-il prévoir ?

Des points très pratiques : les modalités de gestion et de transfert des appels et des mails qui arrivent au cabinet pour l’associé qui s’est retiré, un engagement d’absence de dénigrement réciproque, et, de la part de l’associé qui part, celui de se mettre à la disposition de la structure qu’il a quittée en cas de mise en cause de la RCP du cabinet pour un dossier qu’il a géré. Il faut également prévoir les modalités de versement des dividendes en cas de départ. La jurisprudence rappelle régulièrement qu’il est impossible de prévoir une restriction à un droit qui, dans les faits, rendrait impossible l’exercice de ce droit. Par exemple, un cabinet prévoyait que si un associé quittait la structure en cours d’exercice, les dividendes ne lui seraient pas versés, même prorata temporis. Ce n’est pas possible. Le retrait d’un associé est souvent une situation très compliquée psychologiquement, car au sein des cabinets français, un départ est encore trop souvent assimilé à une trahison. C’est pour cette raison qu’il ne faut pas ajouter la complexité juridique à une situation déjà tendue et anticiper au maximum.