Protection des informations stratégiques : quels sont les besoins des entreprises ?
La commission Droit et entreprises du Conseil national des barreaux (CNB), présidée par Marion Couffignal, a présenté, lors de l’assemblée générale du CNB du 7 mai 2021, un rapport formulant des propositions quant aux outils juridiques qui pourraient être utilisés pour protéger les informations stratégiques des entreprises et améliorer leur compétitivité. Synthèse.
Le rapport a été initié au début de l’année, au moment où le gouvernement commençait à élaborer ce qui devait être le projet de loi professions et qui est finalement devenu la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, actuellement en cours d’adoption au Parlement. La commission a voulu prendre de la hauteur par rapport aux débats corporatistes d’alors, sur l’opportunité d’accorder le legal privilege aux entreprises ou celle d’introduire l’avocat salarié en entreprise, pour se concentrer sur les besoins réels des entreprises et non des juristes. « Nous avons voulu réfléchir aux besoins des entreprises, en prenant du recul sur la question de l’avocat en entreprise, qui occulte les véritables problématiques actuelles des entreprises », explique Marion Couffignal. Partant du constat que la question des sanctions extraterritoriales était loin de concerner toutes les entreprises, le rapport souligne l’intérêt pour celles-ci de mettre en place une protection de leur patrimoine immatériel, afin de préserver leur compétitivité face à la concurrence interne.
Protection contre les sanctions extraterritoriales
À l’unisson de ce que proposait le rapport Gauvain, cette étude propose de renforcer la loi de blocage. Alors que sa réécriture par les services du ministère de l’Économie et des Finances avait été annoncée, force est de constater que le dossier n’avance pas. Le rapport insiste sur la nécessité d’appliquer la loi existante d’une part et, d’autre part, de renforcer les sanctions qu’elle prévoit. « Un constat unanime, qui figure dans tous les rapports sur la compétitivité des entreprises françaises », souligne Marion Couffignal. Il est également préconisé d’accompagner les entreprises pour la mise en œuvre de cette loi, afin d’en faire un véritable outil de défense contre les sanctions extraterritoriales, et non un facteur supplémentaire de risques ou une contrainte. Le rapport suggère de renforcer le rôle et les moyens du Service de l’information stratégique et de la sécurité économique (Sisse), service à vocation nationale créé en 2016 et rattaché à la direction générale des entreprises (DGE). Un système de riposte graduée, avec l’élargissement du mécanisme de l’article 145 du Code de procédure civile pour conserver ou établir, à titre préventif, la preuve d’un fait lorsque des intérêts d’importance sont en jeu pourrait aussi être envisagé. Marion Couffignal observe toutefois que ces questions, qui relèvent de la souveraineté économique vont bien au-delà du juridique. « Une volonté politique est nécessaire pour mettre ces mesures en place, et les avocats sont assez démunis face à cela ». Le CNB entend faire valoir ses arguments auprès des candidats aux prochaines élections régionales et présidentielles.
Agir à l’international
Le rapport envisage également des mesures sur le plan international. Pour une meilleure protection au niveau de l’Union européenne, l’élargissement du champ d’application du Règlement européen de blocage apparaît nécessaire. Pour contrer la souveraineté des États-Unis, qui réservent leur compétence dès lors qu’une transaction est libellée en dollars ou que des données sont hébergées sur des serveurs localisés sur leur territoire, il faudrait inciter à recourir davantage à des transactions en euros et à l’utilisation de serveurs informatiques sur le vieux continent, sans passer par les GAFAM. Dans le même ordre d’idées, il conviendrait de renforcer le RGPD et de développer les clouds souverains pour contrer le Cloud Act. Des propositions qui doivent aller de pair avec une augmentation des moyens affectés à l’intelligence économique, que ce soit au niveau national ou européen. Par ailleurs, pour préserver les intérêts dans l’Union européenne, les actions menées par les États membres en ce sens devraient être harmonisées et coordonnées. Le rapport pointe notamment la nécessité de créer des réseaux internationaux d’autorités de régulation. « Il faut arrêter d’être des victimes consentantes », estime Marion Couffignal qui pense qu’il est pertinent pour l’Union européenne de s’emparer du sujet. « La Commission européenne a d’ailleurs lancé une consultation sur l’extraterritorialité à laquelle le CNB va participer », complète l’avocate.
Protection contre la concurrence interne
Quelques-unes des mesures préconisées en cas de sanctions internationales peuvent également être utilisées pour se protéger de la concurrence. Le rapport suggère ainsi que des pièces saisies dans le cadre d’une mesure d’instruction préventive fondée sur l’article 145 du CPC puisse faire l’objet d’une mise sous séquestre. Par ailleurs, pour que les magistrats puissent appréhender les enjeux de tels litiges avec justesse, il serait intéressant de créer des juridictions spécialisées, ainsi que de prévoir un arsenal pénal répressif pour sanctionner les atteintes au secret des affaires.
Favoriser l’accompagnement des entreprises par les avocats
S’il n’est plus question – à l’heure actuelle – d’introduire l’avocat salarié en entreprise, la commission insiste sur l’importance de l’accompagnement juridique des entreprises. À cet égard, elle considère que des mesures destinées à faciliter l’intervention de l’avocat doivent être prises, par exemple en favorisant le détachement. « Il faut expliquer aux PME et aux ETI que le détachement ne concerne pas que les grandes entreprises qui accueillent un avocat détaché pendant six mois. À l’instar des experts-comptables, les avocats peuvent venir en entreprises quelques jours par mois ». La commission prépare d’ailleurs un guide du détachement, afin de promouvoir ces opérations. De même, des mesures d’incitations fiscales, comme un crédit d’impôt, devraient permettre aux entreprises d’avoir recours à un audit juridique, réalisé par un avocat qui pourrait conseiller l’entreprise quant aux mesures à mettre en œuvre pour prévenir ou guérir les failles juridiques identifiées.