Jeunes avocats : comment développer sa clientèle ?
L’une des clés d’accès à l’association est de développer sa propre clientèle. Mais comment y parvenir ? De jeunes associés témoignent de leur expérience.
Devenir associé nécessite incontestablement de posséder une certaine prédisposition au développement commercial. « Un bon associé doit avoir une capacité de fidélisation et de captation de la clientèle, mais aussi être capable de répondre à un client de façon professionnelle et qualitative sur toutes ses problématiques, indique Laure Hüe de La Colombe, associée de Taylor Wessing. Il doit avoir un bon relationnel d’une manière générale ». Certains profils auraient quelques facilités. « Mes confrères qui sont diplômés d’une école de commerce ont, depuis le début de leur carrière, plus d’appétence et de sensibilité au développement de la clientèle que les autres avocats qui apprennent au fur et à mesure », lance Julie Cornély, associée de De Gaulle Fleurance & Associés. Mais qu’en est-il des autres ? Ceux qui ont préféré se plonger dans l’apprentissage théorique, devenus des experts dans leur domaine de spécialité, sans prendre nécessairement le temps de networker en conférence ? Les journées n’ont que 24 heures, alors pour devenir associé, comment trouver le temps de développer sa clientèle ?
Première option : se placer dans la roue d’un associé senior. Bien sûr, exercer aux côtés d’un associé référent, pourvoyeur de clientèle, présente de nombreux atouts. « C’est une chance incroyable pour l’avocat qui apprendra vite en termes de développement commercial, outre le fait que cela aille souvent de pair avec le développement d’une plus grande autonomie du collaborateur vis-à-vis de certains dossiers ou de certains clients », estime Valérie Ménard, associée de White & Case. Mais la marge de manœuvre pour des actions de développement des collaborateurs est parfois limitée. « C’est une chance au début, mais le danger est de tomber dans une situation de dépendance économique, prévient Ian De Bondt, directeur associé de Fed Légal. Malgré son contact quotidien et ancien avec certains clients, le senior associate ou le counsel sera souvent bloqué pour changer de cabinet. Il n’est pas évident que le client quitte l’associé principal, a fortiori si ce dernier est une marque sur son marché, ou si la firme est de premier plan ». La situation de dépendance peut en outre se révéler inconfortable et le vent est toujours susceptible de tourner du jour au lendemain : un départ à la retraite de l’associé, des relations qui se dégradent subitement, un changement de cabinet de l’associé sans son équipe…
Et même si l’associé senior reste en place, l’accès au partnership du cabinet ne dépend pas que de lui. Les cabinets qui associent l’un des leurs ont toujours une logique économique en tête : on coopte pour que le gâteau grossisse, pas pour le diviser en plus de parts. « Associer des avocats doit créer de la croissance et de la valeur, souligne Camille-Antoine Donzel, associé de Fromont Briens. Certes, le chiffre est divisé entre plusieurs associés, mais si la croissance est au rendez-vous, chacun y trouve son compte ». Et puis la répartition du gâteau dépend des cabinets : est-ce un pourcentage du capital qui donne droit aux dividendes ou existe-t-il une répartition individualisée en fonction des chiffres d’affaires des associés ? Flore Poloni, associée du cabinet Signature Litigation indique : « Soit, certain d’être coopté à terme, l’avocat décide de continuer à traiter essentiellement les clients du cabinet ; soit, en cas d’embouteillages à l’association, il doit trouver du temps pour se développer et accroître sa visibilité (sur son temps personnel ou en démarche concertée avec la structure), ou faire le choix de rejoindre une structure différente où il aura plus de temps pour le faire et où ce type d’effort sera valorisé ».
Privilégier les dossiers personnels ou les apporter au cabinet ?
Deuxième option : compter sur ses capacités techniques et commerciales pour attirer sa clientèle. Si les dossiers personnels sont formateurs pour le collaborateur qui les gère entièrement, il peut parfois être plus intéressant d’apporter le client au cabinet, en raison du caractère rassurant de la marque, voire de ses choix de carrière. « Je n’ai jamais fait de dossiers personnels, parce qu’ils n’auraient pas été du même calibre que ceux sur lesquels je travaillais au sein de mes anciennes structures, en contentieux complexes et en arbitrage international, mais j’ai développé un portefeuille de clients que j’ai apporté à la firme parce que je trouvais un intérêt à mes actions de développement, lance Flore Poloni. L’utilité des dossiers personnels dépend de la clientèle visée à terme et de la matière. Par exemple, j’encouragerais les avocats à prendre des dossiers personnels si cette démarche va leur permettre de toucher le type de client qui intéressera la structure et constituera un portefeuille qui sera valorisable en tant que tel. Cela pourrait être le cas en droit du travail côté salarié pour prendre un exemple parmi d’autres ». Julie Cornély juge pour sa part qu’« il est préférable d’apporter le dossier à une structure, plutôt que le garder en perso, pour ceux qui ont l’envie de devenir associé dans le cabinet où ils exercent ». Les actions de cross selling, qui se traduisent par la multiplication des contacts pour le même client, sont une force et peuvent même décupler le chiffre d’affaires d’un jeune avocat. « Quand un cabinet est full services, il faut mettre en avant ses capacités, les spécialités et compétences des équipes pour répondre au maximum aux demandes des clients, ajoute-t-elle. L’aspect transversal est fondamental ».
Recrutement latéral : un pari sur le chiffre d’affaires apporté à terme
Le développement d’une clientèle externe propre permet à l’avocat de s’assurer son indépendance et d’une liberté de mouvement future. L’anticipation est primordiale pour éviter de le faire sous pression au moment de rejoindre une structure en tant que nouvel associé. « Le cabinet qui souhaite recruter un jeune partner attend non seulement une compétence et un projet de développement clair, mais aussi une portabilité de clientèle, indique Ian De Bondt. Un recrutement latéral est toujours un pari. Les cabinets souhaitent néanmoins sécuriser un maximum ce genre de mouvement en évaluant précisément le potentiel de chiffre d’affaires à court et moyen terme ». L’échec coûte cher : de l’argent aura généralement été engagé par le cabinet qui aura eu recours à un chasseur de têtes, sans parler des rémunérations, parfois exorbitantes, offertes à certains associés pour les attirer dans leurs filets. « Nous voyons très régulièrement de bonnes surprises chez les jeunes associés en rapport avec le business plan (BP) déterminé lors du recrutement, poursuit Ian De Bondt. Les ratés que nous constatons sont finalement bien plus souvent le fait d’associés seniors. Leur logique est parfois de construire un BP sur la base de la rémunération souhaitée. Forcément parfois ça coince… ». Le trou dans la raquette peut alors faire mal pour la structure d’accueil.