« Les avocats doivent pouvoir continuer à travailler et à circuler »
Lors du deuxième jour du Grand Atelier des Avocats, manifestation qui remplaçait la Convention des avocats, annulée pour des raisons sanitaires, il a surtout été question du reconfinement et de ses probables conséquences pour la profession d’avocat. Christiane Féral-Schuhl, la présidente du Conseil national des barreaux, a exhorté le garde des Sceaux à prendre rapidement des mesures pour que l’activité juridictionnelle continue.
Ce devait être, à l’origine, le plus grand rassemblement de la profession d’avocat, d’abord prévu au Palais des Congrès. Puis après la première crise sanitaire au printemps, la manifestation a changé de format, devenant le Grand Atelier des Avocats, qui pouvait être suivi à distance, en ligne. Et voilà que le jour même de l’évènement, le président de la République a annoncé de nouvelles mesures de restriction, indiquant que même si les services publics resteraient ouverts, il faudrait, dans la mesure du possible, rester chez soi. Ce devait être aussi, le premier discours officiel du garde des Sceaux, Éric-Dupond Moretti, devant ses anciens confrères avocats. Mais le ministre, parti en urgence à Nice à la suite de l’attentat qui a eu lieu le matin même dans une église, a dû annuler sa venue. C’est dans ces circonstances que Christiane Féral-Schuhl a pris la parole, seule, devant un parterre clairsemé et distancié. Quelque 5 000 avocats s’étaient cependant inscrits pour écouter son discours à distance. La présidente du CNB a d’abord demandé à la salle de faire une minute de silence, en hommage aux victimes du terrorisme.
La place de l’avocat
« Lorsque tout vacille, il reste le droit » a introduit Christiane Féral-Schuhl, constatant que dans ce contexte de pandémie, le pays, l’institution judiciaire et la profession d’avocat étaient chancelants. Rappelant que dans ce contexte, l’avocat était celui qui portait les valeurs de la République, la présidente du CNB a affirmé sa place de rouage essentiel de la démocratie. Déplorant les tensions actuelles entre magistrats et avocats, elle affirmé que le dialogue entre les acteurs de l’institution judiciaire n’avait cependant jamais été rompu. Estimant qu’« il n’est pas admissible que des dizaines d’avocats aient vu leurs fadettes épluchées, leurs contacts surveillés, leurs clients épiés », elle a appelé à une réforme législative d’ampleur « afin de protéger durablement, définitivement, pleinement, dans tout son périmètre, le secret professionnel ». S’adressant au garde des Sceaux malgré son absence, elle lui a notamment demandé, s’il voulait s’emparer du sujet, de s’opposer à la transcription de la directive fiscale DAC 6, qui « percute le secret professionnel » et de réformer l’enquête préliminaire, « boîte noire de la procédure pénale ». Il s’agit, selon elle, de réformes essentielles qui ne peuvent pas être prises en otage par le contexte. La présidente du CNB a au demeurant rappelé que, concernant les réformes, le garde des Sceaux avait, sur son bureau, quelque 300 propositions de réformes formulées par le CNB.
Constitutionnaliser l’avocat
Plus tôt dans la matinée, une table ronde consacrée à la place de l’avocat dans le fonctionnement de la justice et dans les réformes en cours, qui rassemblait plusieurs parlementaires, avait conclu à la nécessité de lancer un débat d’ampleur sur l’institution judiciaire. « Il y a une vraie culture à réinventer sur la place de l’avocat et il faut avoir une approche d’ensemble », a relevé la députée Cécile Untermaier (PS). Pierre Morel-À-L’Huissier (UDI), partageant cette position, estime nécessaire de constitutionnaliser le recours à l’avocat pour affirmer la place de ce dernier, tout comme Ugo Bernalicis (LFI), qui estime que le rôle de l’avocat participe du droit fondamental de se défendre. Ces députés de l’opposition ont toutefois dressé le constat de ce que le gouvernement était peu à l’écoute des parlementaires. « Tout ce que nous pouvons faire, c’est déposer des propositions de loi pour ouvrir le débat », note Pierre Morel-À-L’Huissier. Christiane Féral-Schuhl n’a cependant pas repris cette demande de constitutionnalisation dans son discours.
Plus de justice à 164 vitesses
Elle a relevé que pendant le premier confinement, qui a débuté au mois de mars dernier, chaque juridiction de France s’est organisée différemment. « Nous avions une justice à 164 vitesses, une justice qui a bégayé. Nous ne voulons pas à nouveau vivre le pire ». Rappelant que pendant les mois de mars et d’avril, « deux mois blancs », la moitié des cabinets ont fermé et un quart des avocats ne se sont pas versé de rémunération, la présidente du CNB a demandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaires. « Plus de bricolage, plus d’improvisation. Notre profession ne survivra pas à un nouvel arrêt, même partiel, de l’activité juridictionnelle, a-t-elle averti. Demain, les cabinets d’avocats doivent pouvoir continuer à travailler, et à recevoir leurs clients. Demain, les avocats doivent pouvoir circuler pour assurer leurs missions ». Elle a aussi rappelé que lors d’une table ronde organisée la veille, les magistrats invités avaient indiqué ne pas disposer des moyens techniques nécessaires pour travailler à distance et que les greffiers n’étaient que 7 % à en être équipés. « Dans ce contexte, le rôle de l’Etat est de relever la Justice, et non pas de réformer la profession d’avocat malgré elle », a conclu la présidente du CNB qui a indiqué être à la disposition de la Chancellerie.