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Ces avocats antitrust ayant fait un passage par la Commission européenne

Par Aurélia Granel

Le britannique Nicholas Banasevic quitte la direction générale de la concurrence de la Commission européenne pour rejoindre, en début d’année, le bureau de Bruxelles de Gibson, Dunn & Crutcher.

Il s’agit du troisième départ d’un haut responsable de la concurrence de l’institution en moins d’un an. Et ce n’est pas le premier à être attiré par un grand cabinet d’avocats d’affaires , ce qui interpelle Emily O'Reilly, la médiatrice de l'UE, qui a demandé, le 19 octobre, à la Commission, des explications sur les autorisations délivrées aux membres de son personnel voulant se reconvertir dans le secteur privé.

Les cabinets d’avocats ne font pas que recruter chez leurs confrères. Désormais ils n’hésitent plus à aller taper à la porte du personnel des autorités européennes. La direction générale de la concurrence de la Commission est particulièrement visée. « Les défis antitrust, dans tous les secteurs, mais en particulier dans celui de la tech, s’intensifient dans le monde entier à un rythme exceptionnel. Au fur et à mesure que les besoins de nos clients augmentent, nos propres connaissances, investissements et expertises doivent faire de même », déclarait Guy Norman, global head of corporate chez Clifford Chance, lors de l’annonce de l’arrivée de Cecilio Madero en tant qu’of counsel. En septembre, l’ancien directeur général adjoint de la DG concurrence de la Commission a rejoint le cabinet, à Bruxelles, après une carrière de 34 années au sein de l’institution où il a travaillé sur de nombreuses questions d’aides d’État, d’antitrust et de fusions – il aurait notamment été impliqué dans des batailles très médiatisées, telles que celles de la Commission contre Microsoft et Google.

En juin, c’est Carles Esteva Mosso, ex-directeur général adjoint chargé des concentrations et des aides d’État à la Commission européenne sous la direction de Margrethe Vestager, vice-présidente et commissaire de la concurrence, qui rejoignait le bureau de Bruxelles de Latham & Watkins, en tant qu’associé de la pratique antitrust & competition (Cf. LJA 1495). Cette figure emblématique de la communauté antitrust est intervenue sur des dossiers complexes de contrôle des concentrations, d’aides d’État, d’ententes, d’abus de position dominante et de régulation en Europe. Il a également été amené à travailler en coopération avec des représentants gouvernementaux des États membres de l’UE sur des questions d’importance nationale en étroite collaboration avec des autorités de régulation. Membre du barreau de Barcelone, il a travaillé en cabinet privé pendant plusieurs années, avant de rejoindre la Commission européenne en 1994. Il a occupé diverses fonctions à la direction générale de la concurrence, notamment celles de directeur général adjoint chargé des concentrations et de directeur général adjoint chargé des aides d’État.

Nicholas Banasevic travaillait quant à lui à la DG concurrence de la Commission européenne depuis plus de deux décennies. Il dirigeait l’unité de l’institution en charge de l’antitrust dans le domaine de l’IT, de l’internet et de l’électronique grand public, qui a mené trois enquêtes contre Google ayant conduit à lui infliger plus de 8 Mds€ d’amende. Auparavant, il était chef d’unité adjoint au sein de l’unité fusions pour les services financiers de la DG concurrence, où il gérait les dossiers de fusion dans les domaines des services financiers et des produits pharmaceutiques. Il a notamment géré le dossier Deutsche Börse/NYSE Euronext. Il avait précédemment été membre de l’équipe responsable de la décision Microsoft de la Commission en 2004 et était en charge des affaires Intel et Rambus de la Commission.

L’arrivée dans des cabinets anglo-saxons, de ces trois anciens hauts responsables de la concurrence alimenteraient-ils les inquiétudes au sein de la Commission ? Cette dernière applique des règles d’éthique très strictes qui limitent, pendant une certaine durée la capacité des anciens, à pouvoir travailler sur certains dossiers. Selon la presse, l’un de ses porte-paroles aurait déclaré que Nicholas Banasevic venait de faire l’objet d’une autorisation pour ce mouvement, tenant compte des restrictions appropriées imposées. Le but de cette procédure étant de prévenir tous risques de conflits réels, perçus ou potentiels avec l’intérêt légitime de la Commission. Mais elle interpelle Emily O’Reilly, la médiatrice de l’Union européenne (UE), qui a demandé, mardi 19 octobre, à la Commission de Bruxelles des explications sur les autorisations qu’elle délivre aux membres de son personnel souhaitant se reconvertir dans le secteur privé. Dans une lettre adressée à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, la médiatrice souligne la nécessité de maintenir la confiance du public dans l’administration et souhaite donc interroger deux responsables de ses services chargés de l’examen des dossiers de fonctionnaires ou ex-commissaires désireux de rejoindre le privé, sur le fait que peu de demandes reçoivent une réponse négative et sur le contrôle exercé à propos des restrictions.

