Déménagement des cabinets : une reprise en fanfare
Sous l’effet de la pandémie, les déménagements des cabinets internationaux se sont quasiment arrêtés durant un an et demi. Mais l’heure de la reprise a sonné et les firmes multiplient les annonces de changement d’adresse. La crise sanitaire a-t-elle redistribué les cartes des implantations parisiennes ?
Ils sont 105 cabinets, toutes spécialités confondues, à avoir déménagé depuis le début de l’année 2020, selon le barreau de Paris. Parmi eux, de grands cabinets d’affaires. En janvier dernier, 25 ans après sa création, le cabinet August Debouzy a été le premier à annoncer son déménagement en présentant ses nouveaux bureaux, dans une vidéo filmée par un drone. Quelques centaines de mètres à peine séparent les locaux historiques de l’avenue de Messine des nouveaux bureaux rénovés de la rue de Téhéran, qui sont les anciens offices du siège des Parfums Dior, où se sont installés les 250 membres du cabinet. Ce déménagement aurait nécessité deux ans et demi de préparation. La façade typique des années 1920 de l’immeuble, son architecture en forme de E et ses quelque 7 300 m2 ont permis aux équipes d’être plus à l’aise. Sans compter ses parois vitrées instaurant un contact visuel entre les avocats, ou encore ses box privatisables, espaces de travail partagé, salle de déjeuner, terrasse, auditorium et cafétéria… Le cabinet Jeantet a suivi le mouvement quelques semaines plus tard. Après plus d’une cinquantaine d’années passées au 87 avenue Kléber, la structure française a emménagé 550 mètres plus loin dans l’hôtel particulier Vision Eiffel, au 11 rue Galilée dans le 16e arrondissement de Paris. Le cabinet, qui a fait le choix d’espaces ouverts et répartis sur six étages, a proposé à ses 200 membres dont 150 avocats d’être plus nomades, afin de développer le partage d’expériences et la synergie entre les équipes.
Si les deux cabinets français ont réussi à s’installer juste avant le premier confinement, certains ont fait les frais de la crise sanitaire, à l’instar du cabinet Willkie Farr & Gallagher qui a dû reporter son déménagement deux fois à cause d’un retard de travaux à l’automne 2018, puis des annonces gouvernementales au printemps 2020. La firme, qui compte près de 75 avocats au bureau de Paris, a quitté le 21 rue de la Ville-l’Évêque, pour le 21 boulevard Malesherbes, toujours dans le 8e arrondissement. Le cabinet a d’ailleurs mis en scène quelques associés, dont Lionel Spizzichino et Faustine Viala, et collaborateurs dans deux vidéos intitulées « Willkie déménage », diffusées sur YouTube. Si les premiers étages sont dédiés aux bureaux, les 5e et 6e sont aménagés en salles de réunion, de formation et de réception. Une terrasse offre une vue imprenable sur Paris.
Enfin, le 6 juillet dernier, le bureau parisien d’Allen & Overy a annoncé le déménagement de ses 140 avocats, dont 36 associés, fin 2022. Exit le 52 avenue Hoche. Le cabinet annonce la signature d’un bail en l’état futur d’achèvement avec Ardian, d’une durée de 12 ans, pour l’intégralité des bureaux de l’ensemble immobilier Renaissance situé au 32 rue François 1er. Ancien siège d’Europe 1 en cours de restructuration, il sera composé à terme d’environ 6 900 m² de bureaux répartis sur six étages. Même si la réduction de surfaces à laquelle on aurait pu s’attendre de la part des cabinets d’avocats en raison de la crise sanitaire ne s’est pas produite, soulignons que la tendance est à l’aménagement des locaux et à la réflexion managériale.
Un changement de mentalité
« Les cabinets de la place repensent actuellement leur espace de travail et, pour certains, un déménagement est l’occasion idéale de revoir l’organisation et la manière de travailler des avocats. Il est synonyme d’espaces collaboratifs et créatifs, de lieux dédiés à la convivialité, de flex offices ou encore d’open space, indique Mireya Berteau, membre du board de l’association Com’SG et directrice du développement d’Hogan Lovells. Même si un certain nombre de cabinets resteront dans leurs locaux actuels, surtout lorsqu’ils sont situés à des adresses prestigieuses, ceux-ci s’adapteront aussi à cette nouvelle méthode de travail ». Des immeubles fonctionnels, représentant le plus fidèlement possible son positionnement, sont désormais recherchés à Paris. Augustin Bezier, conseil en immobilier d’entreprise chez Alex Bolton, le confirme : « Il y a un vrai revirement de la part des cabinets d’avocats d’affaires sur les caractéristiques des surfaces occupées. Les firmes recherchent des surfaces rationnelles, donc efficientes, modulables et hybrides, avec notamment des espaces de réunion pouvant devenir des lieux de travail pour des besoins temporaires ». Par ailleurs, un immeuble incarne l’identité d’un cabinet d’avocats et cela est d’autant plus vrai depuis la crise sanitaire, où il va falloir accueillir le client dans un environnement rassurant, qui préserve la confidentialité des données malgré les nouvelles dispositions des locaux.
