Un reconfinement light pour les avocats
[FOCUS] Submergée par l’accélération de l’épidémie de Covid-19, la France est confinée à nouveau depuis deux semaines. Mais l’État n’a clairement pas les moyens de stopper toute l’économie comme au printemps dernier et, surtout, les Français ne pourraient pas le supporter une seconde fois. C’est donc un confinement allégé qui a été proposé. Dans ces conditions, comment s’organisent les cabinets pour le télétravail ?
Pour la clôture du Grand atelier des avocats, la présidente du CNB, Christiane Feral-Schuhl, prévenait les autorités : « Nous ne voulons pas revivre le pire. […] Nous ne voulons plus de bricolage, d’improvisation, celle qui arrête la justice et nos cabinets. […] Les avocats ne survivront pas à un arrêt, même partiel des juridictions ». Le gouvernement a fort heureusement annoncé que celles-ci resteront ouvertes tout comme les services publics. Le décret du 29 octobre 2020 permet en outre aux justiciables de se déplacer chez un professionnel du droit pour les actes qui ne peuvent être réalisés à distance.
Le message des autorités est clair : le travail doit se poursuivre. Mais lorsque le télétravail est impossible, les entreprises peuvent rédiger une attestation dérogatoire permanente permettant aux salariés de rejoindre leur bureau. Et force est de constater que ces attestations de déplacement professionnel sont légion. « Pour les fonctionnaires et les travailleurs indépendants, la carte professionnelle fait foi », a précisé le Premier ministre en conférence de presse. « Privilégiez le télétravail », a twitté le bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, lundi 2 novembre dernier. Et sur le réseau social, nombreux étaient les collaborateurs qui demandaient aux institutions représentatives d’actualiser les protocoles sanitaires pour y intégrer, sinon l’obligation, du moins l’incitation à privilégier le télétravail.
Réactivation des protocoles sanitaires
Dans les faits, les cabinets d’avocats d’affaires ne se sont donc pas vidés de leurs effectifs. Car contrairement au premier confinement, cette fois-ci les bureaux vont rester ouverts. Dans les firmes internationales dont les locaux sont souvent vastes, une certaine liberté est laissée aux avocats de télétravailler totalement ou ponctuellement, voire même pas du tout. Et pour les salariés, les cabinets ont bien souvent rédigé des attestations leur permettant de se déplacer jusqu’aux locaux.
Bien sûr cette flexibilité ne dégage pas le cabinet de son obligation de sécurité, il doit avoir mis en place un protocole sanitaire adéquat pour éviter de mettre ses effectifs en danger. Comme pour le premier confinement, la rédaction de la LJA a donc mené l’enquête pour savoir comment les cabinets s’étaient réorganisés. Peu d’entre eux ont accepté de répondre aux questions, laissant ainsi comprendre que la majorité des équipes étaient encore au bureau.
Le directoire de LPA-CGR avocats annonce pour sa part vouloir respecter scrupuleusement les directives gouvernementales. « La règle est le télétravail à 100 % de l’ensemble des membres du cabinet (avocats et fonctions support). Seules les personnes devant accomplir des tâches qu’elles ne peuvent en aucun cas accomplir à distance sont autorisées à venir au cabinet, ponctuellement et pour une durée limitée (dossier de plaidoirie, closing par exemple) ». De la même façon, « les services généraux seront présents sur place afin de relever le courrier, de le scanner et de l’adresser aux destinataires ». Le cabinet ajoute que : « La situation sera évaluée chaque semaine et des ajustements seront mis en place si nécessaire ».
Chez White & Case, « En concertation avec l’ensemble des associés, le managing partner a annoncé la poursuite du travail à distance pour l’ensemble des équipes, tout en leur donnant la possibilité de venir au bureau pour les besoins de leurs services ou clients. Un service minimum est donc mis en place pour certaines fonctions support et les horaires sont au besoin aménagés pour les salariés. Chaque responsable de département se concerte avec son équipe pour s’assurer de la continuité du service aux clients, en alliant au besoin du présentiel et du travail à distance ».
Chez Gide, le comité a pris la décision de « généraliser le télétravail à l’ensemble des membres du cabinet dès le vendredi 30 octobre. Les avocats auront la possibilité d’accéder aux locaux seulement si cela est indispensable au bon suivi des dossiers, dans la stricte application des règles sanitaires ». Mais pour pallier les risques psychosociaux, la maison française assure que « la communication sera renforcée de sorte à avoir un véritable management de proximité, même à distance, et pour maintenir une cohésion entre les équipes ».
