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Guerre en Ukraine : comment les cabinets d’avocats s’organisent-ils ?

Par Ondine Delaunay

Alors que le monde est toujours sous le choc de l’invasion par la Russie de l’Ukraine, où les combats font rage, la communauté internationale des avocats a condamné avec conviction l’agression militaire par communiqué de presse. Quant aux firmes étrangères installées dans la région, elles tentent de s’organiser au mieux. Même si la situation évolue tous les jours, la LJA a tenté de dresser un état des lieux du marché.

Les bureaux de Kiev des firmes internationales ont réagi avec une grande rapidité. Dès la prise de parole, jeudi 24 février à 5 h 55, de Vladimir Poutine, sur le début de l’opération militaire en Ukraine, les quelques cabinets étrangers implantés dans la capitale ont fermé leurs portes. Parmi eux, le français Jeantet qui a été créé à Kiev en 2006, par Karl Hepp de Sevelinges, à la suite de la révolution orange et du mouvement démocratique et d’autonomie sans précédent. Il compte aujourd’hui une dizaine de collaborateurs, dirigés par l’associé Bertrand Barrier. Alors que les communications locales sont souvent difficiles et que la plupart des avocats locaux en âge de combattre ont été enrôlés, Karl Hepp de Sevelinges ne masque pas son inquiétude face à la situation. « Aujourd’hui notre priorité est de nous assurer de la sécurité des collaborateurs et de leurs familles qui subissent les bombardements, explique-t-il. Les hommes ukrainiens du bureau sont appelés pour rejoindre la défense nationale. Nous espérons tous que cette guerre trouvera une issue rapide et que nos valeurs l’emporteront. Les aides matérielles commencent à se mettre en place. Nous y participerons évidemment ».

La sécurité des équipes, priorité absolue

Le ton est le même chez Baker McKenzie qui a dû fermer les portes de son bureau à Kiev, comptant tout de même une centaine de collaborateurs. « Nous suivons bien évidemment de très près l’évolution sur place et faisons tout notre possible pour soutenir nos collaborateurs durant cette période extrêmement difficile. Notre priorité absolue est leur sécurité », explique Éric Lasri, managing partner du bureau parisien. Il précise : « Nos équipes sont mobilisées aux quatre coins du globe, pour répondre aux très nombreuses questions de nos clients affectés par cette situation et les assister en temps réel ». L’angoisse est également palpable chez Dentons, qui compte localement 49 avocats et a mis en place une équipe spéciale chargée de surveiller et gérer la situation de crise. Le cabinet a indiqué à la rédaction : « Nous sommes en contact régulier avec notre équipe à Kiev et offrons, à nos collègues et à leur famille, toute l’assistance possible, y compris une aide à la relocalisation et à l’hébergement dans les pays voisins ». Le cabinet a par ailleurs activé sa fondation pour recueillir les dons des membres de Dentons dans le monde entier, afin de soutenir leurs confrères du bureau et leur famille, ainsi que d’autres familles ukrainiennes déplacées par la guerre.

Le réseau CMS regroupe pour sa part deux bureaux à Kiev : le premier compte 66 personnes, dont 34 collaborateurs et sept associés, tandis que le second comprend 11 personnes, dont six collaborateurs et deux associés. Depuis déjà plusieurs semaines, des mesures de protection ont été prises à leur égard. « Nous avons mis en place une équipe dédiée à l’accompagnement de nos collègues basés à Kiev dès l’apparition des premières tensions et nous continuons à chercher des solutions dans un contexte qui évolue quotidiennement. L’application d’urgence de CMS a été poussée sur les téléphones de tous nos collaborateurs à Kiev afin qu’ils puissent rester en contact avec le cabinet et nous alerter en cas de problème. L’évolution de la situation continue d’être surveillée et gérée par notre équipe business continuity en étroite collaboration avec la direction du cabinet », a indiqué Pierre-Sébastien Thill, chairman de CMS, à notre rédaction.

Des inquiétudes également à Moscou

L’inquiétude est également palpable dans les équipes installées en Russie, qui craignent une chasse aux sorcières de la part des autorités russes. Si les sanctions internationales prononcées vont sans aucun doute modifier le business local et les attentes des clients, l’heure est clairement à la panique dans les bureaux des cabinets d’avocats. Dans la région, quelques firmes américaines ont fermé leurs portes depuis plusieurs années, à l’image d’Orrick en 2017, de Jones Day en 2019 ou encore deKing & Spalding l’été dernier. Mais d’autres y sont bien implantées comme White & Case, Skadden ou encore Cleary Gottlieb, attirées par une place qui concentre la majorité des sièges des grandes entreprises et banques russes, des sièges de multinationales
et d’institutions financières, des institutions gouvernementales et judiciaires, ainsi que la Banque centrale. Pour l’instant, aucune d’elles n’annonce de fermeture du bureau russe ou ne commente officiellement les récents événements. Mais les réseaux sociaux commencent déjà à se déchaîner sur certains. Sidley Austin est l’une des cibles des critiques pour avoir conseillé la VTB Bank, ou encore Tenex, qui commercialise à l’exportation, pour la Russie, les combustibles nucléaires et les services de traitement du combustible. La firme « doit être placée sur une liste noire à Washington DC », peut-on lire en commentaires.

Du côté du Magic Circle, à l’exception de Slaugther & May, toutes les structures disposent d’équipes d’avocats en Russie. Chacune a été contactée par la rédaction pour connaître le dispositif prévu en cas d’urgence et leurs ambitions sur place. À l’heure où nous bouclons ces pages, seul Allen & Overy a jugé utile de répondre officiellement : « A&O soutient les gouvernements du monde entier dans leur réponse à cette invasion insensée et condamne les actions de la Russie. Nous procédons actuellement à l’examen de notre portefeuille lié à la Russie. En conséquence,
nous refuserons toute nouvelle instruction et stopperons tout dossier en lien avec la Russie, qui irait à l’encontre de nos valeurs. Tout naturellement, nous appliquerons, avec la plus grande fermeté, toutes les décisions politiques et nous nous conformerons aux sanctions et règles applicables
». Le reste des firmes contactées fait la sourde oreille. Mais les positions inflexibles des grands cabinets de lawyers ne devraient pas manquer de changer sous la pression de leurs clients internationaux. Car finalement pourquoi ne devraient-ils pas, eux aussi, participer à l’effort de guerre et aux sanctions contre la Russie, alors que la plupart des États occidentaux et plusieurs grandes entreprises ont déjà pris leurs distances avec le pays ?