Avant, un cabinet déménageait pour des raisons de croissance ou de modernité. Aujourd’hui, à travers le déménagement, une réflexion sur la transformation managériale est menée au sein de la structure. « La crise sanitaire a entraîné un changement de mentalité, une vraie réflexion au sein des cabinets d’avocats de la place sur les messages à véhiculer, le sens des mouvements des avocats et la manière de retenir les talents, ajoute Mireya Berteau. Repenser son espace de travail est l’une des réponses pour les fidéliser, qu’il y ait déménagement ou pas ».
L’éternel regroupement dans le triangle d’or
Les cabinets d’avocats qui sont accompagnés par des professionnels de l’immobilier dans leur recherche de locaux demandent, en priorité, à conserver une localisation et une adresse qui soient cohérentes avec leur positionnement. Et d’après le dernier recensement effectué par le barreau de Paris, le 8e arrondissement de Paris demeure l’emplacement le plus prisé par les cabinets d’avocats, toutes spécialités confondues, hébergeant 1501 structures sur 4779 au total en 2020. Le 16e arrondissement compte quant à lui 799 structures, contre 641 pour le 17e, 318 pour le 9e, 320 pour le 1er et 306 pour le 7e.
Quelques cabinets d’affaires sont des incontournables de la rive gauche (Latham & Watkins, McDermott Will & Emery, Almain et, depuis quelques années, Bredin Prat), mais la tendance est toujours au regroupement des firmes rive droite et, plus particulièrement, dans le triangle d’or. Les cabinets internationaux ont une importante clientèle étrangère qui identifie plus facilement une adresse située dans cette zone. « L’implantation près des Champs-Élysées est considérée comme une adresse prestigieuse par les clients des cabinets d’affaires internationaux, donc privilégiée par ces firmes pour assoir leur positionnement, même si des locaux trop ostentatoires peuvent rapidement devenir un handicap en termes d’image donnée aux clients », souligne Augustin Bezier.
Sur les 105 cabinets d’avocats ayant déménagé depuis le début de la crise sanitaire, plus d’une quarantaine avaient pour destination une adresse du 8e arrondissement. C’est notamment le cas de Gibson Dunn, qui a récemment quitté le 166 rue du Faubourg Saint Honoré, pour le 16 avenue Matignon dans le 8e arrondissement. Par ailleurs, 20 cabinets sont passés du 8e arrondissement au……8e arrondissement ! « Toujours dans cette optique de repenser le message véhiculé et de s’interroger sur la rétention des talents, les cabinets accordent une importance croissante au bien-être de leurs troupes, ainsi qu’à la perception en interne et sur le marché », indique Mireya Berteau. La plupart des cabinets ne veulent pas bousculer les habitudes des uns et des autres et restent dans le même quartier, proches de leur localisation d’origine. Soulignons par exemple le déménagement de Freshfields Bruckhaus Deringer il y a quelques mois, passant du 2 rue Paul Cézanne au 9 avenue de Messine. Le nouveau siège parisien compte 6 364 m² de bureaux. Il se murmure également que King & Spalding, basé au 12 Cours Albert 1er, serait le futur locataire d’Ardian juste à côté du célèbre parc Monceau. Le fonds a annoncé la signature de deux baux long terme, en l’état futur d’achèvement, sur son projet Rio, situé 2 place Rio de Janeiro, pour une surface totale de plus de 4 000 m². Les utilisateurs, le cabinet d’avocats d’affaires et un fonds d’investissement, auraient pris à bail la moitié de l’immeuble, dont la livraison est prévue au cours du deuxième trimestre 2021.
Enfin, depuis le début de la crise sanitaire, seulement une quinzaine de cabinets ont déserté le 8e arrondissement pour des cieux qu’ils estimaient plus cléments, selon le barreau de Paris. Par exemple, quatre cabinets sont partis dans le 9e, deux dans le 16e et deux autres dans le 17e arrondissement de Paris. « L’implantation des cabinets d’avocats est assez disparate et dépend de leur positionnement juridique et de leurs clients, nuance Augustin Bezier. Si un cabinet d’affaires s’installera certainement dans le quartier d’affaires traditionnel parisien, essentiellement le 8e arrondissement, des tendances se dessinent. On retrouvera, par exemple, de nombreux cabinets spécialisés en IP dans le 7e arrondissement et en droit du travail dans le 16e ».