De l’avocature, des postures et de la littérature
La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 12 octobre 2021, a confirmé un jugement du tribunal de grande instance de Paris, qui avait été rendu le 21 novembre 2019, dans un litige opposant le célèbre avocat parisien Daniel Soulez-Larivière à l’avocate toulonnaise Aurore Boyard, auteure d’une trilogie de romans fleur bleue retraçant les déboires d’une avocate. L’objet du litige : l’emploi du vocable « avocature », dont le ténor revendiquait la paternité. Synthèse.
L’histoire débute en 2018, lors de la réédition, par les éditions Enrick B., du deuxième roman d’une avocate toulonnaise, Aurore Boyard, qui raconte, dans ce qui deviendra une trilogie, les aventures de Léa, jeune avocate au barreau de Paris, la « Bridget Jones des avocats », selon l’argument de l’éditeur. Ce deuxième roman, qui s’intitule « L’avocature – L’avocation tome 2 » déclenche le mécontentement de Daniel Soulez-Larivière, qui est aussi l’auteur d’un essai, paru en 1982, dont le titre est « L’avocature, "Maître, comment pouvez-vous défendre ?" », paru aux éditions Ramsay. L’ouvrage a été réédité en 1990, puis en 1995, sous le seul titre « L’avocature » et l’avocat a indiqué, au moment du litige, qu’une nouvelle édition actualisée était en préparation.
« Le terme "avocature", dépourvu de toute originalité, ne peut pas bénéficier de la protection offerte par l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle qui concerne les œuvres de l’esprit. »
C’est sans doute la raison qui l’a conduit à mettre en demeure sa consœur toulonnaise et son éditeur, le titre de l’ouvrage étant considéré comme contrefaisant, comme un acte de parasitisme et de concurrence déloyale. Daniel Soulez-Larivière a demandé la cessation de l’exploitation du roman sous ce titre, et devant le refus de ses interlocuteurs, les a assignés en contrefaçon de droits d’auteur, à titre principal, et à titre subsidiaire, en concurrence déloyale et parasitaire. Il sollicitait la condamnation de l’auteur et de l’éditeur au paiement de l’euro symbolique, ainsi que l’interdiction sous astreinte d’utiliser ce titre et de retirer les ouvrages commercialisés sous ce titre. Il réclamait en outre la publication du jugement et 20 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
De leur côté, les défendeurs demandaient le rejet des prétentions de l’avocat et formaient des demandes reconventionnelles. Aurore Boyard demandait 50 000 € à titre de dommages et intérêts, et 20 000 € d’article 700, tandis que l’éditeur réclamait 10 000 € à ce titre.
Pas d’originalité, ni de parasitisme
Aux termes de son jugement, le tribunal a considéré que le terme « avocature », dépourvu de toute originalité, ne pouvait pas bénéficier de la protection offerte par l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle qui concerne les œuvres de l’esprit. Le tribunal a, dans sa décision, recensé les utilisations en littérature du terme avocature, antérieures et postérieures à la publication de l’ouvrage de Daniel Soulez-Larivière qui a revendiqué avoir « réinventé » ce terme peu usité, selon lui. Le tribunal a souligné que l’originalité revendiquée du titre devait porter sur le terme lui-même et non pas s’appuyer sur le contenu de l’ouvrage. Selon le tribunal, la reprise d’un mot existant, même peu usité, ne saurait caractériser une quelconque originalité. Daniel Soulez-Larivière est débouté de ses demandes à ce titre, de même que celles, subsidiaires, sur le fondement de la confusion et du parasitisme. Le tribunal estime en effet que contrairement à ce que soutient le demandeur, l’essai et le roman ne s’adressent pas au même public et que l’avocate toulonnaise n’a pas cherché à profiter de la notoriété du ténor. Ce dernier est condamné à payer à l’avocate 20 000 € au titre des dépens et à verser 10 000 €, au même titre à l’éditeur.
La fin de l’épisode en appel
Daniel Soulez-Larivière a formé appel du jugement. Les débats ont été en conséquence réouverts, Aurore Boyard ayant formé un appel incident contre le jugement. La cour, dans son arrêt, fait sien le raisonnement des premiers juges, en y ajoutant un élément : le célèbre avocat, interrogé sur cette affaire à la télévision, avait, à l’antenne, révélé que le titre « L’avocature » lui avait été inspiré par son épouse italophone, le terme « avvocatura » étant d’emploi courant au-delà des Alpes. « Ces propos révèlent que l’idée du titre n’émane en réalité pas de M. Soulez-Larivière et que le titre qu’il a adopté, sans réflexion particulière puisqu’il lui a été suggéré par son épouse, est la traduction du terme italien qui, comme en français, désigne la profession d’avocat. », ajoute la cour.
Toutefois, celle-ci n’accueille pas l’argumentation d’Aurore Boyard, qui à l’appui de sa demande reconventionnelle, a fait valoir « la posture d’autorité », adoptée par son confrère, qui cherchait à l’intimider et a employé, dans son assignation, des termes virulents à son égard. La cour estime que ce comportement n’est pas caractérisé et que l’avocat n’a pas fait preuve d’excès condamnables lors de la procédure. La cour le condamne tout de même à verser 15 000 € à sa consœur et 8 000 € à l’éditeur aux termes de l’article 700 du Code de procédure civile. L’affaire devrait en rester là, l’appelante ayant indiqué qu’elle ne formerait pas de pourvoi en cassation.