Assurer les bonnes conditions de travail
Le télétravail mis en place durant le premier confinement a représenté un véritable challenge de management pour les responsables de départements. Le contexte anxiogène ayant augmenté les risques psychosociaux. Face à ce constat, les équipes de PwC Société d’Avocats affirment être armés, ayant une « forte culture du télétravail depuis des années ». Le cabinet explique avoir « des outils collaboratifs adaptés pour travailler à distance, dans le respect des impératifs de confidentialité et de qualité avec nos clients mais aussi sans dégrader les conditions de travail de nos collaborateurs ».
Le cabinet de recrutement Robert Walters a réalisé, au mois d’octobre, avant l’annonce des nouvelles mesures de confinement, une enquête auprès de plus de 100 avocats. Agathe Delorme, consultante au sein de Robert Walters, en a récemment révélé les résultats : « Le télétravail imposé pour tous pendant le premier confinement a plutôt bien réussi aux cabinets, puisque 60 % des avocats considèrent que leur cabinet a bien géré la crise. Constat surprenant au regard de la culture traditionnelle des cabinets d’avocats, centrée sur un « présentiel » beaucoup plus fort qu’en entreprise ».
LPA CGR avocats a lui aussi réalisé, avant l’été, un sondage interne afin de savoir comment les membres du cabinet avaient vécu le télétravail et quelles étaient les leçons à en tirer. Quelque 91 % des personnes auraient répondu avoir été satisfaites du télétravail. Néanmoins le cabinet annonce que pour ce nouveau confinement « L’un de nos objectifs sera de bien veiller à respecter l’équilibre vie privée et vie professionnelle ».
Pour s’assurer que les équipes exercent depuis chez eux dans de bonnes conditions, la firme White & Case a prolongé « la possibilité pour son personnel de bénéficier d’un remboursement sur certains achats d’équipements et/ou de fournitures informatiques afin de permettre aux équipes d’exercer leur travail à distance en toute ergonomie ».
Chez Gide, « toutes les personnes qui travaillent à distance sont équipées d’un ordinateur portable. Les modes de connexions à distance ont été renouvelés au profit de solutions plus puissantes et plus robustes pouvant supporter 100 % du cabinet connecté et travaillant depuis l’extérieur ». Le cabinet annonce en outre avoir « généralisé l’utilisation d’outils comme Teams, la signature électronique et secureshare pour continuer à communiquer, travailler et partager à distance, tant entre collaborateurs qu’avec les clients ». Il ajoute enfin avoir « mis en place des outils de supervisions et de monitoring renforcés et permanents des infrastructures, des connexions, et des postes de travail ».
Les traces indélébiles du printemps
Malgré les moyens déployés par certaines grandes firmes pour assurer la sécurité tout en poursuivant l’activité, un certain nombre d’avocats s’insurgent que leur cabinet continue à imposer le présentiel. Et les réseaux sociaux ont commencé à se ré-enflammer depuis une semaine.
Pourtant dans l’ensemble, la plupart des avocats semblent satisfaits d’avoir gardé leur liberté de déplacement. Car si bien sûr l’essentiel du travail pourrait être fait depuis la maison, les sept semaines du printemps ont laissé des traces indélébiles. Les jeunes parents n’imaginent pas de jongler à nouveau entre les calls et les couches, ou de profiter de ces deux heures précieuses de temps de sieste pour avancer sur les conclusions d’un dossier. Quant aux jeunes collaborateurs, ils veulent apprendre, voir, échanger, être au contact des associés. Et surtout ne pas rester cloîtrés dans leurs petits appartements alors que le soleil se couche désormais au milieu de l’après-midi.
Sur linkedin, Pascal Landais, avocat au barreau de Laval, a par exemple témoigné : « En tant que juriste, je ne suis pas d’accord avec la Ministre du Travail qui a déclaré que "le télétravail n’est pas une option, mais une obligation" et que "ne pas respecter cette règle est un manquement à l’obligation de protection des salariés qui expose l’employeur à une sanction civile ou pénale." En effet, dans un arrêt du 19 octobre/2020, le Conseil d’État a jugé que le protocole n’a aucun caractère contraignant pour les entreprises et qu’il « constitue un ensemble de recommandations pour la déclinaison matérielle de l’obligation de sécurité de l’employeur ». Le protocole est donc un guide pour les employeurs dans le cadre de la mise en œuvre de leur obligation de sécurité prévue par les articles L. 4121-1 et suivants du Code du travail. S’il a été constaté des clusters dans les entreprises, il faut les mettre en perspective avec les chiffres de Santé Publique France qui, au 19 octobre/2020, relève que les cas rattachés à des clusters ne représenteraient que 10 % des contaminations. Madame la Ministre du travail, ne menacez pas les entreprises de sanctions mais faites leur confiance, car, depuis le 11 mai 2020, elles ont fait preuve de responsabilité dans la lutte contre le covid-19 ! » Faire confiance, c’est – pour l’instant – la voie choisie pour ce nouveau confinement.