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De la réclamation au contentieux : le juriste, gestionnaire du risque

Par AURÉLIA GRANEL

Organisé par Day One, un webinar intitulé « Réclamations, précontentieux, contentieux : comment valoriser les données internes et externes de votre direction juridique ? », s’est tenu le 29 juin dernier.

Éric Merville, claims director de Generali France, Guillaume Hecketsweiler, directeur juridique groupe de CMA CGM, Martial Houlle, secrétaire général du PMU et Louis Larret-Chahine, co-fondateur de Predictice, ont longuement débattu de la question.

«Contrairement au passé où l’on encourageait les juristes à aller au contentieux, leur rôle majeur aujourd’hui est justement de l’éviter, souligne Éric Merville. Un grand travail d’accompagnement et de formation de nos collaborateurs dans cette évolution du métier est à accomplir pour leur donner les réflexes de la gestion du risque et leur apprendre que le droit devient un moyen et non une finalité ». Les consommateurs sont désormais très au fait de leurs droits et une réclamation client peut rapidement se transformer en précontentieux. D’ailleurs, les associations de consommateurs et les médiateurs sectoriels contribuent à cette judiciarisation de la société. Les juristes gèrent cet écosystème qui cristallise l’antagonisme pouvant exister entre la société et son client. Mais comment s’y prendre ? Martial Houlle, secrétaire général du PMU, en est persuadé : l’accès à la data est un véritable sujet pour les directions juridiques. « Au stade de la relation client, je ne suis pas certain que les données liées aux réclamations soient totalement bien traitées et assez valorisées pour permettre de réaliser une analyse de fond qui pourrait être utilisée ensuite par les juristes. Les directions juridiques ont donc un rôle fondamental à jouer dans l’accès à la data en les utilisant dans un sens bien déterminé qui est justement de prévenir le risque », explique-t-il. Concrètement, les juristes doivent analyser les données de la réclamation client – en se demandant notamment quelles sont les origines de cette claim et pourquoi le service client a été défaillant –, les enrichir, en tirer des leçons et se doter d’outils qui permettent de prévenir le risque dans le futur. « J’y vois deux avantages : cela permettra à la direction juridique de provisionner le risque, mais aussi de mieux gérer sa charge de travail et, de fait, la dimension de son équipe », poursuit Martial Houlle.

Notons que le groupe CMA CGM, par exemple, est en train de développer une solution de front office, une application permettant au client de déposer sa réclamation, donc toutes les pièces la justifiant, via son téléphone portable. « Le but est, à terme, de faire supporter une partie du travail au client en le faisant interagir directement avec les assureurs, explique Guillaume Hecketsweiler. Nombre de nos juristes ont un rôle de “facteur” entre le client qui dépose ses pièces et nos assureurs. C’est du temps perdu. L’un de nos enjeux est de s’assurer que les juristes soient sur des tâches à plus forte valeur ajoutée ».

Faire coïncider le traitement des données internes et externes

« La plupart des entreprises avec lesquelles j’ai eu l’occasion de discuter dernièrement se sont rendu compte qu’elles généraient beaucoup de données en interne, liées à la gestion des réclamations clients, mais qu’elles avaient des difficultés à les exploiter, alors même que leur exploitation permettrait des gains significatifs en matière de déjudiciarisation et d’augmentation des capacités de négociation de l’ensemble des équipes juridiques », souligne Louis Larret-Chahine. Dans un objectif de réduction des contentieux, dont les montants peuvent être significatifs pour l’entreprise selon son secteur d’activité, la difficulté repose également sur la capacité à faire coïncider, pour une meilleure prise de décision des juristes, le traitement des données internes liées aux réclamations clients et les données externes, comme la jurisprudence. L’accès aux décisions de justice est nécessaire pour anticiper l’issue potentielle d’un contentieux. Mais, pour une société, recueillir les informations demeure compliqué, tant les sources potentielles de décisions de justice sont démultipliées en France. Faire appel à des legaltechs serait le moyen le plus efficace et permettrait, en analysant son propre contentieux et celui des acteurs de son secteur d’activité, de négocier avec plus de facilité, dans le but de transiger, ou de provisionner avec plus de finesse. « En France, nous avons seulement accès aux décisions des hautes juridictions et des cours d’appel, mais pas de 1re instance, déplore Louis Larret-Chahine. Heureusement, certaines sociétés, bien organisées, ont fait l’effort de collecter ces données parfois depuis une vingtaine d’années. Les autres commencent à comprendre qu’elles sont assises sur un trésor de données et font désormais l’effort de stocker leurs décisions ». Difficilement accessibles en France, ces décisions de justice de petit niveau, comme celles des juridictions de proximité, peuvent entraîner un risque assez conséquent pour l’entreprise. Même si elles sont peu visibles et de faible enjeu, elles n’en sont pas moins dangereuses, car créent un précédent, donc multiplient le risque. En organisant la captation de toutes ces données, un niveau supplémentaire de compréhension du risque sera débloqué pour les opérationnels. Et elle apportera, dans quelques années, des bénéfices en termes de négociation pour toutes les sociétés, si ces données sont intégrées aux bases des legaltechs. « Le prédictif permettra de calibrer, en fonction des précédents collectés, quel est le niveau de settlement d’une réclamation dans chaque juridiction et contexte. Toutes les parties auront, très rapidement, une vision précise de ce qui est un montant raisonnable d’indemnisation. C’est un volet de déjudiciarisation incroyable », conclut Guillaume Hecketsweiler.

Pour aller plus loin

La LJA organise, le 9 décembre prochain, à l’hôtel Rive Montparnasse, les Assises du risque. « Sécuriser pour œuvrer à la performance », une après-midi unique de débats et de rencontres inspirantes pour aborder la problématique du risque en entreprise sous ses aspects stratégiques, juridiques et éthiques. Litiges commerciaux internationaux, risques contentieux, responsabilité de la personne morale, responsabilité pénale de la personne physique, compliance, RSE, cybercriminalité… Autant de thématiques abordées dans six ateliers différents. Inscription gratuite sur www.conference-risques.com