Le secret de l’avocat, une question d’équilibre…
La finalisation des lois organique et ordinaire pour la confiance dans l’institution judiciaire a tourné au véritable psychodrame depuis la Commission Mixte Paritaire (CMP) du 21 octobre dernier. Les avancées du texte se sont quasiment effacées devant le débat sur le secret des avocats. La profession a en effet estimé le secret bafoué quand la CMP en a réaffirmé le principe tout en posant des exceptions. Déclarations, votes, motions, grèves, ultimatums, manifestations, invectives se sont enchaînés. Autant de moments où tout aurait pu être perdu. Le texte est là, quel est son impact pour les clients ?
L’article 3 du texte porté par Éric Dupond-Moretti tente de revenir sur la situation créée par la chambre criminelle de la Cour de cassation : une réduction du secret à celui de la défense pendant une procédure. « Le secret professionnel général et absolu est un mythe, souligne Raphaël Gauvain, député et avocat. La loi est là pour poser les principes. Et le texte voté réaffirme d’abord celui de la protection d’un secret qui couvre le conseil comme le contentieux. C’était nécessaire car la Cour de cassation avait créé une situation contra legem avec une vision très réduite du secret. Le secret professionnel de l’avocat sort donc renforcé avec le texte d’aujourd’hui. Nous avons fait œuvre utile, dans l’intérêt général. Il constitue une avancée, quoique l’on en dise ». Sans ce texte, l’avocat et son client resteraient enfermés dans la vision restrictive de la Cour de cassation. Or le client doit pouvoir faire des confidences à son avocat en toute sécurité. Thomas Baudesson, avocat AMCO, reconnaît : « Le texte est une avancée, mais il faut bien noter que ce n’est pas une concession. Le secret professionnel n’avait pas besoin d’être étendu à l’activité de conseil. Le texte de fusion des professions de conseil et d’avocat a posé un secret professionnel qui couvre tant le conseil que le contentieux ». Il concède cependant que différentes révisions de l’article 66-5 de la loi de 1971 sur la profession d’avocat ont eu lieu. Mais il ajoute : « Les débats parlementaires ont toujours été clairs sur cette question, conseil comme contentieux font bien partie du secret. L’opposabilité du conseil existe et c’est bien la jurisprudence de la Cour de cassation qui justifiait un texte de loi. Il fallait en quelque sorte revenir sur l’amputation de l’article 66-5 et le rétablir dans son essence ».
Des exceptions…
Mais des exceptions sont instituées. Pour les instances représentatives des avocats et différents syndicats, les exceptions vident le secret. Elles sont pourtant limitées. Celles retenues reposent sur des intérêts sociétaux (lutte contre la fraude fiscale, le terrorisme ou la corruption) et du principe à objectif constitutionnel de l’efficacité des enquêtes. Une exception avait été instituée par la CMP qui levait totalement le secret s’il y avait instrumentalisation par le client de l’avocat. Elle a été retirée par un amendement du gouvernement lors du vote de la loi après le CMP, fait très rare dans la vie législative de la cinquième République.
L’exception restante concerne donc la possible levée du secret sur les éléments du conseil en matière de fraude fiscale, de corruption, de financement du terrorisme et le blanchiment de ces infractions. Elle vise surtout les enquêtes concernant des entreprises, des administrations et des cols blancs, donc les activités du PNF, de l’AFA et des autorités fiscales. C’est loin d’être tout le droit et toutes les enquêtes. « Les avocats s’offusquent de ces exceptions. Mais il va falloir attendre la décision du Conseil constitutionnel s’il y a saisine – ou plus tard à l’occasion d’une QPC. Contrairement à ce que disent les avocats, le risque de censure existe parce que l’équilibre entre la défense du secret professionnel – qui n’est pas constitutionnellement protégé – et l’efficacité des enquêtes, qui est un objectif à valeur constitutionnelle, reste fragile », souligne Raphaël Gauvain. Et Thomas Baudesson d’ajouter : « Derrière ces cas, le vrai sujet du secret, si l’on raisonne en termes d’économie et de droits fondamentaux des sociétés, c’est bien chez le client qu’il se pose. Comment le secret sera-t-il respecté dans l’entreprise ? ».
La mise en œuvre de la loi
Finalement, le voilà l’enjeu. Comment mettre en œuvre cette loi, tant dans son principe que dans ses exceptions ? Concrètement, comment les entreprises vont-elles se protéger lors de perquisitions et d’enquêtes ? Au-delà de l’importance du secret professionnel de l’avocat, c’est bien son opposabilité qui est en jeu. « Le secret appartient d’abord aux clients, rappelle Thomas Baudesson. Or quand les enquêteurs viennent les perquisitionner, il n’y a pas de bâtonnier comme dans les cabinets, et le client n’a même pas le droit d’avoir un avocat à ses côtés ». L’ajout par l’Assemblée nationale de la présence de l’avocat lors des perquisitions a en effet disparu au Sénat. « C’est chez une personne morale que l’opposabilité prend tout son sens, surtout avec les consultations, c’est là qu’il faut éviter la saisie de tel ou tel document, poursuit l’avocat. Le pénaliste connaît surtout la perquisition chez une personne physique qui a rarement des documents de ce type. Dans l’entreprise, les enquêteurs prennent connaissance et lisent tout, puis saisissent. Il est très difficile pour le client, seul, de s’opposer à un enquêteur juge et partie. Se battre chez le JLD après que les enquêteurs aient tout scruté n’est pas suffisant pour la protection du client. C’est très différent chez les Anglo-Saxons où les enquêteurs ne lisent pas les documents, où un tiers de confiance et le juge interviennent. Ce sont aux modalités pratiques qu’il faut s’atteler maintenant, car il faudra se mettre au niveau des meilleurs standards internationaux. L’idéal aurait été d’avoir un décret en Conseil d’État fixant les modalités pratiques, avec un tiers de confiance, avec un duo ancien JLD et AMCO comme garant, que sais-je encore. Nous devons nous saisir de ce sujet, par exemple pendant les États généraux de la justice ». Raphaël Gauvain abonde en ce sens : « Maintenant, il va falloir mettre en œuvre la loi de manière concrète. Nous devons définir comment agir et mettre en place des protocoles avec les différentes autorités concernées. Ce travail doit être mené ensemble (avocats, magistrats, enquêteurs) et pourra faire l’objet d’une circulaire ou d’une dépêche du garde des Sceaux ».
Et revoilà la justice négociée
Pour Thomas Baudesson, l’inspiration d’une part de ce texte est américaine. « Il ressemble à la crime-fraud exception sans ses garanties sur la revue des documents ». Pour Raphaël Gauvain, « En France, l’exigence de la preuve est beaucoup plus forte qu’aux USA. L’efficacité de l’enquête n’est pas du tout de même niveau, l’ensemble du système est différent. En France, on va devant un juge, le doute a une grande place, le parquet doit rapporter la preuve et son action est plus compliquée. Tandis qu’aux États-Unis, en réalité, les enquêtes ne vont quasiment jamais devant un juge. Il y a presque toujours un deal de justice ». D’ailleurs les exceptions françaises concernent plutôt des domaines où la justice négociée a été introduite. « C’est pourquoi je suis très favorable à développer la justice négociée, parce qu’avec ce principe, et l’exemple américain le montre, il y a une meilleure protection des droits de la défense et une meilleure efficacité de la justice. C’est ce que je porte dans ma proposition de loi », conclut Raphaël Gauvain. Reste le niveau du droit européen. Une Convention européenne pour les avocats reste à l’étude et elle couvrira le secret.