Connexion

Pourquoi les cabinets s’installent en province ?

Par Anne Portmann

Plusieurs cabinets d’affaires parisiens ont récemment décidé de sauter le pas et de s’installer en province, pour être au plus près du tissu économique local.

Les raisons et les modalités de ces déploiements en province sont diverses, mais tous les cabinets invoquent le besoin de se rapprocher de leurs clients. Et si certains souhaitent, à terme, mettre en place un véritable maillage territorial, d’autres préfèrent attendre de saisir les opportunités qui se présentent. Enquête sur une tendance.

Quitter Paris. La crise sanitaire a rendu cette question plus aigüe, dans toute la société civile, notamment avec le développement du télétravail. Elle a sans aucun doute favorisé les désirs d’ailleurs de certains cabinets parisiens. Mais la généralisation du travail à distance a aussi incité les cabinets à aller à la rencontre de leurs clients. Chez Chatain & Associés, on y songeait déjà depuis longtemps. « J’avais constaté qu’il existait une forte activité en région sur le plan industriel et je songeais déjà à me rapprocher de certains clients, mais cela n’a pas pu se faire », confesse Antoine Chatain, l’associé fondateur, qui trouvait difficile de nouer des partenariats avec des cabinets déjà implantés localement, privilégiant une véritable installation. L’idée est revenue lorsque Thomas de Boysson, bordelais d’origine, lui a suggéré de s’y implanter. Lui, qui travaille en droit des assurances, avait déjà constaté que les compagnies, qui ont du reste souvent des établissements ou leur siège dans l’ouest de la France, confiaient leurs dossiers régionaux à des avocats locaux. Il a alors émis l’idée de mettre sur pieds un bureau à Bordeaux lorsqu’il accéderait à l’association, en septembre 2019. « J’ai interrogé beaucoup de clients qui étaient très enthousiastes à cette idée », raconte-t-il. La crise sanitaire a cependant entravé son projet, qui n’a pu finalement se concrétiser qu’après l’été 2020. Et cette première installation est l’amorce d’une véritable logique de développement en régions. Antoine Chatain indique qu’il réfléchit à d’autres implantations, mais sans doute à plus long terme. « Les choses vont se faire petit à petit et nous ferons un point sur le bureau de Bordeaux dans deux ans, cela suscitera peut-être d’autres projets », augure Antoine Chatain, qui a également envisagé avec un autre associé une installation à Nantes. Thomas de Boysson livre quant à lui un premier retour d’expérience et constate que l’accès aux décideurs et au tissu local des ETI et PME est plus facile grâce à cette présence locale. « Les réseaux se créent plus rapidement qu’à Paris », note-t-il.

Entre anonymat parisien et entre-soi provincial

Cyrille Garnier, un ancien de Simon Associés, a co-fondé le cabinet Ollyns en septembre 2020. Avocat en M&A et en private equity, il a été dès le départ convaincu de la nécessité d’une empreinte nationale forte. Le jeune cabinet, qui dispose d’un petit réseau de best friends à l’international compte, quant à lui, miser sur des partenariats régionaux. Le premier conclu avec le cabinet perpignanais Dario Vergelly, couvre l’Occitanie. « Nous avons rencontré les associés dans des dossiers de M&A et nos relations se sont renforcées avec le temps », dit Cyrille Garnier, qui explique que l’idée est également venue de ses confrères occitans. L’avocat observe en effet une tendance de certains clients régionaux à solliciter le cabinet parisien pour le traitement de leurs dossiers, dans un environnement plus neutre que l’environnement local. Et qu’à l’inverse, les clients parisiens ont parfois besoin de conseils qui soient de fins connaisseurs du tissu économique local lorsqu’il s’agit, par exemple, d’opérations concernant une filiale implantée en province. Maria-Carla Motte Conti, spécialiste des entreprises en difficulté et associée du cabinet Almain, dresse le même constat. Almain a décidé de s’implanter à Lille, projet mûrement réfléchi, avec cette dernière, car elle a l’avantage de connaître la région et d’y avoir des attaches familiales. Dans son secteur, « il y a une réelle attente des clients, la crise a renforcé le besoin de proximité entre le dirigeant et son avocat. Il est important d’avoir une bonne connaissance de l'écosystème local tout en gardant le recul nécessaire sur des dossiers sensibles où la confidentialité est importante », révèle-t-elle. Elle perçoit ce même besoin dans d’autres secteurs, comme en M&A ou en concurrence et en distribution. D’aucuns disent aussi à demi-mot que la figure de l’avocat parisien peut parfois créer des crispations au niveau local dans certains secteurs sensibles et que dans cette perspective, une double implantation peut avoir un intérêt. Cet équilibre, délicat à trouver, s’inscrit forcément dans le temps.

Des projets de vie personnels

Force est de constater que ces implantations sont souvent liées à des projets de vie propres aux associés. Thomas de Boysson a ainsi saisi l’occasion pour s’installer, avec sa famille, dans la région. Chez KPMG Avocats, il y a quelques mois, les managing partners avaient indiqué que, parallèlement au déploiement de la marque en régions, quelques-uns de leurs collaborateurs seniors parisiens avaient manifesté le désir de retourner dans leur région d’origine, ce qui avait été systématiquement accepté. La firme a en conséquence décidé de ne plus agrandir son siège parisien, mais de miser exclusivement, désormais, sur un déploiement en province. D’autres cabinets d’affaires parisiens sont en passe de lui emboîter le pas.

Stasi Chatain & Associés chatain associés Antoine Chatain Thomas de Boysson KPMG Avocats Cyrille Garnier Dario Vergelly Maria-Carla Motte-Conti Ollyns Simon Associés Almain