Nombreux sont les avocats à être passés par la Commission européenne en début de carrière. Of counsel chez Clifford Chance depuis 2008, Michel Petite a occupé les fonctions de directeur général du service juridique de la Commission. Avant d’exercer en cabinet, Mélanie Thill-Tayara, responsable de la pratique droit de la concurrence de Dechert, a fait un passage de trois ans au sein de la DG concurrence de la Commission. Le responsable de la pratique antitrust de Hogan Lovells, Éric Paroche, a lui aussi débuté sa carrière à la direction générale de la concurrence de la Commission. À Bruxelles, les bureaux regorgent également d’anciens membres de l’institution. José Luis Buendía Sierra, responsable du bureau de Bruxelles de Guarrigues, a mené une carrière d’une quinzaine d’années à la Commission (service juridique, DG concurrence, DG marché intérieur et cabinet du commissaire Oreja). François-Charles Laprévote, de Cleary Gottlieb, a travaillé à la DG trade durant trois ans, contre dix ans au sein de la DG concurrence pour Lars Kjølbye, managing partner du bureau de Bruxelles de Latham & Watkins. Soulignons aussi que Bernard Amory, co-head of global antitrust group de Jones Day, a débuté sa carrière à la Commission. Tout comme Francisco Enrique González-Díaz de Cleary Gottlieb, qui a occupé pendant plus d’une décennie plusieurs postes au sein d’institutions européennes, dont la Commission, avant de rejoindre le cabinet.

Une aide précieuse pour les cabinets

« Les anciens haut fonctionnaires de la Commission européenne qui rejoignent les cabinets d’avocats au cours de leur carrière sont recrutés pour leur haute technicité de la matière, savoir-faire et expérience inégalée en termes de dossiers traités, ainsi que pour leur intime connaissance de l’analyse pouvant être conduite par un régulateur, déclare Jacques-Philippe Gunther, associé et global vice-chair de la pratique antitrust & competition de Latham & Watkins. Leur vision d’ensemble et leur compréhension immédiate des enjeux d’une opération sont de véritables atouts pour les cabinets. » Ces nouveaux arrivants perçoivent par exemple immédiatement si le secteur doit faire l’objet d’un traitement différent par rapport à d’autres. Ils ont également une forte expertise en termes de connaissances de la faisabilité ou de l’acceptabilité de tel ou tel remède du point de vue de la Commission. Outre leurs aspects techniques, ces avocats permettent de comprendre la motivation des autorités, c’est-à-dire les raisons de leur positionnement sur un projet, et l’expliquent de manière très claire aux clients. Les cabinets ne veulent pas recruter un carnet d’adresses, un manuel des procédures ou un technicien de haut vol, mais un avocat. « Ces nouveaux venus interviennent sur tous types de dossiers en droit de la concurrence, car l’idée est qu’ils intègrent la totalité de la fonction d’un associé antitrust dans une équipe, ajoute Jacques-Philippe Gunther. Leurs tâches ne sont pas limitées à leur champ d’expertise acquis lors de leur expérience à la Commission, l’intérêt pour nous étant d’avoir un avocat tout terrain qui soit capable de nous aider à traiter de n’importe quel type de sujets en droit de la concurrence, à la fois européen et national ». Un travail qui consiste aussi à argumenter, plaider, négocier, se mettre en opposition voire attaquer, devant les juridictions, les décisions des régulateurs.

Ces anciens membres de la Commission européenne constituent souvent des atouts pour aider les clients du cabinet, notamment les géants de la tech, dans le cadre de la croisade menée par la Commission à leur encontre. Rappelons en effet que Clifford Chance compte notamment pour client Amazon, tandis que Latham & Watkins intervient régulièrement aux côtés de Facebook, deux sociétés impliquées dans des enquêtes antitrust. Quant à Gibson Dunn, le cabinet représenterait fréquemment Apple aux États-Unis, notamment dans sa récente bataille antitrust avec le développeur de jeux Epic Games. « L’objectif, lorsque l’on recrute quelqu’un de ce niveau, n’est pas d’obtenir des informations sur un secteur particulier, mais d’avoir une personne dans son équipe ayant une connaissance extrêmement étendue de la matière et ayant traité un grand nombre de dossiers complexes, afin de donner un avis éclairé sur chaque sujet sur lequel il est amené à intervenir », souligne Jacques-Philippe Gunther.

Malheureusement la greffe ne prend pas à tous les coups. Jacques-Philippe Gunther le constate : « Il y a des comportements que les entreprises peuvent considérer comme particulièrement agressifs de la part des membres de la Commission et cela peut les pousser à ne pas vouloir travailler avec ceux qui n’auraient pas eu des comportements objectifs à l’occasion des dossiers passés. Il faut recruter quelqu’un qui ait exprimé une attention particulière aux arguments des entreprises dans le cadre de son exercice en tant que haut responsable d’une autorité de concurrence, pour que cette dimension-là soit ensuite valorisée lors de discussions avec les clients ».

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